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DE SIXTE-QUINT.

voir entre la naissance de Sixte-Quint, fils d’un pauvre vigneron, et l’élévation à la dignité suprême, augmente sa réputation : cependant nous avons vu que jamais une naissance obscure et basse ne fut regardée comme un obstacle au pontificat, dans une religion et dans une cour où toutes les places sont réputées le prix du mérite[1], quoiqu’elles soient aussi celui de la brigue. Pie V n’était guère d’une famille plus relevée ; Adrien VI fut le fils d’un artisan ; Nicolas V était né dans l’obscurité ; le père du fameux Jean XXII, qui ajouta un troisième cercle à la tiare, et qui porta trois couronnes, sans posséder aucune terre, raccommodait des souliers à Cahors ; c’était le métier du père d’Urbain IV. Adrien IV, l’un des plus grands papes, fils d’un mendiant, avait été mendiant lui-même. L’histoire de l’Église est pleine de ces exemples, qui encouragent la simple vertu, et qui confondent la vanité humaine. Ceux qui ont voulu relever la naissance de Sixte-Quint n’ont pas songé qu’en cela ils rabaissaient sa personne ; ils lui ôtaient le mérite d’avoir vaincu les premières difficultés. Il y a plus loin d’un gardeur de porcs, tel qu’il le fut dans son enfance, aux simples places qu’il eut dans son ordre, que de ces places au trône de l’Église. On a composé sa vie à Rome sur des journaux qui n’apprennent que des dates, et sur des panégyriques qui n’apprennent rien. Le cordelier qui a écrit la vie de Sixte-Quint commence par dire « qu’il a l’honneur de parler du plus haut, du meilleur, du plus grand des pontifes, des princes, et des sages, du glorieux et de l’immortel Sixte ». Il s’ôte lui-même tout crédit par ce début.

L’esprit de Sixte-Quint et de son règne est la partie essentielle de son histoire : ce qui le distingue des autres papes, c’est qu’il ne fit rien comme les autres. Agir toujours avec hauteur, et même avec violence, quand il est un simple moine ; dompter tout d’un coup la fougue de son caractère dès qu’il est cardinal ; se donner quinze ans pour incapable d’affaires, et surtout de régner, afin de déterminer un jour en sa faveur les suffrages de tous ceux qui compteraient régner sous son nom ; reprendre toute sa hauteur au moment même qu’il est sur le trône ; mettre dans son pontificat une sévérité inouïe, et de la grandeur dans toutes ses entreprises ; embellir Rome, et laisser le trésor pontifical très-riche ; licencier d’abord les soldats, les gardes mêmes de ses prédécesseurs, et dissiper les bandits par la seule force des lois, sans avoir de troupes ; se faire craindre de tout le monde par sa place et par

  1. Voyez la fin du chapitre xlvii.