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EMPOISONNEMENTS.

La cantarella, dont on prétend que le pape Alexandre VI, et son bâtard le duc de Borgia, faisaient un grand usage, était, dit-on, la bave d’un cochon rendu enragé en le suspendant par les pieds la tête en bas, et en le battant longtemps jusqu’à la mort : c’était un poison aussi prompt et aussi violent que celui de la vipère. Un grand apothicaire m’assure que la Tofana, cette célèbre empoisonneuse de Naples, se servait principalement de cette recette. Peut-être tout cela n’est-il pas vrai[1]. Cette science est de celles qu’il faudrait ignorer.

Les poisons qui coagulent le sang, au lieu de déchirer les membranes, sont l’opium, la ciguë, la jusquiam, l’aconit, et plusieurs autres. Les Athéniens avaient raffiné jusqu’à faire mourir par ces poisons réputés froids leurs compatriotes condamnés à mort. Un apothicaire était le bourreau de la république. On dit que Socrate mourut fort doucement, et comme on s’endort ; j’ai peine à le croire.

Je fais une remarque sur les livres juifs, c’est que chez ce peuple vous ne voyez personne qui soit mort empoisonné. Une foule de rois et de pontifes périt par des assassinats ; l’histoire de cette nation est l’histoire des meurtres et du brigandage, mais il n’est parlé qu’en un seul endroit d’un homme qui se soit empoisonné lui-même, et cet homme n’est point un Juif : c’était un Syrien nommé Lysias, général des armées d’Antiochus Épiphane. Le second livre des Machabées dit[2] qu’il s’empoisonna ; vitam veneno finivit. Mais ces livres des Machabées sont bien suspects. Mon cher lecteur, je vous ai déjà prié de ne rien croire de léger[3].

Ce qui m’étonnerait le plus dans l’histoire des mœurs des anciens Romains, ce serait la conspiration des femmes romaines pour faire périr par le poison, non pas leurs maris, mais en général les principaux citoyens. C’était, dit Tite-Live, en l’an 423 de la fondation de Rome ; c’était donc dans le temps de la vertu la plus austère ; c’était avant qu’on eût entendu parler d’aucun divorce, quoique le divorce fût autorisé ; c’était lorsque les femmes ne buvaient point de vin, ne sortaient presque jamais de leurs mai-

  1. Il est très-vraisemblable que c’est un conte populaire ; il serait plus facile qu’on ne croit de pénétrer ces prétendus secrets ; mais ceux qui savent quelque chose sur ces objets doivent avoir la prudence de se taire. Ce n’est pas qu’il ne soit utile que ces vérités soient connues, comme toute autre espèce de vérité ; mais on ne doit les publier que dans des ouvrages qui fassent connaître en même temps le danger, les précautions qui peuvent en préserver, et les remèdes. (K.)
  2. Chapitre x, v. 13. (Note de Vollaire.)
  3. Voyez Croire, page 294.