Ayant su ce que c’est que la lumière, d’où elle nous vient, comment et en quel temps elle arrive à nous, voyons ses propriétés et ses effets ignorés jusqu’à nos jours. Le premier de ses effets est qu’elle semble rejaillir de la surface solide de tous les objets, pour en apporter dans nos yeux les images.
Tous les hommes, tous les philosophes, et les Descartes et les Malebranche, et ceux qui se sont éloignés le plus des pensées vulgaires, ont également cru qu’en effet ce sont les surfaces solides des corps qui nous renvoient les rayons. Plus une surface est unie et solide, plus elle fait, dit-on, rejaillir de lumière ; plus un corps a de pores larges et droits, plus il transmet de rayons à travers sa substance. Ainsi le miroir poli, dont le fond est couvert d’une surface de vif-argent, nous renvoie tous les rayons ; ainsi ce même miroir sans vif-argent, ayant des pores droits et larges, et en grand nombre, laisse passer une grande partie des rayons. Plus un corps a de pores larges et droits, plus il est diaphane : tel, disait-on, le diamant ; telle est l’eau elle-même ; voilà les idées généralement reçues, et que personne ne révoquait en doute.
Cependant toutes ces idées sont entièrement fausses : tant ce qui est vraisemblable est souvent ce qui est le plus éloigné de la vérité. Les philosophes se sont jetés en cela dans l’erreur, de la même manière que le vulgaire y est tout porté, quand il pense que le soleil n’est pas plus grand qu’il le paraît aux yeux. Voici en quoi consistait cette erreur des philosophes.
Il n’y a aucun corps dont nous puissions unir véritablement la surface. Cependant beaucoup de surfaces nous paraissent unies et d’un poli parfait. Pourquoi voyons-nous uni et égal ce qui ne l’est pas ? La superficie la plus égale n’est, par rapport aux petits corps qui composent la lumière, qu’un amas de montagnes, de cavités et d’intervalles, de même que la pointe de l’aiguille la plus fine est hérissée en effet d’éminences et d’aspérités que le microscope découvre.
Tous les faisceaux des rayons de lumière qui tomberaient sur ces inégalités se réfléchiraient selon qu’ils y seraient tombés : donc étant inégalement tombés ils ne se réfléchiraient jamais régulièrement, donc on ne pourrait jamais se voir dans une glace. De plus, le verre a probablement mille fois plus de pores que de matière ; cependant chaque point de la surface renvoie des rayons, donc ils ne sont point renvoyés par le verre.
La lumière qui nous apporte notre image de dessus un miroir ne vient donc point certainement des parties solides de la superficie de ce miroir ; elle ne vient point non plus des parties solides de mercure et d’étain étendues derrière cette glace. Ces parties ne sont pas plus planes, pas plus unies que la glace même. Les parties solides de l’étain et du mercure sont incomparablement plus grandes, plus larges que les parties solides constituantes de la lumière ; donc si les petites particules de lumière tombent sur ces grosses parties de mercure, elles s’éparpilleront de tous côtés comme des grains de plomb tombant sur des plâtras. Quel pouvoir inconnu fait donc rejaillir vers nous la lumière régulièrement ? il paraît déjà que ce ne sont pas les corps qui nous la renvoient ainsi. Ce qui semble le plus connu, le plus incontestable chez les hommes, devient un mystère plus grand que ne l’était autrefois la pesanteur de l’air. Examinons ce problème de la nature, notre étonnement redoublera. On ne peut s’instruire ici qu’avec surprise.
Prenez un morceau, un cube de cristal par exemple ; voici ce qui arrive aux rayons du soleil qui tombent sur ce corps solide et transparent (figure 2).
1° Une petite partie des rayons rebondit à vos yeux de sa première surface A, sans toucher même à cette surface, comme il sera plus amplement prouvé.
2° Une très-petite partie des rayons est reçue dans la substance de ce corps en B ; elle s’y joue, s’y perd, et s’y éteint : ce qui fait qu’il y a peu de cristaux parfaitement transparents, surtout quand ils sont épais.
3° Une troisième partie parvient à l’intérieur C du miroir, et d’auprès de la surface elle retourne dans l’air, et quelques rayons en viennent à vos yeux.
4° Une quatrième partie passe dans l’air.
5° Une cinquième partie, qui est la plus considérable, revient d’au delà de la surface ultérieure D dans le cristal, y repasse, et vient se réfléchir à vos yeux. N’examinons ici que ces derniers rayons, qui, s’échappant de la surface ultérieure D, et ayant trouvé l’air, rejaillissent de dessus cet air vers l’œil en rentrant à travers le cristal. Certainement ils n’ont pas rencontré dans cet air des parties solides sur lesquelles ils aient rebondi : car, si au lieu d’air ils rencontrent de l’eau à cette surface B, peu reviennent alors ; ils entrent dans cette eau, ils la pénètrent en grand nombre. Or, l’eau est environ 800 à 900 fois[1] plus pesante, plus solide, moins rare que l’air. Cependant ces rayons ne rejaillissent point de dessus cette eau, et rejaillissent de dessus cet air dans ce verre : donc ce n’est point des parties solides des corps que la lumière est réfléchie.
Voici une observation plus singulière et plus décisive : Exposez dans une chambre obscure ce cristal A B (figure 3) aux rayons du soleil, de façon que les traits de lumière parvenus à sa superficie B fassent un angle de plus de 40 degrés avec la perpendicule P.
La plupart de ces rayons alors ne pénètrent plus dans l’air : ils rentrent tous dans ce cristal à l’instant même qu’ils en sortent ; ils reviennent, comme vous voyez, en faisant une courbure insensible.
Certainement ce n’est pas la surface solide de l’air qui les a repoussés dans ce verre ; plusieurs de ces rayons entraient dans l’air auparavant, quand ils tombaient moins obliquement ; pourquoi donc à une obliquité de 40 degrés 19 minutes la plus grande partie de ces rayons n’y passe-t-elle plus ? Trouvent-ils à ce degré plus de résistance, plus de matière dans cet air, qu’ils n’en trouvent dans ce cristal qu’ils avaient pénétré ? Trouvent-ils plus de parties solides dans l’air à 40 degrés et 1/3 qu’à 40 ? L’air est à peu près deux mille quatre cents fois plus rare, moins pesant, moins solide, que le cristal : donc ces rayons devaient passer dans l’air avec deux mille quatre cents fois plus de facilité qu’ils n’ont pénétré l’épaisseur du cristal. Cependant, malgré cette prodigieuse apparence de facilité, ils sont repoussés : ils le sont donc par une force qui est ici deux mille quatre cents fois plus puissante que l’air ; ils ne sont donc point repoussés par l’air ; les rayons, encore une fois, ne sont donc point réfléchis à nos yeux par les parties solides des corps. La lumière rejaillit si peu dessus les parties solides des corps, que c’est en effet du vide qu’elle rejaillit quelquefois : ce fait mérite une grande attention.
Vous venez de voir que la lumière, tombant à un angle de 40 degrés 19 minutes sur du cristal, rejaillit presque tout entière de dessus l’air qu’elle rencontre à la surface ultérieure de ce cristal ; que si la lumière y tombe à un angle moindre d’une seule minute, il en passe encore moins hors de cette surface dans l’air.
Newton a assuré que si on trouvait le secret d’ôter l’air de dessous ce morceau de cristal, alors il ne passerait plus de rayons, et que toute la lumière se réfléchirait : j’en ai fait l’expérience ; j’ai fait enchâsser un excellent prisme dans le milieu d’une platine de cuivre ; j’ai appliqué cette platine au haut d’un récipient ouvert, posé sur la machine pneumatique ; j’ai fait porter la machine dans ma chambre obscure. Là, recevant la lumière par un trou sur le prisme, et la faisant tomber à l’angle requis, je pompai l’air très-longtemps ; ceux qui étaient présents virent qu’à mesure qu’on pompait l’air, il passait moins de lumière dans le récipient, et qu’enfin il n’en passa presque plus du tout. C’était un spectacle très-agréable de voir cette lumière se réfléchir par le prisme, tout entière au plancher.
L’expérience démontre donc que la lumière, en ce cas, rejaillit du vide ; mais on sait bien que ce vide ne peut avoir d’action. Que peut-on donc conclure de cette expérience ? Deux choses très-palpables : la première, que la surface des solides ne renvoie pas la lumière ; la seconde, qu’il y a dans les corps solides un pouvoir inconnu qui agit sur la lumière ; et c’est cette seconde propriété que nous examinerons à sa place.
Il ne s’agit que de prouver ici que la lumière ne nous est point réfléchie par les parties solides.
Voici encore une preuve de cette vérité.
Tout corps opaque, réduit en lame mince, laisse passer à travers sa substance des rayons d’une certaine espèce, et réfléchit les autres rayons ; or si la lumière était renvoyée par les corps, tous les rayons qui tombent également sur ces lames seraient réfléchis sur ces lames. Enfin nous verrons que jamais si étonnant paradoxe n’a été prouvé en plus de manières. Commençons donc par nous familiariser avec ces vérités.
1° Cette lumière, qu’on croit réfléchie par la surface solide des corps, rejaillit en effet sans avoir touché à cette surface.
2° La lumière n’est point renvoyée de derrière un miroir par la surface solide du vif-argent ; mais elle est renvoyée du sein des pores du miroir, et des pores du vif-argent même.
3° Il ne faut point, comme on l’a pensé jusqu’à présent, que les pores de ce vif-argent soient très-petits pour réfléchir la lumière ; au contraire, il faut qu’ils soient larges.
Ce sera encore un nouveau sujet de surprise, pour ceux qui n’ont pas étudié cette philosophie, d’entendre dire que le secret de rendre un corps opaque est souvent d’élargir ses pores, et que le moyen de le rendre transparent est de les étrécir. L’ordre de la nature paraîtra tout changé en apparence : ce qui semblait devoir faire l’opacité est précisément ce qui opérera la transparence ; et ce qui paraissait rendre les corps transparents sera ce qui les rendra opaques. Cependant rien n’est si vrai, et l’expérience la plus grossière le démontre.
Un papier sec, dont les pores sont très-larges, est opaque : nul rayon de lumière ne le traverse ; étrécissez ses pores en l’imbibant, ou d’eau ou d’huile, il devient transparent ; la même chose arrive au linge, au sel.
Il est bon d’apprendre au public qu’un homme qui a écrit depuis peu contre ces vérités, avec beaucoup plus de hauteur et de mépris que de connaissance, avait voulu railler Newton sur ces découvertes. Si le secret, dit-il, de rendre un corps transparent est d’étrécir ses pores, il faudra donc rendre les fenêtres plus petites pour avoir plus de jour dans sa chambre, etc. Je réponds qu’il est bien indécent de faire le plaisant quand on prétend parler en philosophe, et que de tourner Newton en ridicule est une entreprise trop forte ; je réponds surtout que ce plaisant devait songer qu’il est très-vrai que de larges ouvertures dont le jour serait intercepté ne rendraient pas de lumière ; et qu’un corps mince, percé d’une infinité de petits trous exposés au soleil, nous éclaire beaucoup. Le papier huilé, le linge mouillé, par exemple, sont des corps minces, dont l’huile ou l’eau ont rétréci et rectifié les pores, et la lumière passe à travers de ces pores rendus plus droits ; mais elle ne passera point à travers les plus grands cribles qui se croiseront et qui intercepteront les rayons.
Il faudrait, avant que de prendre le ton railleur, être bien sûr qu’on a raison ; et lorsqu’on est assuré enfin d’avoir raison, il ne faut point railler.
Revenons, et résumons qu’il y a donc des principes ignorés qui opèrent ces merveilles, des causes qui font rejaillir la lumière avant qu’elle ait touché une surface, qui la renvoient des pores du corps transparent, qui la ramènent du milieu même du vide ; nous sommes invinciblement obligés d’admettre ces faits, quelle qu’en puisse être la cause.
Étudions donc les autres mystères de la lumière, et voyons si de ces effets surprenants on remonte jusqu’à quelque principe incontestable, qu’il faille admettre aussi bien que ces effets mêmes.
- ↑ 772 fois seulement d’après M. Regnault. (D.)