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POLYTHÉISME

des polypes d’eau douce[1]. Que devient son sensorium, sa mémoire, son magasin d’idées, son âme, quand on lui a coupé la tête ? Comment tout cela revient-il ? Une âme qui renaît est un phénomène bien curieux ! Non, cela n’est pas plus étrange qu’une âme produite, une âme qui dort et qui se réveille, une âme détruite[2].



POLYTHÉISME[3].


La pluralité des dieux est le grand reproche dont on accable aujourd’hui les Romains et les Grecs ; mais qu’on me montre dans toutes leurs histoires un seul fait, et dans tous leurs livres un seul mot, dont on puisse inférer qu’ils avaient plusieurs dieux suprêmes ; et si on ne trouve ni ce fait ni ce mot, si au contraire tout est plein de monuments et de passages qui attestent un Dieu souverain, supérieur à tous les autres dieux, avouons que nous avons jugé les anciens aussi témérairement que nous jugeons souvent nos contemporains.

On lit en mille endroits que Zeus, Jupiter, est le maître des dieux et des hommes. Jovis omnia plena[4]. Et saint Paul[5] rend aux anciens ce témoignage : « In ipso vivimus, movemur et sumus, ut quidam vestrorum poetarum dixit. Nous avons en Dieu la vie, le mouvement et l’être, comme l’a dit un de vos poëtes. » Après cet aveu, oserons-nous accuser nos maîtres de n’avoir pas reconnu un Dieu suprême ?

Il ne s’agit pas ici d’examiner s’il y avait eu autrefois un Jupiter roi de Crète, si on en avait fait un dieu ; si les Égyptiens avaient douze grands dieux, ou huit, du nombre desquels était celui que les Latins ont nommé Jupiter. Le nœud de la question est uniquement ici de savoir si les Grecs et les Romains recon-

  1. Fin de l’article en 1771 ; le reste est de 1774. (B.)
  2. Phèdre (III, 10) a dit : Periculosum est credere, et non credere. M. de Voltaire porte ici le doute trop loin. Il est difficile de ne pas regarder le polype comme un véritable animal, après avoir lu avec attention les belles expériences de M. Trembley. Au reste, M. de Voltaire ne nie point les faits, mais seulement que les polypes soient des animaux ; et il croit que leur analogie plus forte avec les plantes doit les faire reléguer dans le règne végétal. Voilà ce qu’auraient dû observer ceux qui lui ont reproché cette opinion avec tant d’humeur, et qui avaient eux-mêmes besoin d’indulgence pour des opinions bien moins excusables. Voyez le chapitre iii des Singularités de la nature (Mélanges, année 1768). (K.)
  3. Mélanges, tome V, 1761. (B.) — Voyez la note sur l’article Allégories.
  4. Virgile, Eclog., III. 60.
  5. Dans les Actes des apôtres, xvii, 28.