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STYLE.

drait trop cher ses prodiges s’il nous en coûtait vos dangers, ou ceux du jeune héros qui forme nos plus chères espérances.


SECTION II.
SUR LA CORRUPTION DU STYLE[1].

On se plaint généralement que l’éloquence est corrompue, quoique nous ayons des modèles presque en tous les genres. Un des plus grands défauts de ce siècle, qui contribue le plus à cette décadence, c’est le mélange des styles. Il me semble que nous autres auteurs, nous n’imitons pas assez les peintres, qui ne joignent jamais des attitudes de Callot à des figures de Raphaël. Je vois qu’on affecte quelquefois dans des histoires, d’ailleurs bien écrites, dans de bons ouvrages dogmatiques, le ton le plus familier de la conversation. Quelqu’un a dit autrefois[2] qu’il faut écrire comme on parle ; le sens de cette loi est qu’on écrive naturellement. On tolère dans une lettre l’irrégularité, la licence du style, l’incorrection, les plaisanteries hasardées, parce que des lettres écrites sans dessein et sans art sont des entretiens négligés ; mais quand on parle ou qu’on écrit avec respect, on s’astreint alors à la bienséance. Or je demande à qui on doit plus de respect qu’au public ?

Est-il permis de dire, dans des ouvrages de mathématique, « qu’un géomètre qui veut faire son salut doit monter au ciel en ligne perpendiculaire ; que les quantités qui s’évanouissent donnent du nez en terre pour avoir voulu trop s’élever ; qu’une semence qu’on a mise le germe en bas s’aperçoit du tour qu’on lui joue, et se relève ; que si Saturne périssait, ce serait son cinquième satellite, et non le premier, qui prendrait sa place, parce que les rois éloignent toujours d’eux leurs héritiers ; qu’il n’y a de vide que dans la bourse d’un homme ruiné ; qu’Hercule était un physicien, et qu’on ne pouvait résister à un philosophe de cette force » ?

Des livres très-estimables sont infectés de cette tache. La

  1. Ce morceau est le fragment d’une lettre adressée à M. Lefèvre, le même à qui Voltaire écrivit la Lettre sur les inconvénients de la littérature (Correspondance, année 1732). Il paraît avoir été imprimé pour la première fois en 1746. (B.)
  2. Voltaire l’a dit, dans le Supplément du Discours aux Welches (voyez Mélanges, année 1764) ; dans sa lettre à d’Olivet, du 5 janvier 1767 (voyez cette lettre dans la Correspondance), et en 1770, dans ses Questions sur l’Encyclopédie (voyez Dictionnaire philosophique, article A). La date de ces morceaux prouve que ce n’est à aucun d’eux que Voltaire renvoie ici.