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DIEU, DIEUX.


DIEU[1], DIEUX.


SECTION PREMIÈRE.


On ne peut trop avertir que ce Dictionnaire[2] n’est point fait pour répéter ce que tant d’autres ont dit.

La connaissance d’un Dieu n’est point empreinte en nous par les mains de la nature, car tous les hommes auraient la même idée, et nulle idée ne naît avec nous[3]. Elle ne nous vient point comme la perception de la lumière, de la terre, etc., que nous recevons dès que nos yeux et notre entendement s’ouvrent. Est-ce une idée philosophique ? non. Les hommes ont admis des dieux avant qu’il y eût des philosophes.

D’où est donc dérivée cette idée ? du sentiment et de cette logique naturelle qui se développe avec l’âge dans les hommes les plus grossiers. On a vu des effets étonnants de la nature, des moissons et des stérilités, des jours sereins et des tempêtes, des bienfaits et des fléaux, et on a senti un maître. Il a fallu des chefs pour gouverner des sociétés, et on a eu besoin d’admettre des souverains de ces souverains nouveaux que la faiblesse humaine s’était donnés, des êtres dont le pouvoir suprême fît trembler des hommes qui pouvaient accabler leurs égaux. Les premiers souverains ont à leur tour employé ces notions pour cimenter leur puissance. Voilà les premiers pas, voilà pourquoi chaque petite société avait son dieu. Ces notions étaient grossières, parce que tout l’était. Il est très-naturel de raisonner par analogie. Une société sous un chef ne niait point que la peuplade voisine n’eût aussi son juge, son capitaine ; par conséquent elle ne pouvait nier qu’elle n’eût aussi son dieu. Mais comme chaque peuplade avait intérêt que son capitaine fût le meilleur, elle avait intérêt aussi à croire, et par conséquent elle croyait que son dieu était le plus puissant. De là ces anciennes fables, si longtemps généralement répandues, que les dieux d’une nation combattaient contre les dieux d’une autre. De là tant de passages dans les livres hé-

  1. Voyez aussi Amour de Dieu, tome XVII, page 175.
  2. Cette section n’existe dans aucune édition que je connaisse, soit du Dictionnaire philosophique, soit de la Raison par alphabet, soit des Questions sur l’Enclopédie. Il est à croire que le Dictionnaire dont il s’agit dans cette phrase est l’Opinion en alphabet, dont Voltaire a laissé des articles en manuscrit. (B.) — Voyez, tome XVII, la note 5 de la page viii.
  3. Voyez l’article Idée.