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UTILE EXAMEN SUR LE SIEUR ROUSSEAU.

qui est une sotte fanfare, est une phrase digne de Chapelain. C’est le sort des copistes d’imiter les gestes de leurs maîtres par des contorsions. Voilà ce que le style de Rousseau est très-souvent par rapport à celui de Despréaux. Il était permis, dans l’enfance de la littérature, de dérober quelque chose aux anciens, et de rester au-dessous d’eux ; mais si l’on veut imiter un moderne, on n’évite guère le nom de plagiaire qu’en surpassant son modèle. Mais on le surpasse rarement : il y a toujours un tour lâche ou contraint dans le pinceau de l’imitateur.

Voici, par exemple, un endroit de la Henriade[1] qu’il faut comparer à l’imitation que Rousseau en a faite, quelques années après l’impression de ce poëme :

Loin du faste de Rome et des pompes mondaines,
Des temples consacrés aux vanités humaines,
Dont l’appareil superbe impose à l’univers,
L’humble Religion se cache en des déserts :
Elle y vit avec Dieu dans une paix profonde ;
Cependant que son nom, profané dans le monde,
Est le prétexte saint des fureurs des tyrans,
Le bandeau du vulgaire, et le mépris des grands.

Rousseau, dans une de ses dernières allégories[2], dit de la vertu :

Dans un désert éloigné des mortels,
D’un peu d’encens offert sur ses autels.
Et des douceurs de son humble retraite,
Elle vivait contente et satisfaite.
Là, pour défense et pour divinité,
Elle n’avait que sa sécurité.

On ne peut rien de plus faible que ces vers : d’ailleurs tout y manque de justesse. Si le désert est éloigné des hommes, on n’y peut faire fumer d’encens. Et la divinité de la vertu est-elle la sécurité ?

Ces comparaisons mèneraient trop loin. Le peu qu’on vient de dire suffit pour engager les jeunes auteurs à oser penser d’après eux-mêmes. Celui qui imite toujours ne mérite assurément pas d’être imité.

On les exhorte surtout à respecter la langue dans leurs écrits. La plupart des expressions de Rousseau ne sont pas françaises.

  1. Chant IV, 263-70.
  2. La Vérité, vers 67 et suiv.