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MOÏSE.



MOÏSE.


SECTION PREMIÈRE[1].


La philosophie, dont on a quelquefois passé les bornes, les recherches de l’antiquité, l’esprit de discussion et de critique, ont été poussés si loin qu’enfin plusieurs savants ont douté s’il y avait jamais eu un Moïse, et si cet homme n’était pas un être fantastique, tel que l’ont été probablement Persée, Bacchus, Atlas, Penthésilée, Vesta, Rhéa Sylvia, Isis, Sammonocodom, Fo, Mercure Trismégiste, Odin, Merlin, Francus, Robert le Diable, et tant d’autres héros de romans dont on a écrit la vie et les prouesses.

Il n’est pas vraisemblable, disent les incrédules, qu’il ait existé un homme dont toute la vie est un prodige continuel.

Il n’est pas vraisemblable qu’il eût fait tant de miracles épouvantables en Égypte, en Arabie et en Syrie, sans qu’ils eussent retenti dans toute la terre.

Il n’est pas vraisemblable qu’aucun écrivain égyptien ou grec n’eût transmis ces miracles à la postérité. Il n’en est cependant fait mention que par les seuls Juifs ; et dans quelque temps que cette histoire ait été écrite par eux, elle n’a été connue d’aucune nation que vers le iie siècle. Le premier auteur qui cite expressément les livres de Moïse est Longin, ministre de la reine Zénobie, du temps de l’empereur Aurélien[2].

Il est à remarquer que l’auteur du Mercure Trismègiste, qui certainement était Égyptien, ne dit pas un seul mot de ce Moïse.

Si un seul auteur ancien avait rapporté un seul de ces miracles, Eusèbe aurait sans doute triomphé de ce témoignage, soit dans son Histoire, soit dans sa Préparation évangélique.

Il reconnaît à la vérité des auteurs qui ont cité son nom, mais aucun qui ait cité ses prodiges. Avant lui, les Juifs Josèphe et Philon, qui ont tant célébré leur nation, ont recherché tous les écrivains chez lesquels le nom de Moïse se trouvait; mais il n’y en a pas un seul qui fasse la moindre mention des actions merveilleuses qu’on lui attribue.

  1. Cette section formait tout l’article dans la huitième partie des Questions sur l’Encyclopédie, en 1771. (B.) — Voltaire revient très-souvent sur Moïse ; voyez, entre autres passages, tome XI, page 80 ; et dans les Mélanges, année 1767, les chapitres i, ii, iii, iv, de l’Examen important de milord Bolingbroke ; et année 1769, les chapitres xxii à xxvii de Dieu et les Hommes.
  2. Longin, Traité du Sublime. (Note de Voltaire.)