Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/À propos, l’apropos

Éd. Garnier - Tome 17
◄  Appel comme d’abus À propos, l’apropos Arabes   ►


À PROPOS, L’APROPOS[1].

L’apropos est comme l’avenir, l’atour, l’ados, et plusieurs termes pareils, qui ne composent plus aujourd’hui qu’un seul mot, et qui en faisaient deux autrefois.

Si vous dites : À propos j’oubliais de vous parler de cette affaire ; alors ce sont deux mots, et à devient une préposition. Mais si vous dites : Voilà un apropos heureux, un apropos bien adroit, apropos n’est plus qu’un seul mot.

Lamotte a dit dans une de ses odes[2] :

Le sage, le prompt Apropos,
Dieu qu’à tort oublia la fable.

Tous les heureux succès en tout genre sont fondés sur les choses dites ou faites à propos.

Arnauld de Bresse, Jean Hus, et Jérôme de Prague, ne vinrent pas assez à propos, ils furent tous trois brûlés ; les peuples n’étaient pas encore assez éclairés : l’invention de l’imprimerie n’avait point encore mis sous les yeux de tout le monde les abus dont on se plaignait. Mais quand les hommes commencèrent à lire ; quand la populace, qui voulait bien ne pas aller en purgatoire, mais qui ne voulait pas payer trop cher des indulgences, commença à ouvrir les yeux, les réformateurs du xvie siècle vinrent très à propos, et réussirent.

Un des meilleurs apropos dont l’histoire ait fait mention est celui de Pierre Danez au concile de Trente[3]. Un homme qui n’aurait pas eu l’esprit présent n’aurait rien répondu au froid jeu de mots de l’évêque italien : « Ce coq chante bien ; iste gallus bene cantat[4]. » Danez répondit par cette terrible réplique : « Plût à Dieu que Pierre se repentît au chant du coq ! »

La plupart des recueils de bons mots sont remplis de réponses très-froides. Celle du marquis Maffei, ambassadeur de Sicile auprès du Pape Clément XI, n’est ni froide, ni injurieuse, ni piquante, mais c’est un bel apropos. Le pape se plaignait avec larmes de ce qu’on avait ouvert, malgré lui, les églises de Sicile qu’il avait interdites. « Pleurez, saint-père, lui dit-il, quand on les fermera. »

Les Italiens appellent une chose dite hors de propos un sproposito. Ce mot manque à notre langue.

C’est une grande leçon dans Plutarque que ces paroles : « Tu tiens sans propos beaucoup de bons propos[5]. » Ce défaut se trouve dans beaucoup de nos tragédies, où les héros débitent des maximes bonnes en elles-mêmes, qui deviennent fausses dans l’endroit où elles sont placées.

L’apropos fait tout dans les grandes affaires, dans les révolutions des États. On a déjà dit[6] que Cromwell sous Élisabeth ou sous Charles II, le cardinal de Retz quand Louis XIV gouverna par lui-même, auraient été des hommes très-ordinaires.

César, né du temps de Scipion l’Africain, n’aurait pas subjugué la république romaine, et si Mahomet revenait aujourd’hui, il serait tout au plus shérif de la Mecque. Mais si Archimède et Virgile renaissaient, l’un serait encore le meilleur mathématicien, l’autre le meilleur poète de son pays.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, seconde partie, 1770. (B.)
  2. Dans l’ode intitulée l’Aveuglement.
  3. Voyez Essai sur les Mœurs, chapitre clxxii.
  4. Les dames qui pourront lire ce morceau sauront que gallus signifie Gaulois et coq (Note de Voltaire.)
  5. Sur ce passage voyez ma note au mot Esprit, section ire. (B.)
  6. Septième des Lettres philosophiques. Voyez les Mélanges, année 1734.


Appel comme d’abus

À propos, l’apropos

Arabes