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EXPIATION.

L’expiation d’Oreste, qui avait vengé son père par le meurtre de sa mère, fut d’aller voler une statue chez les Tartares de Crimée. La statue devait être bien mal faite, et il n’y avait rien à gagner sur un pareil effet. On fit mieux depuis, on inventa les mystères : les coupables pouvaient y recevoir leur absolution en subissant des épreuves pénibles, et en jurant qu’ils mèneraient une nouvelle vie. C’est de ce serment que les récipiendaires furent appelés chez toutes les nations d’un nom qui répond à initiés, qui ineunt vitam novam, qui commencent une nouvelle carrière, qui entrent dans le chemin de la vertu. 

Nous avons vu, à l’article Baptême, que les catéchumènes chrétiens n’étaient appelés initiés que lorsqu’ils étaient baptisés. 

Il est indubitable qu’on n’était lavé de ses fautes dans ces  mystères que par le serment d’être vertueux : cela est si vrai que  l’hiérophante, dans tous les mystères de la Grèce, en congédiant  l’assemblée, prononçait ces deux mots égyptiens : Koth, ompheth,  « veillez, soyez purs » ; ce qui est à la fois une preuve que les  mystères viennent originairement d’Égypte, et qu’ils n’étaient  inventés que pour rendre les hommes meilleurs. 

Les sages, dans tous les temps, firent donc ce qu’ils purent pour inspirer la vertu, et pour ne point réduire la faiblesse humaine au désespoir ; mais aussi il y a des crimes si horribles qu’aucun mystère n’en accorda l’expiation. Néron, tout empereur qu’il était, ne put se faire initier aux mystères de Cérès. Constantin, au rapport de Zosime, ne put obtenir le pardon de ses crimes : il était souillé du sang de sa femme, de son fils, et de tous ses proches. C’était l’intérêt du genre humain que de si grands forfaits demeurassent sans expiation, afin que l’absolution n’invitât pas à les commettre, et que l’horreur universelle pût arrêter quelquefois les scélérats. 

Les catholiques romains ont des expiations qu’on appelle pénitences. Nous avons vu à l’article Austérités quel fut l’abus d’une institution si salutaire. 

Par les lois des barbares qui détruisirent l’empire romain, on expiait les crimes avec de l’argent ; cela s’appelait composer : « componat cum decem, viginti, triginta solidis. » Il en coûtait deux cents sous de ce temps-là pour tuer un prêtre, et quatre cents pour tuer un évêque ; de sorte qu’un évêque valait précisément deux prêtres. 

Après avoir ainsi composé avec les hommes, on composa ensuite  avec Dieu, lorsque la confession fut généralement établie. Enfin le  pape Jean XII, qui faisait argent de tout, rédigea le tarif des péchés.