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DÉFENSE DU NEWTONIANISME.

raison par les mécaniques ordinaires ; action que l’on nomme attraction, propter egestatem linguæ et rerum novitatem, en attendant que Dieu nous en révèle la cause.

L’auteur des Éléments, en parlant de ce phénomène, s’est servi de cette expression très-française, que la lumière rejaillit du sein du vide[1], à peu près comme il a dit en vers :

Valois se réveilla du sein de son ivresse…[2]

Gouverner son pays du sein des voluptés…
[3]

Il n’y a personne qui ne sache ce que valent ces expressions ; elles sont si claires qu’on peut s’en servir en prose comme en poésie, pourvu qu’on n’affecte pas de les employer fréquemment, et qu’on évite la prose poétique avec autant de soin que le style familier et plaisant. On sait bien que ni l’ivresse, ni les voluptés, ni le vide, n’ont un sein qui agisse réellement ; et tout ce qu’un lecteur qui ne veut point chicaner devait comprendre, c’est que la lumière qui rejaillit du vide en rejaillit parce que le corps voisin exerce une force quelconque sur elle.

Quelques-uns, plus injustes encore, prenant l’accessoire pour le principal, comme il arrive presque toujours, ont fait semblant de croire que l’auteur se vantait d’avoir trouvé la trisection de l’angle par la règle et le compas ; et, au lieu d’examiner avec lui une question d’optique très-importante, ils ont laissé là cette question dont il s’agissait, et l’ont harcelé sur la prétendue trisection de l’angle, dont il ne s’agit point du tout.

Voici, encore une fois, le problème que proposait l’auteur : Vous regardez à la fois deux hommes, ou plusieurs hommes de même taille, dont le premier est à un pied de vous, et le dernier à quarante : le premier trace sur votre rétine un angle quarante fois plus grand que le dernier ; la grandeur des images dépend de la grandeur des angles, et cependant ces deux hommes vous paraissent d’égale hauteur. Je dis que ce phénomène journalier ne peut être expliqué par aucun changement dans l’œil ou dans le cristallin, comme l’ont prétendu presque tous les opticiens ; je dis que si l’œil prend une nouvelle conformation, il la prend également pour l’homme qui est distant d’un pied et pour celui qui

  1. Dans les éditions de 1738, ces expressions se trouvaient au chapitre ii des Éléments de la philosophie de Newton ; maintenant elles sont au chapitre iii de la seconde partie ; voyez tome XXII, page 454.
  2. Henriade, III, 99.
  3. Zaïre, I, ii.