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DU ROI DE FRANCE LOUIS XI.

Juifs, de faire boire du sang d’un enfant aux vieillards apoplectiques, aux lépreux, aux épileptiques.

On ne peut éprouver un sort plus triste dans le sein des prospérités, n’ayant d’autres sentiments que l’ennui, les remords, la crainte, et la douleur d’être détesté.

C’est cependant lui qui le premier des rois de France prit toujours le nom de Très-Chrétien, peu près dans le temps que Ferdinand d’Aragon, illustre par des perfidies autant que par des conquêtes, prenait le nom de Catholique. Tant de vices n’ôtèrent pas à Louis XI ses bonnes qualités. Il avait du courage ; il savait donner en roi ; il connaissait les hommes et les affaires ; il voulait que la justice fût rendue, et qu’au moins lui seul pût être injuste.

Paris, désolé par une contagion, fut repeuplé par ses soins : il le fut à la vérité de beaucoup de brigands, mais qu’une police sévère contraignit de devenir citoyens. De son temps il y eut, dit-on, dans cette ville quatre-vingt mille bourgeois capables de porter les armes. C’est à lui que le peuple doit le premier abaissement des grands. Environ cinquante familles en ont murmuré, et plus de cinq cent mille ont dû s’en féliciter. Il empêcha que le parlement et l’université de Paris, deux corps alors également ignorants, parce que tous les Français l’étaient, ne poursuivissent comme sorciers les premiers imprimeurs qui vinrent d’Allemagne en France[1].

De lui vient l’établissement des postes, non tel qu’il est aujourd’hui en Europe ; il ne fit que rétablir les veredarii de Charlemagne et de l’ancien empire romain. Deux cent trente courriers à ses gages portaient ses ordres incessamment. Les particuliers pouvaient courir avec les chevaux destinés à ces courriers, en payant dix sous par cheval pour chaque traite de quatre lieues. Les lettres étaient rendues de ville en ville par les courriers du roi. Cette police ne fut longtemps connue qu’en France. Il voulait rendre les poids et les mesures uniformes dans ses États, comme ils l’avaient été du temps de Charlemagne. Enfin il prouva qu’un méchant homme peut faire le bien public quand son intérêt particulier n’y est pas contraire.

Les impositions, sous Charles VII, indépendamment du domaine, étaient de dix-sept cent mille livres de compte. Sous Louis XI, elles se montèrent jusqu’à quatre millions sept cent mille livres ; et la livre étant alors de dix au marc, cette somme revenait à vingt-trois millions cinq cent mille livres d’aujourd’hui.

  1. Voyez chapitre cxxi et la note 1 de la page 248.