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SCOLIASTE.

les chats, qui étaient en grande considération, étant devenus enragés, communiquèrent la rage du schisme à la plupart des Égyptiens qui avaient la tête faible.

On remarque surtout que les Grecs qui voyagèrent en Égypte, comme Timée de Locres et Platon, eurent le cerveau un peu blessé ; mais ce n’était ni la rage ni la peste proprement dite : c’était une espèce de délire dont on ne s’apercevait même que difficilement, et qui était souvent caché sous je ne sais quelle apparence de raison. Mais les Grecs ayant, avec le temps, porté leur mal chez les nations de l’Occident et du Septentrion, la mauvaise disposition des cerveaux de nos malheureux pays fit que la petite fièvre de Timée de Locres et de Platon devint chez nous une contagion effroyable, que les médecins appelèrent tantôt intolérance, tantôt persécution, tantôt guerre de religion, tantôt rage, tantôt peste.

Nous avons vu quels ravages ce fléau épouvantable a faits sur la terre. Plusieurs médecins se sont présentés de nos jours pour extirper ce mal horrible jusque dans sa racine. Mais qui le croirait ? Il se trouve des facultés entières de médecine à Salamanque, à Coïmbre, en Italie, à Paris même, qui soutiennent que le schisme, la déchirure, est nécessaire à l’homme ; que les mauvaises humeurs s’évacuent par les blessures qu’elle fait ; que l’enthousiasme, qui est un des premiers symptômes du mal, exalte l’âme, et produit de très-bonnes choses ; que la tolérance est sujette à mille inconvénients ; que si tout le monde était tolérant, les grands génies manqueraient de ce ressort qui a produit tant de beaux ouvrages théologiques ; que la paix est un grand malheur pour un État, parce que la paix amène les plaisirs, et que les plaisirs, à la longue, pourraient adoucir la noble férocité qui forme les héros ; que si les Grecs avaient fait un traité de commerce avec les Troyens, au lieu de leur faire la guerre, il n’y aurait eu ni d’Achille, ni d’Hector, ni d’Homère, et que le genre humain aurait croupi dans l’ignorance.

Ces raisons sont fortes, je l’avoue ; je demande du temps pour y répondre.



SCOLIASTE[1].


Par exemple, Dacier et son illustre épouse[2] étaient, quoi qu’on dise, des traducteurs et des scoliastes très-utiles. C’était encore

  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)
  2. André Dacier était né à Castres. L’amour du grec et du latin le conduisit à Saumur pour y prendre les leçons de Tanneguy Lefèvre, fameux helléniste. Le jeune homme et la fille de son professeur s’éprirent l’un de l’autre en étudiant ensemble. Ils se marièrent, vinrent se fixer à Paris en 1672, et commencèrent une suite considérable de travaux sur les écrivains de l’antiquité. Mme Dacier a publié Aurelius Victor et Eutrope ; elle a traduit Sapho, Anacréon, Térence, Homère, des comédies d’Aristophane et de Plaute. André Dacier a donné des traductions de la Poétique d’Aristote, des vers de Plutarque, des œuvres d’Hippocrate et de Platon. Son édition d’Horace, avec traduction en regard et notes, publiée à Paris de 1681 à 1689, en dix volumes in-12, malgré les imperfections que Voltaire signale, est un répertoire où peuvent fouiller avec fruit tous ceux qui désirent bien connaître la civilisation latine.

    André Dacier et Anne Lefèvre, sa femme, étaient nés tous deux en 1651. L’identité des goûts et des études avait accru la sympathie qui les unissait. La femme mourut en 1720. À partir de cette époque, le mari ne fit plus que languir, et deux ans après il s’éteignit.

    André Dacier était membre de l’Académie française et de l’Académie des inscriptions. (E. B.)