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DE L’EMPIRE OTTOMAN AU XVIIe SIÈCLE.

tiens sans le savoir. Achmet conclut, en 1615, une paix honteuse avec l’empereur Mathias ; il lui rend Agria, Canise, Pest, Albe-Royale conquise par ses ancêtres. Tel est le contre-poids de la fortune. C’est ainsi que vous avez vu Ussum Cassan, Ismaël Sophi, arrêter les progrès des Turcs contre l’Allemagne et contre Venise ; et, dans les temps antérieurs, Tamerlan sauver Constantinople.

Ce qui se passe après la mort d’Achmet nous prouve bien que le gouvernement turc n’était pas cette monarchie absolue que nos historiens nous ont représentée comme la loi du despotisme établie sans contradiction. Ce pouvoir était entre les mains du sultan comme un glaive à deux tranchants qui blessait son maître quand il était manié d’une main faible. L’empire était souvent, comme le dit le comte Marsigli[1], une démocratie militaire, pire encore que le pouvoir arbitraire. L’ordre de succession n’était point établi. Les janissaires et le divan ne choisirent point pour leur empereur le fils d’Achmet qui s’appelait Osman, mais Mustapha, frère d’Achmet (1617). Ils se dégoûtèrent au bout de deux mois de Mustapha, qu’on disait incapable de régner ; ils le mirent en prison, et proclamèrent le jeune Osman, son neveu, âgé de douze ans : ils régnèrent en effet sous son nom.

Mustapha, du fond de sa prison, avait encore un parti. Sa faction persuada aux janissaires que le jeune Osman avait dessein de diminuer leur nombre pour affaiblir leur pouvoir. On déposa Osman sur ce prétexte ; on l’enferma aux Sept-Tours, et le grand-vizir Daout alla lui-même égorger son empereur (1622). Mustapha fut tiré de la prison pour la seconde fois, reconnu sultan, et au bout d’un an déposé encore par les mêmes janissaires qui l’avaient deux fois élu. Jamais prince, depuis Vitellius, ne fut traité avec plus d’ignominie. Il fut promené dans les rues de Constantinople monté sur un âne, exposé aux outrages de la populace, puis conduit aux Sept-Tours, et étranglé dans sa prison.

Tout change sous Amurat IV, surnommé Gasi, l’Intrépide. Il se fait respecter des janissaires en les occupant contre les Persans, en les conduisant lui-même. (12 décembre 1628) Il enlève Erzerom à la Perse. Dix ans après, il prend d’assaut Bagdad, cette ancienne Séleucie, capitale de la Mésopotamie, que nous appelons Diarbekir, et qui est demeurée aux Turcs, ainsi qu’Erzerom. Les Persans n’ont cru depuis pouvoir mettre leurs frontières en sûreté qu’en dévastant trente lieues de leur propre pays par delà Bagdad,

  1. Voyez chapitre xciii.