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DÉLUGE UNIVERSEL.

d’indulgence que ces attentats qui sont en horreur à toutes les contrées ? Le juge ne doit-il pas se dire à lui-même : Je n’oserais punir à Raguse ce que je punis à Lorette ? Cette réflexion ne doit-elle pas adoucir dans son cœur cette dureté qu’il n’est que trop aisé de contracter dans le long exercice de son emploi ?

On connaît les kermesses de la Flandre : elles étaient portées dans le siècle passé jusqu’à une indécence qui pouvait révolter des yeux inaccoutumés à ces spectacles.

Voici comme l’on célébrait la fête de Noël dans quelques villes. D’abord paraissait un jeune homme à moitié nu, avec des ailes au dos ; il récitait l’Ave Maria à une jeune fille, qui lui répondait fiat, et l’ange la baisait sur la bouche ; ensuite un enfant enfermé dans un grand coq de carton criait en imitant le chant du coq : Puer natus est nobis. Un gros bœuf en mugissant disait ubi, qu’il prononçait oubi ; une brebis bêlait en criant Bethléem. Un âne criait hihanus, pour signifier eamus ; une longue procession, précédée de quatre fous avec des grelots et des marottes, fermait la marche. Il reste encore aujourd’hui des traces de ces dévotions populaires, que chez des peuples plus instruits on prendrait pour profanations. Un Suisse de mauvaise humeur, et peut-être plus ivre que ceux qui jouaient le rôle du bœuf et de l’âne, se prit de parole avec eux dans Louvain ; il y eut des coups de donnés : on voulut faire pendre le Suisse, qui échappa à peine.

Le même homme eut une violente querelle à la Haye en Hollande, pour avoir pris hautement le parti de Barneveldt contre un gomariste outré. Il fut mis en prison à Amsterdam pour avoir dit que les prêtres sont le fléau de l’humanité et la source de tous nos malheurs. « Eh quoi ! disait-il, si l’on croit que les bonnes œuvres peuvent servir au salut, on est au cachot ; si l’on se moque d’un coq et d’un âne, on risque la corde. » Cette aventure, toute burlesque qu’elle est, fait assez voir qu’on peut être répréhensible sur un ou deux points de notre hémisphère, et être absolument innocent dans le reste du monde[1].


DÉLUGE UNIVERSEL[2].


Nous commençons par déclarer que nous croyons le déluge universel, parce qu’il est rapporté dans les saintes Écritures hébraïques transmises aux chrétiens.

  1. Voyez l’article Crimes ou Délits de temps et de lieu.
  2. Questions sur l’Encyclopédie, quatrième partie, 1771. (B.)