La Henriade/Chant 4

(Redirigé depuis La Henriade/4)
Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 8 (p. 108-126).
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CHANR QUATRIÈME

ARGUMENT
D’Aumale était près de se rendre maître du camp de Henri III lorsque le héros, revenant d’Angleterre, combat les ligueurs, et fait changer la fortune. La Discorde console Mayenne et vole à Rome pour y chercher du secours. Description de Rome, où régnait alors Sixte-Quint. La Discorde y trouve la Politique ; elle revient avec elle à Paris, soulève la Sorbonne, anime les Seize contre le Parlement, et arme les moines. On livre à la main du bourreau des magistrats qui tenaient pour le parti des rois. Troubles et confusion horrible dans Paris.


Tandis que, poursuivant leurs entretiens secrets,
Et pesant à loisir de si grands intérêts,
Ils épuisaient tous deux la science profonde
De combattre, de vaincre, et de régir le monde,
La Seine, avec effroi, voit sur ses bords sanglants
Les drapeaux de la Ligue abandonnés aux vents.
Valois, loin de Henri, rempli d’inquiétude,
Du destin des combats craignait l’incertitude.
À ses desseins flottants il fallait un appui ;
Il attendait Bourbon, sûr de vaincre avec lui.
Par ces retardements les ligueurs s’enhardirent ;
Des portes de Paris leurs légions sortirent :
Le superbe d’Aumale, et Nemours, et Brissac,
Le farouche Saint-Paul, La Châtre, Canillac,
D’un coupable parti défenseurs intrépides,
Épouvantaient Valois de leurs succès rapides ;
Et ce roi, trop souvent sujet au repentir,
Regrettait le héros qu’il avait fait partir.
Parmi ces combattants, ennemis de leur maître,
Un frère[1] de Joyeuse osa longtemps paraître.

Ce fut lui que Paris vit passer tour à tour
Du siècle au fond d’un cloître, et du cloître à la cour :
Vicieux, pénitent, courtisan, solitaire,
Il prit, quitta, reprit la cuirasse et la haire.
Du pied des saints autels arrosés de ses pleurs,
Il courut de la Ligue animer les fureurs,
Et plongea dans le sang de la France éplorée
La main qu’à l’Éternel il avait consacrée.
Mais de tant de guerriers, celui dont la valeur
Inspira plus d’effroi, répandit plus d’horreur,
Dont le cœur fut plus fier et la main plus fatale,
Ce fut vous, jeune prince, impétueux d’Aumale,
Vous, né du sang lorrain, si fécond en héros,
Vous, ennemi des rois, des lois, et du repos.
La fleur de la jeunesse en tout temps l’accompagne :
Avec eux sans relâche il fond dans la campagne ;
Tantôt dans le silence, et tantôt à grand bruit,
À la clarté des cieux, dans l’ombre de la nuit,
Chez l’ennemi surpris portant partout la guerre,
Du sang des assiégeants son bras couvrait la terre.
Tels du front du Caucase, ou du sommet d’Athos,
D’où l’œil découvre au loin l’air, la terre, et les flots,
Les aigles, les vautours, aux ailes étendues[2],
D’un vol précipité fendant les vastes nues,
Vont dans les champs de l’air enlever les oiseaux,
Dans les bois, sur les près, déchirent les troupeaux,
Et dans les flancs affreux de leurs roches sanglantes
Remportent à grands cris ces dépouilles vivantes.
Déjà plein d’espérance, et de gloire enivré,

Aux tentes de Valois il avait pénétré.
La nuit et la surprise augmentaient les alarmes :
Tout pliait, tout tremblait, tout cédait à ses armes.
Cet orageux torrent, prompt à se déborder[3],
Dans son choc ténébreux allait tout inonder.
L’étoile du matin commençait à paraître :
Mornay, qui précédait le retour de son maître,
Voyait déjà les tours du superbe Paris.
D’un bruit mêlé d’horreur il est soudain surpris ;
Il court, il aperçoit dans un désordre extrême
Les soldats de Valois, et ceux de Bourbon même :
« Juste ciel ! est-ce ainsi que vous nous attendiez ?
Henri va vous défendre ; il vient, et vous fuyez !
Vous fuyez, compagnons ! » Au son de sa parole,
Comme on vit autrefois au pied du Capitole
Le fondateur de Rome, opprimé des Sabins,
Au nom de Jupiter arrêter ses Romains,
Au seul nom de Henri les Français se rallient ;
La honte les enflamme, ils marchent, ils s’écrient :
« Qu’il vienne, ce héros, nous vaincrons sous ses yeux. »
Henri dans le moment paraît au milieu d’eux,
Brillant comme l’éclair au fort de la tempête :
Il vole aux premiers rangs, il s’avance à leur tête ;
Il combat, on le suit il change les destins :
La foudre est dans ses yeux, la mort est dans ses mains.
Tous les chefs ranimés autour de lui s’empressent ;
La victoire revient, les ligueurs disparaissent,
Comme aux rayons du jour qui s’avance et qui luit,
S’est dissipé l’éclat des astres de la nuit.
C’est en vain que d’Aumale arrête sur ces rives
Des siens épouvantés les troupes fugitives ;
Sa voix pour un moment les rappelle aux combats :
La voix du grand Henri précipite leurs pas ;
De son front menaçant la terreur les renverse ;
Leur chef les réunit, la crainte les disperse.
D’Aumale est avec eux dans leur fuite entraîné ;
Tel que du haut d’un mont de frimas couronné,
Au milieu des glaçons et des neiges fondues,
Tombe et roule un rocher qui menaçait les nues.

Mais que dis-je ! Il s’arrête, il montre aux assiégeants,
Il montre encor ce front redouté si longtemps.
Des siens qui l’entraînaient, fougueux, il se dégage :
Honteux de vivre encore, il revole au carnage,
Il arrête un moment son vainqueur étonné ;
Mais d’ennemis bientôt il est environné.
La mort allait punir son audace fatale.
La Discorde le vit, et trembla pour d’Aumale.
La barbare qu’elle est a besoin de ses jours :
Elle s’élève en l’air, et vole à son secours.
Elle approche ; elle oppose au nombre qui l’accable
Son bouclier de fer, immense, impénétrable,
Qui commande au trépas, qu’accompagne l’horreur,
Et dont la vite inspire ou la rage ou la peur.
Ô fille de l’enfer ! Discorde inexorable,
Pour la première fois tu parus secourable !
Tu sauvas un héros, tu prolongeas son sort,
De cette même main, ministre de la mort,
De cette main barbare, accoutumée aux crimes,
Qui jamais jusque-là n’épargna ses victimes.
Elle entraîne d’Aumale aux portes de Paris,
Sanglant, couvert de coups qu’il n’avait point sentis.
Elle applique à ses maux une main salutaire ;
Elle étanche ce sang répandu pour lui plaire :
Mais tandis qu’à son corps elle rend la vigueur,
De ses mortels poisons elle infecte son cœur.
Tel souvent un tyran, dans sa pitié cruelle,
Suspend d’un malheureux la sentence cruelle ;
À ses crimes secrets il fait servir son bras,
Et, quand ils sont commis, il le rend au trépas.
Henri sait profiter de ce grand avantage,
Dont le sort des combats honora son courage.
Des moments dans la guerre il connaît tout le prix[4] :
Il presse au même instant ses ennemis surpris ;
Il veut que les assauts succèdent aux batailles ;
Il fait tracer leur perte autour de leurs murailles.
Valois, plein d’espérance, et fort d’un tel appui,

Donne aux soldats l’exemple, et le reçoit de lui ;
Il soutient les travaux, il brave les alarmes.
La peine a ses plaisirs, le péril a ses charmes.
Tous les chefs sont unis, tout succède à leurs vœux ;
Et bientôt la Terreur, qui marche devant eux,
Des assiégés tremblants dissipant les cohortes,
À leurs yeux éperdus allait briser leurs portes.
Que peut faire Mayenne en ce péril pressant ?
Mayenne a pour soldats un peuple gémissant.
Ici, la fille en pleurs lui redemande un père ;
Là, le frère effrayé pleure au tombeau d’un frère[5].
Chacun plaint le présent, et craint pour l’avenir ;
Ce grand corps alarmé ne peut se réunir.
On s’assemble, on consulte, on veut fuir ou se rendre,
Tous sont irrésolus, nul ne veut se défendre :
Tant le faible vulgaire, avec légèreté,
Fait succéder la peur à la témérité !
Mayenne, en frémissant, voit leur troupe éperdue :
Cent desseins partageaient son âme irrésolue,
Quand soudain la Discorde aborde ce héros,
Fait siffler ses serpents, et lui parle en ces mots[6] :
« Digne héritier d’un nom redoutable à la France,
Toi qu’unit avec moi le soin de ta vengeance,
Toi, nourri sous mes yeux et formé sous mes lois,
Entends ta protectrice, et reconnais ma voix.
Ne crains rien de ce peuple imbécile et volage,
Dont un faible malheur a glacé le courage ;
Leurs esprits sont à moi, leurs cœurs sont dans mes mains.
Tu les verras bientôt, secondant nos desseins,
De mon fiel abreuvés, à mes fureurs en proie,
Combattre avec audace, et mourir avec joie.
La Discorde aussitôt, plus prompte qu’un éclair,
Fend d’un vol assuré les campagnes de l’air.

Partout chez les Français le trouble et les alarmes
Présentent à ses yeux des objets pleins de charmes :
Son haleine en cent lieux répand l’aridité ;
Le fruit meurt en naissant, dans son germe infecté
Les épis renversés sur la terre languissent ;
Le ciel s’en obscurcit, les astres en pâlissent ;
Et la foudre en éclats, qui gronde sous ses pieds,
Semble annoncer la mort aux peuples effrayés.
Un tourbillon la porte à ces rives fécondes
Que l’Éridan rapide arrose de ses ondes.
Rome enfin se découvre à ses regards cruels ;
Rome, jadis son temple, et l’effroi des mortels ;
Rome, dont le destin dans la paix, dans la guerre[7],
Est d’être en tous les temps maîtresse de la terre.
Par le sort des combats on la vit autrefois
Sur leurs trônes sanglants enchaîner tous les rois ;
L’univers fléchissait sous son aigle terrible.
Elle exerce en nos jours un pouvoir plus paisible :
On la voit sous son joug asservir ses vainqueurs,
Gouverner les esprits, et commander aux cœurs ;
Ses avis font ses lois, ses décrets sont ses armes.
Près de ce Capitole où régnaient tant d’alarmes,
Sur les pompeux débris de Bellone et de Mars[8],
Un pontife est assis au trône des césars ;
Des prêtres fortunés foulent d’un pied tranquille
Les tombeaux des Catons et la cendre d’Émile.
Le trône est sur l’autel, et l’absolu pouvoir
Met dans les mêmes mains le sceptre et l’encensoir.

Là, Dieu même a fondé son Église naissante,
Tantôt persécutée, et tantôt triomphante :
Là, son premier apôtre, avec la Vérité,
Conduisit la Candeur et la Simplicité.
Ses successeurs heureux quelque temps l’imitèrent,
D’autant plus respectés que plus ils s’abaissèrent.
Leur front d’un vain éclat n’était point revêtu ;
La pauvreté soutint leur austère vertu ;
Et, jaloux des seuls biens qu’un vrai chrétien désire,
Du fond de leur chaumière ils volaient au martyre.
Le temps, qui corrompt tout, changea bientôt leurs mœurs ;
Le ciel, pour nous punir, leur donna des grandeurs.
Rome, depuis ce temps, puissante et profanée,
Au conseil des méchants se vit abandonnée :
La trahison, le meurtre, et l’empoisonnement,
De son pouvoir nouveau fut l’affreux fondement.
Les successeurs du Christ au fond du sanctuaire
Placèrent sans rougir l’inceste et l’adultère ;
Et Rome, qu’opprimait leur empire odieux,
Sous ces tyrans sacrés regretta ses faux dieux.
On écouta depuis de plus sages maximes ;
On sut ou s’épargner ou mieux voiler les crimes.
De l’Église et du peuple on régla mieux les droits[9] ;
Rome devint l’arbitre, et non l’effroi des rois ;
Sous l’orgueil imposant du triple diadème,
La modeste vertu reparut elle-même.
Mais l’art de ménager le reste des humains
Est, surtout aujourd’hui, la vertu des Romains.
Sixte alors était roi de l’Église et de Rome[10].
Si, pour être honoré du titre de grand homme,
Il suffit d’être faux, austère, et redouté,
Au rang des plus grands rois Sixte sera compté.
Il devait sa grandeur à quinze ans d’artifices ;
Il sut cacher, quinze ans, ses vertus et ses vices :
Il sembla fuir le rang qu’il brûlait d’obtenir,
Et s’en fit croire indigne afin d’y parvenir.

Sous le puissant abri de son bras despotique,
Au fond du Vatican régnait la Politique,
Fille de l’Intérêt et de l’Ambition,
Dont naquirent la Fraude et la Séduction.
Ce monstre ingénieux, en détours si fertile,
Accablé de soucis, paraît simple et tranquille ;
Ses yeux creux et perçants, ennemis du repos,
Jamais du doux sommeil n’ont senti les pavots ;
Par ses déguisements, à toute heure elle abuse
Les regards éblouis de l’Europe confuse :
Le Mensonge subtil qui conduit ses discours,
De la Vérité même empruntant le secours,
Du sceau du Dieu vivant empreint ses impostures,
Et fait servir le ciel à venger ses injures.
À peine la Discorde avait frappé ses yeux,
Elle court dans ses bras d’un air mystérieux ;
Avec un ris malin la flatte, la caresse ;
Puis prenant tout à coup un ton plein de tristesse :
« Je ne suis plus, dit-elle, en ces temps bienheureux
Où les peuples séduits me présentaient leurs vœux,
Où la crédule Europe, à mon pouvoir soumise,
Confondait dans mes lois les lois de son Église.
Je parlais ; et soudain les rois humiliés
Du trône, en frémissant, descendaient à mes pieds ;
Sur la terre, à mon gré, ma voix soufflait les guerres ;
Du haut du Vatican je lançais les tonnerres ;
Je tenais dans mes mains la vie et le trépas ;
Je donnais, j’enlevais, je rendais les États.
Cet heureux temps n’est plus[11]. Le sénat de la France
Éteint presque en mes mains les foudres que je lance[12] ;
Plein d’amour pour l’Église, et pour moi plein d’horreur,

Il ôte aux nations le bandeau de l’erreur[13].
C’est lui qui, le premier, démasquant mon visage,
Vengea la vérité, dont j’empruntais l’image.
Que ne puis-je, ô Discorde ! ardente à te servir,
Le séduire lui-même, ou du moins le punir !
Allons, que tes flambeaux rallument mon tonnerre :
Commençons par la France à ravager la terre ;
Que le prince et l’État retombent dans nos fers. »
Elle dit, et soudain s’élance dans les airs.
Loin du faste de Rome, et des pompes mondaines,
Des temples consacrés aux vanités humaines,
Dont l’appareil superbe impose à l’univers,
L’humble Religion se cache en des déserts :
Elle y vit avec Dieu dans une paix profonde ;
Cependant que son nom, profané dans le monde,
Est le prétexte saint des fureurs des tyrans,
Le bandeau du vulgaire, et le mépris des grands.
Souffrir est son destin, bénir est son partage :
Elle prie en secret pour l’ingrat qui l’outrage ;
Sans ornement, sans art, belle de ses attraits,
Sa modeste beauté se dérobe à jamais
Aux hypocrites yeux de la foule importune
Qui court à ses autels adorer la Fortune[14].
Son âme pour Henri brillait d’un saint amour ;
Cette fille des cieux sait qu’elle doit un jour,
Vengeant de ses autels le culte légitime,
Adopter pour son fils ce héros magnanime :

Elle l’en croyait digne, et ses ardents soupirs
Hâtaient cet heureux temps, trop lent pour ses désirs.
Soudain la Politique et la Discorde impie
Surprennent en secret leur auguste ennemie.
Elle lève à son Dieu ses yeux mouillés de pleurs :
Son Dieu, pour l’éprouver, la livre à leurs fureurs.
Ces monstres, dont toujours elle a souffert l’injure,
De ses voiles sacrés couvrent leur tête impure,
Prennent ses vêtements respectés des humains,
Et courent dans Paris accomplir leurs desseins.
D’un air insinuant, l’adroite Politique
Se glisse au vaste sein de la Sorbonne antique ;
C’est là que s’assemblaient ces sages révérés,
Des vérités du ciel interprètes sacrés,
Qui, des peuples chrétiens arbitres et modèles,
À leur culte attachés, à leur prince fidèles,
Conservaient jusqu’alors une mâle vigueur,
Toujours impénétrable aux flèches de l’erreur.
Qu’il est peu de vertus qui résistent sans cesse !
Du monstre déguisé la voix enchanteresse
Ébranle leurs esprits par ses discours flatteurs.
Aux plus ambitieux elle offre des grandeurs ;
Par l’éclat d’une mitre elle éblouit leur vue :
De l’avare en secret la voix lui fut vendue ;
Par un éloge adroit le savant enchanté,
Pour prix d’un vain encens trahit la vérité ;
Menacé par sa voix, le faible s’intimide.
On s’assemble en tumulte, en tumulte on décide.
Parmi les cris confus, la dispute, et le bruit,
De ces lieux, en pleurant, la Vérité s’enfuit.
Alors au nom de tous un des vieillards s’écrie :
« L’Église fait les rois, les absout, les châtie ;
En nous est cette Église, en nous seuls est sa loi :
Nous réprouvons Valois, il n’est plus notre roi.
Serments[15] jadis sacrés, nous brisons votre chaîne ! »

À peine a-t-il parlé, la Discorde inhumaine
Trace en lettres de sang ce décret odieux.
Chacun jure par elle, et signe sous ses yeux[16].

Soudain elle s’envole, et d’église en église
Annonce aux factieux cette grande entreprise ;

Sous l’habit d’Augustin, sous le froc de François,
Dans les cloîtres sacrés fait entendre sa voix ;
Elle appelle à grands cris tous ces spectres austères,
De leur joug rigoureux esclaves volontaires.
« De la Religion reconnaissez les traits,
Dit-elle, et du Très Haut vengez les intérêts.
C’est moi qui viens à vous, c’est moi qui vous appelle.
Ce fer, qui dans mes mains à vos yeux étincelle,
Ce glaive redoutable à nos fiers ennemis,
Par la main de Dieu même en la mienne est remis.
Il est temps de sortir de l’ombre de vos temples :
Allez d’un zèle saint répandre les exemples ;
Apprenez aux Français, incertains de leur foi,
Que c’est servir leur Dieu que d’immoler leur roi.
Songez que de Lévi la famille sacrée[17],
Du ministère saint par Dieu même honorée[18],
Mérita cet honneur en portant à l’autel
Des mains teintes du sang des enfants d’Israël.
Que dis-je ? où sont ces temps, où sont ces jours prospères,
Où j’ai vu les Français massacrés par leurs frères ?
C’était vous, prêtres saints, qui conduisiez leurs bras ;
Coligny par vous seul a reçu le trépas.

J’ai nagé dans le sang ; que le sang coule encore
Montrez-vous, inspirez ce peuple qui m’adore !
Le monstre au même instant donne à tous le signal ;
Tous sont empoisonnés de son venin fatal ;
Il conduit dans Paris leur marche solennelle ;
L’étendard[19] de la croix flottait au milieu d’elle.
Ils chantent ; et leurs cris, dévots et furieux,
Semblent à leur révolte associer les cieux.
On les entend mêler, dans leurs vœux fanatiques,
Les imprécations aux prières publiques.
Prêtres audacieux, imbéciles soldats,
Du sabre et de l’épée ils ont chargé leurs bras ;
Une lourde cuirasse a couvert leur cilice.
Dans les murs de Paris cette infâme milice
Suit, au milieu des flots d’un peuple impétueux,
Le Dieu, ce Dieu de paix, qu’on porte devant eux.
Mayenne, qui de loin voit leur folle entreprise,
La méprise en secret, et tout haut l’autorise ;
Il sait combien le peuple, avec soumission,
Confond le fanatisme et la religion ;
Il connaît ce grand art, aux princes nécessaire,
De nourrir la faiblesse et l’erreur du vulgaire.
À ce pieux scandale enfin il applaudit ;
Le sage s’en indigne, et le soldat en rit.
Mais le peuple excité jusques aux cieux envoie
Des cris d’emportement, d’espérance, et de joie ;

Et comme à son audace a succédé la peur,
La crainte en un moment fait place à la fureur.
Ainsi l’ange des mers, sur le sein d’Amphitrite,
Calme à son gré les flots, à son gré les irrite.
La Discorde a choisi seize[20] séditieux,
Signalés par le crime entre les factieux.
Ministres insolents de leur reine nouvelle,
Sur son char tout sanglant ils montent avec elle ;
L’Orgueil, la Trahison, la Fureur, le Trépas,
Dans des ruisseaux de sang marchent devant leurs pas.
Nés dans l’obscurité, nourris dans la bassesse,
Leur haine pour les rois leur tient lieu de noblesse ;
Et jusque sous le dais par le peuple portés,
Mayenne, en frémissant, les voit à ses côtés :
Des jeux de la Discorde ordinaires caprices,
Qui souvent rend égaux ceux qu’elle rend complices[21].
Ainsi, lorsque les vents, fougueux tyrans des eaux[22],
De la Seine ou du Rhône ont soulevé les flots,
Le limon croupissant dans leurs grottes profondes
S’élève, en bouillonnant, sur la face des ondes ;
Ainsi, dans les fureurs de ces embrasements
Qui changent les cités en de funestes champs,
Le fer, l’airain, le plomb, que les feux amollissent,
Se mêlent dans la flamme à l’or qu’ils obscurcissent.
Dans ces jours de tumulte et de sédition,

Thémis résistait seule à la contagion ;
La soif de s’agrandir, la crainte, l’espérance,
Rien n’avait dans ses mains fait pencher sa balance ;
Son temple était sans tache, et la simple Équité
Auprès d’elle, en fuyant, cherchait sa sûreté.
Il était dans ce temple un sénat vénérable,
Propice à l’innocence, au crime redoutable,
Qui, des lois de son prince et l’organe et l’appui,
Marchait d’un pas égal entre son peuple et lui.
Dans l’équité des rois sa juste confiance
Souvent porte à leurs pieds les plaintes de la France :
Le seul bien de l’État fait son ambition ;
Il hait la tyrannie et la rébellion ;
Toujours plein de respect, toujours plein de courage,
De la soumission distingue l’esclavage ;
Et, pour nos libertés toujours prompt à s’armer,
Connaît Rome, l’honore, et la sait réprimer[23].
Des tyrans de la Ligue une affreuse cohorte
Du temple de Thémis environne la porte :
Bussi les conduisait ; ce vil gladiateur,
Monté par son audace à ce coupable honneur,
Entre, et parle en ces mots à l’auguste assemblée
Par qui des citoyens la fortune est réglée :
« Mercenaires appuis d’un dédale de lois,
Plébéiens, qui pensez être tuteurs des rois,
Lâches, qui dans le trouble et parmi les cabales
Mettez l’honneur honteux de vos grandeurs vénales ;
Timides dans la guerre, et tyrans dans la paix,
Obéissez au peuple, écoutez ses décrets.
Il fut des citoyens avant qu’il fût des maîtres.
Nous rentrons dans les droits qu’ont perdus nos ancêtres.
Ce peuple fut longtemps par vous-même abusé ;
Il s’est lassé du sceptre, et le sceptre est brisé[24].
Effacez ces grands noms qui vous gênaient sans doute,
Ces mots de plein pouvoir, qu’on hait et qu’on redoute :
Jugez au nom du peuple ; et tenez au sénat,

Non la place du roi, mais celle de l’État :
Imitez la Sorbonne, ou craignez ma vengeance.
Le sénat répondit par un noble silence.
Tels, dans les murs de Rome abattus et brûlants,
Ces sénateurs courbés sous le fardeau des ans
Attendaient fièrement, sur leur siège immobiles,
Les Gaulois et la mort avec des yeux tranquilles.
Bussi, plein de fureur, et non pas sans effroi :
Obéissez, dit-il, tyrans, ou suivez-moi… »
Alors Harlay se lève, Harlay, ce noble guide,
Ce chef d’un parlement juste autant qu’intrépide ;
Il se présente aux Seize, il demande des fers,
Du front dont il aurait condamné ces pervers[25].
On voit auprès de lui les chefs de la justice,
Brûlant de partager l’honneur de son supplice,
Victimes de la foi qu’on doit aux souverains,
Tendre aux fers des tyrans leurs généreuses mains[26].
Muse, redites-moi ces noms chers à la France ;
Consacrez ces héros qu’opprima la licence,
Le vertueux de Thou[27], Molé, Scarron, Bayeul,

Potier, cet homme juste, et vous, jeune Longueil,
Vous en qui, pour hâter vos belles destinées,
L’esprit et la vertu devançaient les années.
Tout le sénat enfin, par les Seize enchaîné,
À travers un vil peuple en triomphe est mené
Dans cet affreux château[28], palais de la vengeance,
Qui renferme souvent le crime et l’innocence[29].
Ainsi ces factieux ont changé tout l’État ;
La Sorbonne est tombée, il n’est plus de sénat…
Mais pourquoi ce concours et ces cris lamentables ?
Pourquoi ces instruments de la mort des coupables ?
Qui sont ces magistrats que la main d’un bourreau,
Par l’ordre des tyrans, précipite au tombeau ?
Les vertus dans Paris ont le destin des crimes.
Brisson, Larcher, Tardif[30], honorables victimes,

Vous n’êtes point flétris par ce honteux trépas :
Mânes trop généreux, vous n’en rougissez pas[31] ;
Vos noms toujours fameux vivront dans la mémoire ;
Et qui meurt pour son roi meurt toujours avec gloire[32].
Cependant la Discorde, au milieu des mutins,
S’applaudit du succès de ses affreux desseins :
D’un air fier et content, sa cruauté tranquille
Contemple les effets de la guerre civile ;
Dans ces murs tout sanglants, des peuples malheureux
Unis contre leur prince, et divisés entre eux,
Jouets infortunés des fureurs intestines,
De leur triste patrie avançant les ruines ;
Le tumulte au dedans, le péril au dehors,
Et partout le débris, le carnage, et les morts.

  1. Henri, comte de Bouchage, frère puîné du duc de Joyeuse, tué à Coutras. Un jour qu'il passait à Paris, à quatre heures du matin, près du couvent des Capucins, après avoir passe la nuit en débauche, il s'imagina que les anges chantaient les matines dans le couvent. Frappé de cette idée, il se fit capucin sous le nom de frère Ange. Depuis il quitta son froc, et prit les armes contre Henri IV. Le duc de Mayenne le fit gouverneur du Languedoc, duc et pair, et maréchal de France. Enfin il fit son accommodement avec le roi; mais un jour ce prince étant avec lui sur un balcon au-dessous duquel beaucoup de peuple était assemblé : « Mon cousin, lui dit Henri IV, ces gens-ci me paraissent fort aises de voir ensemble un apostat et un renégat. » Cette parole du roi fit rentrer Joyeuse dans son couvent, où il mourut. (Note de Voltaire, 1730.)
  2. La Fontaine a dit, livre IX, fable ii :
    Quand des nues
    Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.
  3. Racine a dit dans Mithridate, acte III, scène i :
    Ils savent que sur eux, prêt à se déborder,
    Ce torrent, s'il m'entraîne, ira tout inonder.
  4. Racine avait dit, dans Athalie, acte III, scène III :
    Et d'un instant perdu connaissait tout le prix.
  5. Dans l’Art poétique de Boileau, chant IV, vers 4 et 5, il y a :
    Là, le fils orphelin lui redemande un père;
    Ici, le frère pleure un frère empoisonné.
  6. Boileau a dit, dans le Lutrin, chant I, vers 42 :
    Fait siffler ses serpents, l'excite à la vengeance.
  7. Dans l’Année littéraire, 1760, tome II, page 109, on remarque que l'idée des vers sur Rome est prise dans le poëme de Saint-Prosper contre les ingrats, et l'on rapporte quelques vers de la traduction par Sacy :
    Rome · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
    Plus grande par la foi que jadis par la guerre,
    Étant chef de l'Église, est le chef de la terre.

    Godeau, évêque de Vence, dans son Êpître à sa bibliothèque, a dit :
    Rome, dont le destin, soit en paix, soit en guerre,
    Est de se voir toujours la reine de la terre. (B.)
  8. Boileau, satire X, vers 481 :
    Sur le pompeux débris des lances espagnoles.
  9. Voyez l’ Histoire des Papes. (Note de Voltaire, 1741.)
  10. Sixte-Quint, étant cardinal de Montalte, contrefit si bien l'imbécile près de quinze années, qu'on l'appelait communément l'âne d'Ancône. On sait avec quel artifice il obtint la papauté, et avec quelle hauteur il régna. (Note de Voltaire, 1730.)
  11. Boileau a dit dans le Lutrin, chant II, vers 133 :
    Ce doux siècle n'est plus .

    Racine, dans Phèdre, acte Ier, scène i :
    Cet heureux temps n'est plus.
  12. En 1570, le parlement donna un fameux arrêt contre la bulle In cœna Domini. On connaît ses remontrances célèbres sous Louis XI, au sujet de la pragmatique sanction : celles qu'il fit à Henri III contre la bulle scandaleuse de Sixte-Quint, qui appelait la maison régnante génération bâtarde, et sa fermeté constante à soutenir nos libertés contre les prétentions de la cour de Rome. (Note de Voltaire, 1730.) — En 1730, la note était plus ample; elle commençait ainsi : « On sait que. pendant les guerres du xiii e siècle entre les empereurs et les pontifes de Rome, Grégoire IX eut la hardiesse non-seulement d'excommunier l'empereur Frédéric II, mais encore d'offrir la couronne impériale à Robert, frère de saint Louis : le parlement de France assemblé répondit, au nom du roi, que ce n'était pas au pape à déposséder un souverain, ni au frère d'un roi de France à recevoir d'un pape une couronne sur laquelle ni lui ni le saint-père n'avaient aucun droit. En 1580, le parlement sédentaire donna, etc. » (B.)
  13. On a souvent appliqué ce vers à l'auteur de la Henriade, et M. Wirchter l'avait mis pour légende à la médaille qu'il a frappée. Cette médaille est fort rare, parce qu'à Genève on exigea de M. Wirchter de supprimer sa légende. (K.)

    — Le graveur que les éditeurs de Kehl appellent Wirchter est appelé Waechter par Colini. (B.)
  14. Boileau a dit, satire II, vers 66 :
    Je ne vais point au Louvre adorer la Fortune.
  15. Le 7 de janvier de l'an 1589, la Faculté de théologie de Paris donna ce fameux décret par lequel il fut déclaré que les sujets étaient déliés de leur serment de fidélité, et pouvaient légitimement faire la guerre au roi. Le Fèvre, doyen, et quelques-uns des plus sages, refusèrent de signer. Depuis, dès que la Sorbonne fut libre, elle révoqua ce décret, que la tyrannie de la Ligue avait arraché de quelques-uns de son corps. Tous les ordres religieux qui, comme la Sorbonne, s'étaient déclarés contre la maison royale, se rétractèrent depuis comme elle. Mais si la maison de Lorraine avait eu le dessus, se serait-on rétracté ? (Note de Voltaire. 1730.)
  16. Nous avons cru devoir imprimer ici le décret de la Sorborne, qui ne se trouve que dans des livres qu'on ne lit plus,

    DÉCRET DE LA FACULTÉ DE PARIS.

    contre henri iii.


    RESPONSUM FACULTATIS THEOLOGICÆ PARISIENSIS.


    « Anno Domini millesimo quingentesimo octogesimo nono, die soptima mensis januarii, sacratissima theologiæ Facultas Parisiensis congregata fuit apud collegium Sorbonæ, post publicam supplicationem omnium ordinum dictæ Facultatis, et missam de Sancto Spiritu ibidem colebratam, postulantibus clarissimis DD. præfecto. ædilibus consulibus, et catholicis civibus almæ urbis Parisiensis, tam viva voce quam publico instrumento et tabellis per eorumdem actuarium obsignatis, et publico urbis sigillo munitis, deliberatura super duobus sequentibus articulis qui deprompti sunt ex libelle supplice prædictorum civium, cujus ténor est hujus modi, »

    RÉPONSE DE LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE PARIS.


    « L'an du Seigneur 1589, 7 janvier, à la réquisition des gouverneur, officiers de la ville, et des babitants catholiques, qui ont présenté un acte public, signé par leur greffier, et scellé du sceau public de la ville, la très-sacrée Faculté de théologie de Paris, après une procession solennelle de tous les ordres de ladite Faculté, et la célébration de la messe du Saint-Esprit, s'est assemblée pour délibérer sur les deux articles suivants, qui sont extraits de la requête des susdits habitants, dont voici la teneur :

    A monseigneur le duc d'Aumale, gouverneur, et à messieurs les prévôt des marchands et échevins de la ville de Paris.


    « Vous remontrent humblement les bons bourgeois, manants et habitants de la ville de Paris, que plusieurs desdits habitants et autres de ce royaume sont en peine et scrupule de conscience pour prendre résolution sur les préparatifs qui se font pour la conservation de la religion catholique, apostolique, et romaine, de cette ville de Paris et de tout l'État de ce royaume, à l’encontre des desseins cruellement exécutés à Blois, et infraction de la foi publique, au préjudice de ladite religion, et de l'édit d'union, et de la naturelle liberté de la convocation des états : sur quoi lesdits suppliants désireroient avoir une sainte et véritable résolution. Ce considéré, il vous plaise promouvoir que messieurs de la Faculté de théologie soient assemblés pour délibérer sur ces points, circonstances et dépendances : et s'il est permis de s'assembler, s'unir et contribuer contre le roi; et si nous sommes
    encore liés du serment que nous lui avons juré, pour sur ce donner leur avis et résolution.

    « Soit la présente requête renvoyée par-devers messieurs de la Faculté de théologie, lesquels seront suppliés s'assembler et donner sur ce leur résolution. Fait le septième janvier mil cinq cent qnatre-vingt-neuf : signé Éverard, et scellé du sceau public de la ville. »

    ARTICULI DE QUIBUS DELIBERATUM EST A PRÆDICTA FACULTATE.

    « An populus regni Galliæ sit liberatus et solutus a sacramento fidelitatis et obcdientiæ Henrico Tertio præstito?

    « An tuta conscientia possit idem populus armari, uniri, et pecunias colligere, et contribuere ad defensionem et conservationem religionis catholicæ, apostolicæ, et romanæ, in hoc regno, adversus nefaria consilia et conatus prædicti régis et quorumlibet illi adhærentium, et contra fidei publicæ violationem ab eo Blesis factam, in præjudicium prædictæ religionis catholicæ, et edicti sanctæ unionis, et naturalis libertatis convocationis trium ordinum hujus regni?

    « Super quibus articulis, audita omnium et singulorum magistrorum, qui ad septuaginta convenerant, matura, accurata, et libera deliberatione, et auditis multis et variis rationibus. quæ magna ex parte tum ex Scripturis sacris, tum canonicis sanctionibus et decretis pontificum in médium disertissimis verbis productæ sunt ; conclusum est a domino decano ejusdem Facultatis, nemine refragante, et hoc per modum consilii, ad liberandas conscientias prædicti populi :

    « Primum, quod populus hujus regni solutus est et liberatus a sacramento fidelitatis et obedientiæ præfato Henrico régi præstito;

    « Deinde, quod idem populus licite et tuta conscientia potest armari, uniri, et pecunias colligere , et contribuere ad defensionem et conservationem religionis catholicæ, apostolicæ, et romanæ, adversus nefaria consilia et conatus prædicti régis et quorumlibet illi adhærentium, ex quo fidem publicam violavit, in præjudicium prædictæ religionis catliolicæ, et edicti sanctæ unionis, et naturalis libertatis convocationis trium ordinum hujus regni.

    « Quam conclusionem insuper visum est eidem Parisiensi Facultati transmittendam esse ad sanctissimum D. nostrum papam, ut eam sanctæ sedis apostolicæ auctoritate probare et confirmare, et eadem opéra Ecclesiæ gallicanæ, gravissime laboranti, opem et auxilium præstaro dignetur. »

    ARTICLES SUR LESQUELS IL A ÉTÉ DÉLIBÉRÉ PAR LA SUSDITE FACULTÉ.

    « Si le peuple du royaume de France est délié du serment de fidélité prêté à Henri III?

    « Si le même peuple peut en sûreté de conscience s’armer, s’unir, lever de l’argent, et contribuer pour la défense et conservation de la religion catholique, apostolique, et romaine, dans ce royaume, contre les horribles projets et attentats du susdit roi et de ses adhérents, et contre l’infraction de la foi publique par lui commise à Blois, au préjudice de la susdite religion catholique, de l’édit de la sainte union, et de la liberté naturelle de la convocation des états?

    « Après avoir ouï sur ces articles la délibération mûre, exacte, et libre, de tous les docteurs assemblés au nombre de soixante et dix, et avoir entendu plusieurs raisons différentes, tirées en grande partie tant des saintes Écritures que des saints canons et des décrets des pontifes, il a été conclu par monsieur le doyen de la même Faculté, sans réclamation, et ce, par forme de conseil, pour lever les scrupules dudit peuple :

    « D’abord, que le peuple de ce royaume est délié du serment de fidélité prêté au roi Henri ;

    « Ensuite, que le même peuple peut en sûreté de conscience s’armer, s’unir, lever de l'argent, et contribuer pour la défense et conservation de la religion catholique, apostolique, et romaine, contre les horribles projets et attentats du susdit roi et de ses adhérents, depuis qu'il a violé la foi publique, au préjudice de la susdite religion catholique, de l'édit de la sainte union, et de la liberté naturelle de la convocation des états.

    « De plus, la même Faculté de Paris a jugé à propos d'envoyer cette conclusion au pape, pour qu'il daigne l'approuver et confirmer par l'autorité du Saint-Siège apostolique, et, par ce moyen, secourir l'Église gallicane, qui est dans le plus pressant danger. » (K.)

  17. Ces vers sont une imitation de ceux d'Athalie, acte IV, scène iii :
    Ne descendez-vous pas de ces fameux lévites
    Qui, lorsqu'au dieu du Nil le volage Israël
    Rendit dans le désert un culte criminel,
    De leurs plus chers parents saintement homicides,
    Consacrèrent leurs mains dans le sang des perfides ;
    Et par ce noble exploit vous acquirent l'honneur
    D'être seuls employés aux autels du Seigneur ?

    Mais dans Athalie c'est un prophète inspiré de Dieu qui parle, et ici c'est le démon de la Discorde. (K.)
  18. Racine a dit, dans Athalie, acte IV, scène ii :
    Entrez, généreux chefs des familles sacrées,
    Du ministère saint tour à tour honorées.
  19. Dès que Henri III et le roi de Navarre parurent en armes devant Paris, la plupart des moines endossèrent la cuirasse, et firent la garde avec les bourgeois. Cependant cet endroit du poëme désigne la procession de la Ligue, où douze cents moines armés firent la revue dans Paris, ayant Guillaume Rose, évêque de Senlis, à leur tête. (Note de Voltaire, 1723.) On a placé ici ce fait, quoiqu'il ne soit arrivé qu'après la mort de Henri III. (Id., 1730.)

    — Au lieu de la phrase qui termine cette note, on lit dans l'édition de 1723 : « Cette procession extravagante, que l'on appela à Paris la Drôlerie, se fit en 1590. Ce fut à cette belle cérémonie qu'un moine, qui avait malheureusement un mousquet chargé à balles, tua un aumônier du cardinal Caïetan, dans le carrosse de ce légat, qui s'était arrêté au bout du pont Notre-Dame pour voir passer cette mascarade. L'auteur du Catholicon a transporté cette procession en 1593, aux états de la Ligue; et par la même liberté on la place, dans ce poëme, sous Henri III, en 1589, selon la règle qui veut qu'un poète épique, dans l'arrangement des événements, ait plus d'égard à l'ordonnance de son dessein qu'à l'exacte vérité de l'histoire. » (B.)
  20. Ce n'est point à dire qu'il n'y eût que seize particuliers séditieux, comme l'a marqué l'abbé Legendre dans sa petite Histoire de France ; mais on les nomma les Seize, à cause des seize quartiers de Paris qu'ils gouvernaient par leurs intelligences et leurs émissaires. Ils avaient mis d'abord à leur tête seize des plus factieux de leur corps. Les principaux étaient Bussi-Le-Clerc, gouverneur de la Bastille, ci-devant maître en fait d'armes; La Bruyère, lieutenant particulier; le commissaire Louchart; Emmonot et Morin, procureurs; Oudinet, Passart, et surtout Senault, commis au greffe du parlement, homme de beaucoup d'esprit, qui le premier développa cette question, obscure et dangereuse, du pouvoir qu'une nation peut avoir sur son roi. Je dirai en passant que Senault était père du P. J.-F. Senault, cet homme éloquent, qui est mort général des prêtres de l'Oratoire en France. (Note de Voltaire, 1730.)

    — En donnant à cette note la date de 1730, je dois remarquer que le premier membre de la première phrase et toute la dernière phrase sont de 1741. (B.)
  21. Les Seize furent longtemps indépendants du duc de Mayenne. L'un d'eux, nommé Normand, dit un jour dans la chambre du duc : « Ceux qui l'ont fait pourraient bien le défaire. » (Note de Voltaire, 1730.)
  22. Ce vers et les sept qui le suivent sont de 1730.
  23. Cette peinture du parlement ne ressemble guère à celle que Voltaire fera quarante ans plus tard. (G. A.)
  24. Vers qui furent populaires en 1789 et 1792. (G. A.)
  25. Achorée dit dans Corneille, en parlant de Pompée :
    · · · · · · · · · · · · · · · Et s'avance au trépas
    Avec le même front qu'il donnait les États.

    Pompée, acte II, scène ii.
  26. Le 16 janvier 1589,Bussi-Le-Clerc, l'un des Seize, qui de tireur d'armes était devenu gouverneur de la Bastille, et le chef de cette faction, entra dans la grand' chambre du parlement, suivi de cinquante satellites : il présenta au parlement une requête, ou plutôt un ordre, pour forcer cette compagnie à ne plus reconnaître la maison royale.

    Sur le refus de la compagnie, il mena lui-même à la Bastille tous ceux qui étaient opposés à son parti; il les y fit jeûner au pain et à l'eau, pour les obliger à se racheter plus tôt de ses mains : voilà pourquoi on l'appelait le grand-pénitencier du parlement. (Note de Voltaire, 1730.)
  27. Augustin de Thou, second du nom, oncle du célèbre historien; il eut la charge de président du fameux Pibrac en 1585.

    Mole ne peut être qu'Edouard Mole, conseiller au parlement, mort en 1631.

    Scarron était le bisaïeul du fameux Scarron, si connu par ses poésies et par l'enjouement de son esprit.

    Bayeul était oncle du surintendant dos finances.

    Nicolas Potier de Novion de Blancménil, président à mortier, se nommait Blancménil, à cause de la terre de ce nom, qui depuis tomba dans la maison de
    Lamoignon, par le mariage de sa petite-fille avec le président de Lamoignon.

    Nicolas Potier ne fut pas, à la vérité, conduit à la Bastille avec les autres membres du parlement, car il n'était pas venu ce jour-là à la grand'chambre; mais il fut depuis emprisonné au Louvre, dans le temps de la mort de Brisson. On voulut lui faire le même traitement qu'à ce président. On l'accusait d'avoir une correspondance secrète avec Henri IV. Les Seize lui firent son procès dans les formes, afin de mettre de leur coté les apparences de la justice, et de ne plus effaroucher le peuple par des exécutions précipitées, que l'on regardait comme des assassinats. Enfin, comme Blancménil allait être condamné à être pendu, le duc de Mayenne revint à Paris. Ce prince avait toujours eu pour Blancménil une vénération qu'on ne pouvait réfuser à sa vertu; il alla lui-même le tirer de prison. Le prisonnier se jeta à ses pieds, et lui dit : « Monseigneur, je vous ai obligation de la vie; mais j'ose vous demander un plus grand bienfait, c'est de me permettre de me retirer auprès de Henri IV, mon légitime roi : je vous reconnaîtrai toute ma vie pour mon bienfaiteur; mais je ne puis vous servir comme mon maître. » Le duc de Mayenne, touché de ce discours, le releva, l'embrassa, et le renvoya à Henri IV. Le récit de cette aventure, avec l'interrogatoire de Blancménil, sont encore dans les papiers de M. le président de Novion d'aujourd'hui. Bussi-Le-Clerc avait été d'abord maître en fait d'armes, et ensuite procureur. Quand le hasard et le malheur des temps l'eut mis en quelque crédit, il prit le surnom de Bussi, comme s'il eut été aussi redoutable que le fameux Bussi d'Amboise. Il se faisait aussi nommer Bussi Grande-Puissance. (Note de Voltaire, 1723 et 1730.) — Dans l'édition de 1723, l'alinéa qui concerne Bussi-Le-Clerc est terminé par ces mots : « On l'appela le grand-pénitencier du parlement, parce qu'il faisait jeûner à la Bastille les magistrats qu'il y avait enfermés. » Cela fut, en 1730, reporté dans la note précédente. Au reste, Bussi ne se faisait pas nommer Grande-Puissance ; c'est une inadvertance de Voltaire, relevée par Leduchat (Ducatiana, I, 14), qui rapporte le texte de L'Estoile, que voici : « Mais par-dessus tous les autres brigands avoit ce M. Bussi-Le-Clerc (car ainsi se faisoit-il appeler) la grande puissance. » (B.)
  28. La Bastille. (Note de Voltaire, 1723.)
  29. Vers souvent cités aussi lors de la prise de la Bastille (G. A.)
  30. En 1591, un vendredi 15 novembre, Barnabé Brisson, homme très-savant, et qui faisait les fonctions de premier président, en l'absence d'Achille de Harlay; Claude Larcher, conseiller aux enquêtes, et Jean Tardif, conseiller au Châtelet, furent pendus à une poutre dans le petit Châtelet, par l'ordre des Seize. Il est à remarquer que Hamilton, curé de Saint-Côme, furieux ligueur, était venu prendre lui-même Tardif dans sa maison, ayant avec lui des prêtres qui servaient d'archers. (Note de Voltaire, 1730.) — Voyez, sur ces événements, l'ouvrage intitulé Histoire du Parlement : l'auteur y parle comme historien; ici, il parle comme poëte. (K.)
  31. Racine a dit dans Andromaque , acte III, scène viii
    Pensez-vous qu'après tout ses mânes en rougissent?
  32. Tyrtée, dans le premier des fragments qui nous restent de lui, avait déjà vanté la mort du guerrier expirant pour son pays :
    Il est beau qu'un guerrier, à son poste immobile,
    Meure pour sa patrie, et meure aux premiers rangs.

    (Traduction de M. Firmin Didot.)
     
    Horace a dit, livre II, ode II, vers 13 :
    Dulce et décorum est pro patria mori.

    On lit dans Corneille :
    Le peuple est trop heureux quand il meurt pour son roi.