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LOIS (ESPRIT DES).

de laisser échapper de ces propositions générales. Jamais on n’a pu faire aller à la guerre un Lapon, un Samoyède ; et les Arabes conquirent en quatre-vingts ans plus de pays que n’en possédait l’empire romain. Les Espagnols en petit nombre battirent à la bataille de Mulberg les soldats du nord de l’Allemagne. Cet axiome de l’auteur est aussi faux que tous ceux du climat[1].

« Lopez de Gama dit que les Espagnols trouvèrent près de Sainte-Marthe des paniers où les habitants avaient mis quelques denrées, comme des cancres, des limaçons, des sauterelles. Les vainqueurs en firent un crime aux vaincus. L’auteur avoue que c’est là-dessus qu’on fonda le droit qui rendait les Américains esclaves des Espagnols, outre qu’ils fumaient du tabac, et qu’ils ne se faisaient pas la barbe à l’espagnole. » (Liv. XV, chap. iii. ) — Il n’y a rien dans Lopez de Gama qui donne la moindre idée de cette sottise. Il est trop ridicule d’insérer dans un ouvrage sérieux de pareils traits, qui ne seraient pas supportables même dans les Lettres persanes.

« C’est sur l’idée de la religion que les Espagnols fondèrent le droit de rendre tant de peuples esclaves : car ces brigands, qui voulaient absolument être brigands et chrétiens, étaient très-dévots. » (Liv. XV, chap. iv.) — Ce n’est donc pas sur ce que les Américains ne se faisaient pas la barbe à l’espagnole, et qu’ils fumaient du tabac ; ce n’est donc point parce qu’ils avaient quelques paniers de limaçons et de sauterelles.

Ces contradictions fréquentes coûtent trop peu à l’auteur.

« Louis XIII se fit une peine extrême de la loi qui rendait esclaves les nègres de ses colonies ; mais quand on lui eut bien mis dans l’esprit que c’était la voie la plus sûre pour les convertir, il y consentit. » (Ibid.) — Où l’imagination de l’auteur a-t-elle pris cette anecdote ? La première concession pour la traite des nègres est du 11 novembre 1673. Louis XIII était mort en 1643. Cela ressemble au refus de François Ier d’écouter Christophe Colomb, qui avait découvert les îles Antilles avant que François Ier naquît[2].

« Perry dit que les Moscovites se vendent très-aisément. J’en sais bien la raison, c’est que leur liberté ne vaut rien. » (Liv. XV, chap. vi.) — Nous avons déjà remarqué à l’article Esclavage que Perry ne dit pas un mot de tout ce que l’auteur de l’Esprit des lois lui fait dire.

  1. Voyez Climat.
  2. Voltaire, qui a déjà relevé cet anachronisme à l’article Argent, tome XVII, page 354, y revient dans le paragraphe xxxvii de son Commentaire sur l’Esprit des lois : voyez les Mélanges, année 1777.