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CONSEILS À M. RACINE.

m. racine.

Quel Dieu contraire au nôtre[1] aurait pu nous apprendre
Qu’en soutenant un dogme il faut, pour le défendre,
Armés de fer, saisis d’un long emportement,
Dans un cœur obstiné plonger son argument ?

(Ch. VI, 315-18.)
m. de voltaire.

Déjà de la carrière
L’auguste vérité vient m’ouvrir la barrière ;
Déjà ces tourbillons l’un par l’autre pressés,
Se mouvant sans espace, et sans règle entassés,
Ces fantômes savants à mes yeux disparaissent.
Un jour plus pur me luit ; les mouvements renaissent,
L’espace qui de Dieu contient l’immensité
Voit rouler dans son sein l’univers limité ;
Cet univers si vaste à notre faible vue,
Et qui n’est qu’un atome, un point dans l’étendue.

(Épître à madame du Châtelet, 21-30.)
m. racine.

Là, d’un cubique amas, berceau de la nature,
Sortent trois éléments de diverse figure.
Là ces angles qu’entre eux brise leur frottement,
Quand Dieu, qui dans le plein met tout en mouvement,
Pour la première fois fit tourner la matière.
................
Newton ne la voit pas ; mais il voit ou croit voir
Dans un vide étendu tous les corps se mouvoir.

(Ch. V, 237-43.)
m. de voltaire.

Adoucit-il les traits de sa main vengeresse[2] ?
Punira-t-il, hélas ! des moments de faiblesse,
Des plaisirs passagers, pleins de trouble et d’ennui,
Par des tourments affreux, éternels comme lui ?

m. racine.

Mais, pour quelque douceur rapidement goûtée,
Qui console en sa soif une âme tourmentée,
Croirons-nous qu’en effet il s’irrite si fort,
Et pour un peu de miel condamne-t-il à mort ?

(Ch. VI, 23-26.)
  1. C’est ce qu’on lit dans la première édition, sur laquelle Voltaire a fait ses remarques. Racine a mis depuis : « Quels barbares docteurs auraient pu, etc. »
  2. M. de Voltaire me permettra d’adoucir ainsi ces vers, dont le sens me paraît trop dur quand il est positif. (Note de Voltaire.) — Nous avons déjà fait remarquer que Voltaire n’avait pas donné ces Conseils sous son nom ; dans la Henriade, chant VII, vers 225-20, on lit :

    Il adoucit les traits de sa main vengeresse ;
    Il ne sait point punir, etc.