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JULIEN.

c’était les protéger. Ils ne devaient donc lui faire d’autre reproche que de les avoir quittés et de n’être pas de leur avis ; cependant, ils trouvèrent le moyen de rendre exécrable à la postérité un prince dont le nom aurait été cher à l’univers sans son changement de religion.


SECTION III[1].


Quoique nous ayons déjà parlé de Julien, à l’article Apostat ; quoique nous ayons, à l’exemple de tous les sages, déploré le malheur horrible qu’il eut de n’être pas chrétien, et que d’ailleurs nous ayons rendu justice à toutes ses vertus, cependant nous sommes forcés d’en dire encore un mot.

C’est à l’occasion d’une imposture aussi absurde qu’atroce que nous avons lue par hasard dans un de ces petits dictionnaires dont la France est inondée aujourd’hui, et qu’il est malheureusement trop aisé de faire. Ce dictionnaire théologique est d’un ex-jésuite nommé Paulian[2]; il répète cette fable si décréditée que l’empereur Julien, blessé à mort en combattant contre les Perses, jeta son sang contre le ciel, en s’écriant : Tu as vaincu, Galiléen ; fable qui se détruit d’elle-même, puisque Julien fut vainqueur dans le combat, et que certainement Jésus-Christ n’était pas le dieu des Perses.

Cependant Paulian ose affirmer que le fait est incontestable. Et sur quoi l’affirme-t-il ? Sur ce que Théodoret, l’auteur de tant d’insignes mensonges, le rapporte ; encore ne le rapporte-t-il que comme un bruit vague : il se sert du mot on dit[3]. Ce conte est digne des calomniateurs qui écrivirent que Julien avait sacrifié une femme à la Lune, et qu’on trouva après sa mort un grand coffre rempli de têtes, parmi ses meubles.

Ce n’est pas le seul mensonge et la seule calomnie dont cet ex-jésuite Paulian se soit rendu coupable. Si ces malheureux savaient quel tort ils font à notre sainte religion, en cherchant à l’appuyer par l’imposture et par les injures grossières qu’ils vomissent contre les hommes les plus respectables, ils seraient moins audacieux et moins emportés ; mais ce n’est pas la religion qu’ils veulent soutenir : ils veulent gagner de l’argent par leurs libelles, et, désespérant d’être lus par les gens du monde, ils compilent,

  1. Dans les Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771, tout l’article se composait de cette seule section. (B.)
  2. Dictionnaire philosopho-théologique portatif (par Paulian), 1770, un volume in-8o. Voyez l’Avertissement de Beuchot, tome XVII.
  3. Théodoret, chapitre xxv. (Note de Voltaire.)