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DIALOGUE
ENTRE
MME DE MAINTENON[1] ET MLLE DE LENCLOS[2].

madame de maintenon.

Oui, je vous ai priée de venir me voir en secret. Vous pensez peut-être que c’est pour jouir à vos yeux de ma grandeur ? Non, c’est pour trouver eu vous des consolations.

mademoiselle de lenclos.

Des consolations, madame ! Je vous avoue que, n’ayant point eu de vos nouvelles depuis votre grande fortune, je vous ai crue heureuse.

madame de maintenon.

J’ai la réputation de l’être. Il y a des âmes pour qui c’en est assez : la mienne n’est pas de cette trempe ; je vous ai toujours regrettée.

mademoiselle de lenclos.

J’entends. Vous sentez dans la grandeur le besoin de l’amitié ; et moi, qui vis pour l’amitié, je n’ai jamais eu besoin de la grandeur. Mais pourquoi donc m’avez-vous oubliée si longtemps ?

madame de maintenon.

Vous sentez qu’il a fallu paraître vous oublier. Croyez que,

  1. Mme de Maintenon et Mlle de Lenclos avaient longtemps vécu ensemble. Cette fille célèbre, qui est morte à quatre-vingt-huit ans, avait vu l’auteur, et même elle lui fit un legs par son testament. L’auteur a souvent entendu dire à feu l’abbé de Châteauneuf que Mme de Maintenon avait fait ce qu’elle avait pu pour engager Ninon à se faire dévote, et à venir la consoler à Versailles de l’ennui de la grandeur et de la vieillesse. (Note de Voltaire.)
  2. Ce dialogue est imprimé, dès 1751, dans les Œuvres de Voltaire. Il a été question de Mme de Maintenon dans les Anecdotes, pages 244-245 ; et Voltaire en parle dans beaucoup d’autres endroits. Anne, ou Ninon de Lenclos, née le 10 novembre 1620, mourut le 17 octobre 1705, à quatre-vingt-cinq ans moins un mois. Voltaire lui donne quatre-vingt-huit ans dans la note qui précède ; voyez l’opuscule : Sur mademoiselle de Lenclos, page 507.