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MÉMOIRE SUR LA SATIRE.

treize années ? J’avoue que cette objection est pressante ; mais voici ce que j’ai à répondre.

Je ne crois pas qu’il soit permis d’accuser, sans preuves juridiques, un citoyen, de quelque faute que ce puisse être : or j’ai, à la vérité, des preuves juridiques, des témoignages subsistants[1], que la première chose qu’il fit au sortir de Bicêtre, ce fut un libelle contre moi[2] ; mais je n’ai aucune preuve assez forte pour l’accuser du malheureux libelle qui a paru cette année ; je n’ai que la voix publique. Elle suffit pour devoir attribuer à un homme une bonne action ; mais elle ne suffit pas pour lui imputer un crime.

Je pourrais poursuivre, et faire voir jusqu’à quel comble d’horreur la calomnie a été poussée dans cet écrit ; mais mon dessein n’est pas de répondre en détail à des discours dignes de la plus vile canaille : ce serait trop mal employer un temps précieux. J’ai voulu seulement, pour l’honneur des lettres, essayer de faire voir combien il est difficile de croire qu’un homme de lettres se soit souillé d’un opprobre si avilissant.

J’écris ici dans la vue d’être utile à la littérature encore plus qu’à moi-même. Plût à Dieu que toutes ces haines flétrissantes, ces querelles également affreuses et ridicules, fussent éteintes parmi des hommes qui font profession, non-seulement de cultiver leur raison, mais de vouloir éclairer celle des autres ! plût à Dieu que les exemples que j’ai rapportés pussent rendre sages ceux qui sont tentés de les suivre !

  1. Les extraits de lettres que Voltaire cite dans la note suivante sont déjà dans le Mémoire, page 39.
  2. Extraits des lettres de M. Thiriot.
    « Du 16 août 1726.

    « Il a fait, du temps de Bicêtre, un ouvrage contre vous, intitulé Apologie de M. de Voltaire, que je l’ai forcé, avec bien de la peine, à jeter dans le feu. C’est lui qui a fait, à Évreux, une édition du poème de la Ligue, dans lequel il a inséré des vers de sa façon contre M. de Lamotte, etc. »

    « Du 31 décembre 1738.

    « Je me souviens très-bien qu’à la Rivière-Bourdet, chez feu M. le président de Bernières, il fut question d’un écrit contre M. de Voltaire, que l’abbé Desfontaines me fit voir, et que je l’engageai de jeter au feu, etc. »

    « Du 14 janvier 1739.

    « Je démens les impostures d’un calomniateur ; je méprise les éloges qu’il me donne ; je témoigne ouvertement mon estime, mon amitié, ma reconnaissance pour vous, etc. »

    (Note de Voltaire.)