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HEUREUX.

Il se pourrait qu’un scélérat mal élevé, un Turc par exemple, à qui on aurait dit qu’il lui est permis de manquer de foi aux chrétiens, de faire serrer d’un cordon de soie le cou de ses vizirs quand ils sont riches, de jeter dans le canal de la mer Noire ses frères étranglés ou massacrés, et de ravager cent lieues de pays pour sa gloire ; il se pourrait, dis-je, à toute force, que cet homme n’eût pas plus de remords que son muphti, et fût très-heureux. C’est sur quoi le lecteur peut encore penser beaucoup.

Il y avait autrefois des planètes heureuses, d’autres malheureuses ; malheureusement il n’y en a plus.

On a voulu priver le public de ce Dictionnaire utile, heureusement on n’y a pas réussi.

Des âmes de boue, des fanatiques absurdes, préviennent tous les jours les puissants, les ignorants, contre les philosophes. Si malheureusement on les écoutait, nous retomberions dans la barbarie d’où les seuls philosophes nous ont tirés.

HIPATIE, voyez HYPATIE.


HISTOIRE.
SECTION PREMIÈRE[1].
DÉFINITION.

L’histoire est le récit des faits donnés pour vrais, au contraire de la fable, qui est le récit des faits donnés pour faux.

  1. L’article Histoire, de l’Encyclopédie, tome VIII, 1765, se composait, à quelques variantes près : 1° de cette ire section ; 2° de la fin du chapitre v, de tout le chapitre vi, et d’une partie du chapitre vii du Pyrrhonisme de l’histoire (voyez les Mélanges, année 1768) ; 3° du chapitre viii, et du commencement du chapitre ix du même ouvrage ; 4° d’une partie du chapitre xi ; 5° d’une grande partie de la section iii ; et 6° d’une partie de la section iv, ci-après (page 358).

    Dans les Questions sur l’Encyclopédie, en 1771, l’article Histoire commençait par les deux premiers alinéas de ce qui forme aujourd’hui la section ii ; et après ces deux alinéas venait ce qui est la section première.

    La disposition actuelle (à un morceau près), et la division par sections, datent de l’édition de Kehl. (B.)

    — Voici la correspondance entre Voltaire et d’Alembert au sujet de cet article. Voltaire à d’Alembert, 9 décembre 1755 : « Je me chargerais encore volontiers de l’article Histoire, et je crois que je pourrais fournir des choses assez curieuses sur cette partie, sans pourtant entrer dans des détails trop longs ou trop dangereux. » — Le même au même, 9 octobre 1756 : « Je suis bien mécontent de l’article Histoire. J’avais envie de faire voir quel est le style convenable à une histoire générale, celui que demande une histoire particulière, celui que des Mémoires exigent. J’aurais voulu faire voir combien Thoiras l’emporte sur Daniel, et Clarendon sur le cardinal de Retz. Il eût été utile de montrer qu’il n’est pas permis à un compilateur des Mémoires des autres de s’exprimer comme un contemporain ; que celui qui ne donne les faits que de la seconde main n’a pas le droit de s’exprimer comme celui qui rapporte ce qu’il a vu et ce qu’il a fait ; que c’est un ridicule, et non une beauté, de vouloir peindre avec toutes leurs nuances les portraits des gens qu’on n’a point connus ; enfin il y aurait cent choses utiles à dire qu’on n’a point dites encore ; mais j’étais pressé et j’étais malade. » — Le même au même, 29 novembre 1756 : « Je vous prie de me renvoyer l’article Histoire, dont je ne suis point content, et que je veux refondre puisque j’en ai le temps. » — D’Alembert à Voltaire : « Je vous ferai parvenir incessamment l’article Histoire contresigné. » — Voltaire à d’Alembert, 28 décembre 1756 : « Je vous renvoie Histoire, mon cher grand homme ; j’ai bien peur que cela ne soit trop long : c’est un sujet sur lequel on a de la peine à s’empêcher de faire un livre. » — Le même au même, 29 décembre 1757 : « Vous me donnez l’article Historiographe à traiter, mes chers maîtres. Je n’ai point ici la minute de l’article Histoire. Il me semble que je le fis bien vite, et que je le corrigeai encore plus vite et plus mal. Il serait nécessaire que je le revisse, afin que je ne plaçasse point au mot Historiographe ce que j’aurai mis au mot Histoire, et que je pusse mieux mesurer ces deux articles. Si donc vous avez quinze jours devant vous, renvoyez-moi Histoire. Cela est ridicule, je le sais bien ; mais je serais plus ridicule de donner un mauvais article. Je vous renverrai le manuscrit trois jours après l’avoir reçu. » — D’Alembert à Voltaire, 28 janvier 1758 : « Je doute fort que votre article Histoire puisse passer avec les nouveaux censeurs, et je vous renverrai cet article quand vous voudrez, pour y faire les changements que vous avez en vue. Mais rien ne presse ; je doute que le huitième volume se fasse jamais. » Il y eut, en effet, déroute de l’Encyclopédie en 1758 ; Voltaire, indigné, redemanda tous ses articles non parus ; mais on les garda : quand on put reprendre la publication du grand Dictionnaire, ils virent le jour sans qu’il y mît obstacle. (G. A.)