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LOIS.

Lequel eût le mieux valu, de n’avoir point du tout de lois, ou d’en avoir de pareilles ?

Il a été avantageux à un empire plus vaste que l’empire romain d’être longtemps dans le chaos : car tout étant à faire, il était plus aisé de bâtir un édifice que d’en réparer un dont les ruines seraient respectées[1].

La Thesmophore du Nord assembla, en 1767, des députés de toutes les provinces, qui contenaient environ douze cent mille lieues carrées. Il y avait des païens, des mahométans d’Ali, des mahométans d’Omar, des chrétiens d’environ douze sectes différentes. On proposait chaque loi à ce nouveau synode ; et si elle paraissait convenable à l’intérêt de toutes les provinces, elle recevait alors la sanction de la souveraine et de la nation.

La première loi qu’on porta fut la tolérance, afin que le prêtre grec n’oubliât jamais que le prêtre latin est homme ; que le musulman supportât son frère le païen ; et que le romain ne fût pas tenté de sacrifier son frère le presbytérien.

La souveraine écrivit de sa main dans ce grand conseil de législation : « Parmi tant de croyances diverses, la faute la plus nuisible serait l’intolérance. »

On convint unanimement qu’il n’y a qu’une puissance[2], qu’il faut dire toujours puissance civile et discipline ecclésiastique, et que l’allégorie des deux glaives est le dogme de la discorde.

Elle commença par affranchir les serfs de son domaine particulier.

Elle affranchit tous ceux du domaine ecclésiastique ; ainsi elle créa des hommes.

Les prélats et les moines furent payés du trésor public.

Les peines furent proportionnées aux délits, et les peines furent utiles ; les coupables, pour la plupart, furent condamnés aux travaux publics, attendu que les morts ne servent à rien.

  1. Il s’agit de la Russie et des réformes de Catherine II : « Je viens à présent à l’article Lois, que vous avez bien voulu me communiquer, et qui est si flatteur pour moi, écrit l’impératrice à Voltaire, le 5-16 mars 1771. Assurément, monsieur, sans la guerre que le sultan m’a injustement déclarée, une grande partie de ce que vous dites serait fait ; mais, pour le présent, on ne peut parvenir encore qu’à faire des projets pour les différentes branches du grand arbre de la législation, d’après mes principes, qui sont imprimés, et que vous connaissez. Nous sommes fort occupés à nous battre ; et cela nous donne trop de distraction pour mettre toute l’application convenable à cet immense ouvrage. » Voltaire avait donc envoyé à Catherine cet article avant l’impression. La dernière phrase de cette section semble, du reste, inspirée par la dernière phrase de la lettre impériale. (G. A.)
  2. Voyez l’article Puissance. (Note de Voltaire.)