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CHAPITRE XII.


mencent avec le xiie siècle, et sont continués sans interruption jusqu’à nos jours. Ils répandent une grande lumière sur l’histoire de France. Ils font voir, par exemple, que la Guienne appartenait au prince Noir, fils d’Édouard III, en souveraineté absolue, quand le roi de France Charles V la confisqua par un arrêt, et s’en empara par les armes. On y apprend quelles sommes considérables et quelle espèce de tribut paya Louis XI au roi Édouard IV, qu’il pouvait combattre, et combien d’argent la reine Élisabeth prêta à Henri le Grand pour l’aider à monter sur son trône[1], etc.


CHAPITRE XII.
de quelques faits rapportés dans tacite et dans suétone.

Je me suis dit quelquefois en lisant Tacite et Suétone : Toutes ces extravagances atroces imputées à Tibère, à Caligula, à Néron, sont-elles bien vraies ? Croirai-je, sur le rapport d’un seul homme qui vivait longtemps après Tibère, que cet empereur, presque octogénaire, qui avait toujours eu des mœurs décentes jusqu’à l’austérité, ne s’occupa, dans l’île de Caprée, que de débauches qui auraient fait rougir un jeune giton ? Serai-je bien sûr qu’il changea le trône du monde connu en un lieu de prostitution, tel qu’on n’en a jamais vu chez les jeunes gens les plus dissolus ? Est-il bien certain qu’il nageait dans ses viviers, suivi de petits enfants à la mamelle, qui savaient déjà nager aussi, qui le mordaient aux fesses, quoiqu’ils n’eussent pas encore de dents, et qui lui léchaient ses vieilles et dégoûtantes parties honteuses ? Croirai-je qu’il se fit entourer de spinthriæ, c’est-à-dire de bandes des plus abandonnés débauchés, hommes et femmes, partagés trois à trois, une fille sous un garçon, et ce garçon sous un autre ?

Ces turpitudes abominables ne sont guère dans la nature. Un vieillard, un empereur épié de tout ce qui l’approche, et sur qui la terre entière porte des yeux d’autant plus attentifs qu’il se cache davantage, peut-il être accusé d’une infamie si inconcevable sans des preuves convaincantes ? Quelles preuves rapporte Suétone ? aucune. Un vieillard peut avoir encore dans la tête des idées d’un plaisir que son corps lui refuse. Il peut tâcher d’exciter

  1. Dans l’Encyclopédie, en 1765, après le mot etc. venaient les morceaux qui forment aujourd’hui la majeure partie de la troisième section de l’article Histoire dans le Dictionnaire philosophique, tome XIX, page 356.