Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/546

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
536
JUIFS.

fille de Jephté, réellement immolée, comme nous l’avons déjà prouvé[1] par vos propres livres ?

Comment expliquerez-vous l’anathème des trente-deux pucelles qui furent le partage du Seigneur quand vous prîtes chez les Madianites trente-deux mille pucelles et soixante et un mille ânes ? Je ne vous dirai pas ici qu’à ce compte il n’y avait pas deux ânes par pucelle ; mais je vous demanderai ce que c’était que cette part du Seigneur. Il y eut, selon votre livre des Nombres, seize mille filles pour vos soldats, seize mille filles pour vos prêtres ; et sur la part des soldats on préleva trente-deux filles pour le Seigneur. Qu’en fit-on ? vous n’aviez point de religieuses. Qu’est-ce que la part du Seigneur dans toutes vos guerres, sinon du sang ?

Le prêtre Samuel ne hacha-t-il pas en morceaux le roitelet Agag, à qui le roitelet Saül avait sauvé la vie ? Ne le sacrifia-t-il pas comme la part du Seigneur ?

Ou renoncez à vos livres, auxquels je crois fermement, selon la décision de l’Église, ou avouez que vos pères ont offert à Dieu des fleuves de sang humain, plus que n’a jamais fait aucun peuple du monde.

DES TRENTE-DEUX MILLE PUCELLES, DES SOIXANTE ET QUINZE MILLE BŒUFS,
ET DU FERTILE DÉSERT DE MADIAN.

Que votre secrétaire cesse de tergiverser, d’équivoquer, sur le camp des Madianites et sur leurs villages. Je me soucie bien que ce soit dans un camp ou dans un village de cette petite contrée misérable et déserte que votre prêtre-boucher Éléazar, général des armées juives, ait trouvé soixante et douze mille bœufs, soixante et un mille ânes, six cent soixante et quinze mille brebis, sans compter les béliers et les agneaux !

Or, si vous prîtes trente-deux mille petites filles, il y avait apparemment autant de petits garçons, autant de pères et de mères. Cela irait probablement à cent vingt-huit mille captifs, dans un désert où l’on ne boit que de l’eau saumâtre, où l’on manque de vivres, et qui n’est habité que par quelques Arabes vagabonds, au nombre de deux ou trois mille tout au plus. Vous remarquerez d’ailleurs que ce pays affreux n’a pas plus de huit lieues de long et de large sur toutes les cartes.

Mais qu’il soit aussi grand, aussi fertile, aussi peuplé que la

  1. Au mot Jephté, page 497.