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APOCALYPSE.

Le concile de Laodicée, tenu en 360, ne compta point l’Apocalypse parmi les livres canoniques. Il était bien singulier que Laodicée, qui était une église à qui l’Apocalypse était adressée, rejetât un trésor destiné pour elle ; et que l’évêque d’Éphèse, qui assistait au concile, rejetât aussi ce livre de saint Jean enterré dans Éphèse.

Il était visible à tous les yeux que saint Jean se remuait toujours dans sa fosse, et faisait continuellement hausser et baisser la terre. Cependant les mêmes personnages qui étaient sûrs que saint Jean n’était pas bien mort étaient sûrs aussi qu’il n’avait pas fait l’Apocalypse. Mais ceux qui tenaient pour le règne de mille ans furent inébranlables dans leur opinion. Sulpice Sévère, dans son Histoire sacrée, livre IX[1] traite d’insensés et d’impies ceux qui ne recevaient pas l’Apocalypse. Enfin, après bien des oppositions de concile à concile, l’opinion de Sulpice Sévère a prévalu. La matière ayant été éclaircie, l’Église a décidé que l’Apocalypse est incontestablement de saint Jean ; ainsi il n’y a pas d’appel.

Chaque communion chrétienne s’est attribué les prophéties contenues dans ce livre : les Anglais y ont trouvé les révolutions de la Grande-Bretagne ; les luthériens, les troubles d’Allemagne ; les réformés de France, le règne de Charles IX et la régence de Catherine de Médicis ; ils ont tous également raison. Bossuet et Newton ont commenté tous deux l’Apocalypse ; mais, à tout prendre, les déclamations éloquentes de l’un, et les sublimes découvertes de l’autre, leur ont fait plus d’honneur que leurs commentaires.


SECTION II[2].


Ainsi deux grands hommes, mais d’une grandeur fort différente, ont commenté l’Apocalypse dans le xviie siècle : Newton, à qui une pareille étude ne convenait guère ; Bossuet, à qui cette entreprise convenait davantage. L’un et l’autre donnèrent beaucoup de prise à leurs ennemis par leurs commentaires, et, comme on l’a déjà dit[3] le premier consola la race humaine de la supériorité qu’il avait sur elle, et l’autre réjouit ses ennemis.

  1. L’Histoire sacrée de Sulpice Sévère n’a que deux livres. C’est dans le second que l’auteur dit de l’Apocalypse : Qui quidem a plerisque aut stulte aut impie non recipitur.
  2. Questions sur l’Encyclopédie, première partie, 1770. L’article commençait ainsi : « Ajoutons à l’article Apocalypse que deux grands hommes, etc. » (B.)
  3. Voyez l’article Newton et Descartes, section ii.