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ANGE.

« Eux et les autres prirent des femmes l’an onze cent soixante et dix de la création du monde. De ce commerce naquirent trois genres d’hommes, les géants, Naphelim, etc. »

L’auteur de ce fragment écrit de ce style qui semble appartenir aux premiers temps ; c’est la même naïveté. Il ne manque pas de nommer les personnages ; il n’oublie pas les dates ; point de réflexions, point de maximes : c’est l’ancienne manière orientale.

On voit que cette histoire est fondée sur le sixième chapitre de la Genèse[1] : « Or en ce temps il y avait des géants sur la terre ; car les enfants de Dieu ayant eu commerce avec les filles des hommes, elles enfantèrent les puissances du siècle. »

Le livre d’Énoch et la Genèse sont entièrement d’accord sur l’accouplement des anges avec les filles des hommes, et sur la race des géants qui en naquit ; mais ni cet Énoch ni aucun livre de l’Ancien Testament ne parle de la guerre des anges contre Dieu, ni de leur défaite, ni de leur chute dans l’enfer, ni de leur haine contre le genre humain.

Presque tous les commentateurs de l’Ancien Testament disent unanimement qu’avant la captivité de Babylone les Juifs ne surent le nom d’aucun ange. Celui qui apparut à Manué, père de Samson, ne voulut point dire le sien.

Lorsque les trois anges apparurent à Abraham, et qu’il fit cuire un veau entier pour les régaler, ils ne lui apprirent point leurs noms. L’un d’eux lui dit : « Je viendrai vous voir, si Dieu me donne vie, l’année prochaine, et Sara votre femme aura un fils[2]. »

Dom Calmet trouve un très-grand rapport entre cette histoire et la fable qu’Ovide raconte dans ses Fastes, de Jupiter, de Neptune et de Mercure[3] qui, ayant soupé chez le vieillard Hyrieus, et le voyant affligé de ne pouvoir faire des enfants, pissèrent sur le cuir du veau qu’Hyrieus leur avait servi, et ordonnèrent à Hyrieus d’enfouir sous terre et d’y laisser pendant neuf mois ce cuir arrosé de l’urine céleste. Au bout de neuf mois, Hyrieus découvrit son cuir : il y trouva un enfant qu’on appela Orion, et qui est actuellement dans le ciel. Calmet dit même que les termes dont se servirent les anges avec Abraham peuvent se traduire ainsi : « Il naîtra un fils de votre veau. »

  1. Verset 4.
  2. Genèse, xviii, 10.
  3. Voyez Allégories.