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SUPPLICES.

Le cardinal de Richelieu, en allant à Lyon se donner le plaisir de faire exécuter Cinq-Mars et de Thou, apprit que le bourreau s’était cassé la jambe : « Quel malheur, dit-il au chancelier Seguier, nous n’avons point de bourreau. » J’avoue que cela était bien triste ; c’était un fleuron qui manquait à sa couronne. Mais enfin on trouva un vieux bonhomme qui abattit la tête de l’innocent et sage de Thou en douze coups de sabre. De quelle nécessité était cette mort ? Quel bien pouvait faire l’assassinat juridique du maréchal de Marillac ?

Je dirai plus : si le duc Maximilien de Sully n’avait pas forcé le bon Henri IV à faire exécuter le maréchal de Biron, couvert de blessures reçues à son service, peut-être Henri n’aurait-il pas été assassiné lui-même ; peut-être cet acte de clémence, si bien placé après la condamnation, aurait adouci l’esprit de la Ligue, qui était encore très-violent ; peut-être n’aurait-on pas crié sans cesse aux oreilles du peuple : Le roi protége toujours les hérétiques, le roi maltraite les bons catholiques, le roi est un avare, le roi est un vieux débauché qui, à l’âge de cinquante-sept ans, est amoureux de la jeune princesse de Condé, ce qui réduit son mari à s’enfuir du royaume avec sa femme. Toutes ces flammes du mécontentement universel n’auraient pas mis le feu à la cervelle du fanatique feuillant Ravaillac.

Quant à ce qu’on appelle communément la justice, c’est-à-dire l’usage de tuer un homme parce qu’il aura volé un écu à son maître, ou de le brûler, comme Simon Morin[1], pour avoir dit qu’il a eu des conversations avec le Saint-Esprit, et comme on a brûlé un vieux fou de jésuite nommé Malagrida[2], pour avoir imprimé les entretiens que la sainte vierge Marie avait avec sa mère sainte Anne quand elle était dans son ventre, etc., cet usage, il en faut convenir, n’est ni humain ni raisonnable, et ne peut jamais être de la moindre utilité.

Nous avons déjà demandé[3] quel avantage pouvait résulter pour l’État de la mort d’un pauvre homme connu sous le nom du fou de Verberie[4], qui, dans un souper chez des moines, avait

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1766, le paragraphe vii du Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines.
  2. Voyez, tome XV, le chapitre xxxviii du Précis du Siècle de Louis XV.
  3. Voyez dans les Mélanges, année 1771, la Méprise d’Arras.
  4. Le personnage que Voltaire appelle, comme tout le monde, Fou de Verberie (voyez dans les Mélanges, année 1771, la Méprise d’Arras), mais qu’il ne nomme jamais, est Jacques Rinquet, prêtre du diocèse de Cambrai, condamné à mort et exécuté en décembre 1762, âgé de plus de cinquante ans : il avait été jésuite, ou du moins se donna pour tel chez les mathurins de Verberie, où, dans les premiers jours de septembre, il avait dit qu’il se rendait à Paris pour relever son ordre, et que s’il ne venait pas à bout de son dessein, il ferait imprimer un livre intitulé la Religion inconnue... ; qu’il n’y avait point de religion en France, et qu’il n’y avait personne capable d’exécuter une action semblable à ce qui s’était passé en Russie (Pierre III venait d’y être assassiné) ; que lors de l’attentat de Damiens, c’était lui et non Malagrida qui était dans la cour du château, à Versailles ; qu’il s’appelait Guillaume Perène, natif d’Amiens, etc. Le reste de ses discours n’est pas plus sensé. (B.)