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THÉISME.

soigneusement examiné par ce célèbre chirurgien, aussi connu par sa probité que par ses lumières[1] ? L’estampe qu’il dessina est intitulée Parties d’un hermaphrodite nègre, âgé de vingt-six ans, qui avait les deux sexes. Ils n’étaient pas absolument parfaits ; mais c’était un mélange étonnant de l’un et de l’autre.

Cheselden m’attesta plusieurs fois la vérité de ce prodige, qui n’en est peut-être pas un dans certains cantons de l’Afrique. Les deux sexes n’étaient pas complets en tout dans cet animal ; mais qui m’assurera que d’autres nègres, ou des jaunes, ou des rouges, ne sont pas quelquefois entièrement mâles et femelles ? J’aimerais autant dire qu’on ne peut faire de statues parfaites, parce que nous n’en aurions vu que de défectueuses. Il y a des insectes qui ont les deux sexes : pourquoi ne serait-il pas une race d’hommes qui les aurait aussi ? Je n’affirme rien, Dieu m’en préserve ! Je doute.

Que de choses dans l’animal homme dont il faut douter : depuis sa glande pinéale jusqu’à sa rate, dont l’usage est inconnu ; et depuis le principe de sa pensée et de ses sensations jusqu’aux esprits animaux, dont tout le monde parle, et que personne ne vit jamais !



THÉISME[2].


Le théisme est une religion répandue dans toutes les religions ; c’est un métal qui s’allie avec tous les autres, et dont les veines s’étendent sous terre aux quatre coins du monde. Cette mine est plus à découvert, plus travaillée à la Chine ; partout ailleurs elle est cachée, et le secret n’est que dans les mains des adeptes.

Il n’y a point de pays où il y ait plus de ces adeptes qu’en Angleterre. Il y avait, au dernier siècle, beaucoup d’athées en ce pays-là, comme en France et en Italie. Ce que le chancelier Bacon avait dit se trouve vrai à la lettre, qu’un peu de philosophie rend un homme athée, et que beaucoup de philosophie mène à la connaissance d’un Dieu. Lorsqu’on croyait, avec Épicure, que le hasard fait tout, ou, avec Aristote, et même avec plusieurs anciens théologiens, que rien ne naît que par corruption, et qu’avec de la matière et du mouvement le monde va tout seul, alors on pou-

  1. Cheselden, que Voltaire avait beaucoup connu à Londres, est encore cité pour ses travaux dans les Éléments de philosophie de Newton.
  2. Mélanges, troisième partie, 1756 ; mais imprimé, dès 1742, sous le titre de Déisme, dans le tome V des Œuvres. (B.)