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DU PASTEUR BOURN.

de dettes, avec lesquels il massacrait tous les sujets de son allié Achis[1], jusqu’aux enfants à la mamelle, et qui enfin, ayant dix-huit femmes, ravit Betzabée et fit tuer son mari[2] ?

Il y a dans l’Écriture, je l’avoue, mille traits pareils, contre lesquels la nature se soulève. Tout ne nous a pas été donné pour une règle de mœurs. Tenons-nous-en donc à cette loi incontestable, universelle, éternelle, de laquelle seule dépend la pureté des mœurs dans toute nation : Aimons Dieu et le prochain[3].

S’il m’était permis de parler de l’Alcoran dans une assemblée de chrétiens, je vous dirais que les sonnites représentent ce livre comme un chérubin qui a deux visages : une face d’ange et une face de bête. Les choses qui scandalisent les faibles, disent-ils, sont le visage de bête, et celles qui édifient sont la face d’ange.

Édifions-nous, et laissons à part tout ce qui nous scandalise : car enfin, mes frères, que Dieu demande-t-il de nous ? que nous confrontions Matthieu avec Luc, que nous conciliions deux généalogies qui se contredisent, que nous discutions quelques passages ? Non ; il demande que nous l’aimions et que nous soyons justes.

Si nos pères l’avaient été, les disputes sur la liturgie anglicane n’auraient pas porté la tête de Charles Ier sur un échafaud ; on n’aurait pas osé tramer la conspiration des poudres[4] ; quarante mille familles n’auraient pas été massacrées en Irlande ; le sang n’aurait pas ruisselé, les bûchers n’auraient pas été allumés sous le règne de la reine Marie. Que n’est-il pas arrivé aux autres nations pour avoir argumenté en théologie ? Dans quels gouffres épouvantables de crimes et de calamités les disputes chrétiennes n’ont-elles pas plongé l’Europe pendant des siècles ? la liste en serait beaucoup plus longue que mon sermon. Les moines disent que la vérité y a beaucoup gagné, qu’on ne peut l’acheter trop cher, que c’est ce qui a valu à leur saint père tant d’annates et tant de pays ; que si l’on s’était contenté d’aimer Dieu et son prochain, le pape ne se serait pas emparé du duché d’Urbin, de Ferrare, de Castro, de Bologne, de Rome même, et qu’il ne se dirait pas seigneur suzerain de Naples ; qu’une Église qui répand tant de biens sur la tête d’un seul homme est sans doute la véritable Église ; que nous avons tort, puisque nous sommes pauvres, et que Dieu nous abandonne visiblement. Mes frères, il est peut-être

  1. I. Rois, xxvii, 8-11.
  2. II. Rois, xi.
  3. Voyez ci-dessus, page 229.
  4. Voyez les Entretiens chinois, ci-dessus, page 26.