Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Hypatie

Éd. Garnier - Tome 19
◄  Humilité Hypatie Idée   ►


HYPATIE[1].

Je suppose que Mme  Dacier eût été la plus belle femme de Paris, et que, dans la querelle des anciens et des modernes, les carmes eussent prétendu que le poème de la Magdeleine[2], composé par un carme, était infiniment supérieur à Homère, et que c’était une impiété atroce de préférer l’Iliade à des vers d’un moine ; je suppose que l’archevêque de Paris eût pris le parti des carmes contre le gouverneur de la ville, partisan de la belle Mme  Dacier, et qu’il eût excité les carmes à massacrer cette belle dame dans l’église de Notre-Dame, et à la traîner toute nue et toute sanglante dans la place Maubert ; il n’y a personne qui n’eût dit que l’archevêque de Paris aurait fait une mauvaise action, dont il aurait dû faire pénitence.

Voilà précisément l’histoire d’Hypatie. Elle enseignait Homère et Platon dans Alexandrie, du temps de Théodose II. Saint Cyrille déchaîna contre elle la populace chrétienne : c’est ainsi que nous le racontent Damascius et Suidas ; c’est ce que prouvent évidemment les plus savants hommes du siècle, tels que Brucker, La Croze, Basnage, etc. ; c’est ce qui est exposé très-judicieusement dans le grand Dictionnaire encyclopédique, à l’article Éclectisme.

Un homme dont les intentions sont sans doute très-bonnes a fait imprimer deux volumes contre cet article de l’Encyclopédie[3].

Encore une fois, mes amis, deux tomes contre deux pages, c’est trop. Je vous l’ai dit cent fois[4], vous multipliez trop les êtres sans nécessité. Deux lignes contre deux tomes, voilà ce qu’il faut. N’écrivez pas même ces deux lignes.

Je me contente de remarquer que saint Cyrille était homme, et homme de parti ; qu’il a pu se laisser trop emporter à son zèle ; que quand on met les belles dames toutes nues, ce n’est pas pour les massacrer ; que saint Cyrille a sans doute demandé pardon à Dieu de cette action abominable, et que je prie le père des miséricordes d’avoir pitié de son âme. Celui qui a écrit les deux tomes contre l’Éclectisme me fait aussi beaucoup de pitié.



  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. Dans les Mémoires de Desmolets, on trouve, V, 139, une Dissertation sur Hypatie, où l’on justifie Cyrille sur la mort de cette servante ; et, tome VI, 97, une Lettre à l’auteur de la dissertation sur Hypatie. (B.)
  2. La Magdeleine au désert de la Sainte-Baume en Provence, poëme spirituel et chrétien, par le P. Pierre de Saint-Louis, religieux carme de la province de Provence, 1668, in-12 ; réimprimé dans le Recueil de pièces choisies (par La Monnoyé), 1714, deux volumes in-12.
  3. Guillaume Maleville est l’auteur de l’Histoire critique de l’Éclectisme ou des nouveaux Platoniciens, 1766, 2 volumes in-12.
  4. Voyez dans les Mélanges, année 1752, le Fragment d’une lettre écrite à un membre de l’Académie de Berlin, et, année 1772, le paragraphe xxiv de Il faut prendre un parti.


Humilité

Hypatie

Idée