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CROMWELL.

pres paroles : « Ces faquins-là croient que nous cherchons le Seigneur, et nous cherchons que le tire-bouchon. »

Il n’y a guère d’exemple en Europe d’aucun homme qui, venu de si bas, se soit élevé si haut. Mais que lui fallait-il absolument avec tous ses grands talents ? la fortune. Il l’eut, cette fortune ; mais fut-il heureux ? Il vécut pauvre et inquiet jusqu’à quarante-trois ans ; il se baigna depuis dans le sang, passa sa vie dans le trouble, et mourut avant le temps à cinquante-sept ans. Que l’on compare à cette vie celle d’un Newton, qui a vécu quatre-vingt-quatre années, toujours tranquille, toujours honoré, toujours la lumière de tous les êtres pensants, voyant augmenter chaque jour sa renommée, sa réputation, sa fortune, sans avoir jamais ni soins, ni remords, et qu’on juge lequel a été le mieux partagé.

O curas hominum, o quantum est in rebus inane !

(Pers., sat. I, vers 1.)
SECTION II[1].

Olivier Cromwell fut regardé avec admiration par les puritains et les indépendants d’Angleterre ; il est encore leur héros ; mais Richard Cromwell son fils est mon homme.

Le premier est un fanatique qui serait sifflé aujourd’hui[2] dans la chambre des communes s’il y prononçait une seule des inintelligibles absurdités qu’il débitait avec tant de confiance devant d’autres fanatiques qui l’écoutaient la bouche béante et les yeux égarés, au nom du Seigneur. S’il disait qu’il faut chercher le Seigneur, et combattre les combats du Seigneur ; s’il introduisait le jargon juif dans le parlement d’Angleterre, à la honte éternelle de l’esprit humain, il serait bien plus près d’être conduit à Bedlam que d’être choisi pour commander des armées.

Il était brave, sans doute : les loups le sont aussi ; il y a même des singes aussi furieux que des tigres. De fanatique il devint politique habile, c’est-à-dire que de loup il devint renard, monta, par la fourberie, des premiers degrés où l’enthousiasme enragé du temps l’avait placé jusqu’au faîte de la grandeur ; et le fourbe marcha sur les têtes des fanatiques prosternés. Il régna ; mais il

  1. Dans les Questions sur l’Encyclopédie, quatrième partie, 1771, l’article entier se composait de ce qui forme cette seconde section. (B.)
  2. Voyez les articles À propos et Fanatisme, section iv ; et dans les Mélanges, année 1734, la septième des Lettres philosophiques ; et année 1763, la quatrième fausseté, à la suite des Éclaircissements historiques.