malgré lui ; que les Russes et les Polonais de son parti l’y avaient obligé ; qu’il avait fait, dans ce dessein, des mouvements pour abandonner Menzikoff ; que Meyerfelt aurait pu le battre s’il avait profité de l’occasion ; qu’il rendrait tous les prisonniers suédois, ou qu’il romprait avec les Russes ; et qu’enfin il donnerait au roi de Suède toutes les satisfactions convenables pour avoir osé battre ses troupes ».
Tout cela est unique, inconcevable, et pourtant de la plus exacte vérité. Quand on songe qu’avec cette faiblesse Auguste était un des plus braves princes de l’Europe, on voit bien que c’est le courage d’esprit qui fait perdre ou conserver les États, qui les élève ou qui les abaisse.
Deux traits achevèrent de combler l’infortune du roi de Pologne, électeur de Saxe, et l’abus que Charles XII faisait de son bonheur : le premier fut une lettre de félicitation que Charles força Auguste d’écrire au nouveau roi Stanislas[1]. Le second fut horrible : ce même Auguste fut contraint de lui livrer Patkul, cet ambassadeur, ce général du czar. L’Europe sait assez que ce ministre fut depuis roué vif à Casimir[2], au mois de septembre 1707. Le chapelain Nordberg avoue que tous les ordres pour cette exécution furent écrits de la propre main de Charles.
Il n’est point de jurisconsulte en Europe, il n’est pas même d’esclave qui ne sente toute l’horreur de cette injustice barbare. Le premier crime de cet infortuné était d’avoir représenté respectueusement les droits de sa patrie, à la tête de six gentilshommes livoniens, députés de tout l’État : condamné pour avoir rempli le premier des devoirs, celui de servir son pays selon les lois, cette sentence inique l’avait mis dans le plein droit naturel qu’ont tous les hommes de se choisir une patrie. Devenu ambassadeur d’un des plus grands monarques du monde, sa personne était sacrée. Le droit du plus fort viola en lui le droit de la nature et celui des nations. Autrefois l’éclat de la gloire couvrait de telles cruautés, aujourd’hui elles la ternissent.