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SUPPLICES.

servante qui a volé douze serviettes à sa maîtresse, elle aurait pu donner à votre ville une douzaine d’enfants que vous étouffez ; qu’il n’y a nulle proportion entre douze serviettes et la vie[1], et qu’enfin vous encouragez le vol domestique parce que nul maître ne sera assez barbare pour faire pendre son cocher qui lui aura volé de l’avoine et qui le ferait punir pour le corriger si la peine était proportionnée.

Que les juges et les législateurs sont coupables de la mort de tous les enfants que de pauvres filles séduites abandonnent ou laissent périr, ou étouffent par la même faiblesse qui les a fait naître.

Et c’est sur quoi je veux vous conter ce qui vient d’arriver dans la capitale d’une sage et puissante république[2], qui, toute sage qu’elle est, a le malheur d’avoir conservé quelques lois barbares de ces temps antiques et sauvages qu’on appelle le temps des bonnes mœurs.

On trouve auprès de cette capitale un enfant nouveau-né et mort : on soupçonne une fille d’en être la mère ; on la met au cachot ; on l’interroge ; elle répond qu’elle ne peut avoir fait cet enfant puisqu’elle est grosse. On la fait visiter par ce qu’on appelle si mal à propos des sages-femmes, des matrones. Ces imbéciles attestent qu’elle n’est point enceinte ; que ses vidanges retenues ont enflé son ventre. La malheureuse est menacée de la question ; la peur trouble son esprit : elle avoue qu’elle a tué son enfant prétendu : on la condamne à la mort. Elle accouche pendant qu’on lui lit sa sentence. Ses juges apprennent qu’il ne faut pas prononcer des arrêts de mort légèrement.

À l’égard de ce nombre innombrable de supplices, dans lesquels des fanatiques imbéciles ont fait périr tant d’autres fanatiques imbéciles, je n’en parlerai plus, quoiqu’on ne puisse trop en parler.

Il ne se commet guère de vols sur les grands chemins en Italie sans assassinats, parce que la peine de mort est la même pour l’un et l’autre crime.

Sans doute que M. de Beccaria en parle dans son Traité des Délits et des Peines.

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1766, l’article xviii du Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines.
  2. Genève.