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ENTRETIENS CHINOIS[1]


Un Chinois nommé Xain, ayant voyagé en Europe dans sa jeunesse, retourna à la Chine à l’âge de trente ans, et, devenu mandarin, rencontra dans Pékin un ancien ami qui était entré dans l’ordre des jésuites : ils eurent ensemble les conférences suivantes :

PREMIÈRE CONFÉRENCE.

le mandarin.

Vous êtes donc bien mal édifié de nos bonzes ?

le jésuite.

Je vous avoue que je suis indigné de voir quel joug honteux ces séducteurs imposent sur votre populace superstitieuse. Quoi ! vendre la béatitude pour des chiffons bénits ! persuader aux hommes que des pagodes ont parlé ! qu’elles ont fait des miracles ! se mêler de prédire l’avenir ! quelle charlatanerie insupportable !

le mandarin.

Je suis bien aise que l’imposture et la superstition vous déplaisent.

le jésuite.

Il faut que vos bonzes soient de grands fripons.

le mandarin.

Pardonnez ; j’en disais autant en voyant en Europe certaines cérémonies, certains prodiges que les uns appellent des fraudes pieuses, les autres des scandales. Chaque pays a ses bonzes. Mais j’ai reconnu qu’il y en a autant de trompés que de trompeurs. Le grand nombre est de ceux que l’enthousiasme aveugle dans leur jeunesse, et qui ne recouvrent jamais la vue ; il y en a d’autres

  1. Tel est le titre que porte cet écrit dans le tome II des Choses utiles et agréables. Les éditeurs de Kehl l’avaient intitulé Un Mandarin et un Jésuite, et compris dans leur volume de Dialogues. Je ne saurais assigner une date précise aux Entretiens chinois ; mais ils sont postérieurs à la Relation du bannissement. (B.)