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VIE DE VOLTAIRE.

En 1722, Voltaire accompagna Mme de Rupelmonde[1] en Hollande. Il voulait voir, à Bruxelles, Rousseau, dont il plaignait les malheurs, et dont il estimait le talent poétique. L’amour de son art l’emportait sur le juste mépris que le caractère de Rousseau devait lui inspirer. Voltaire le consulta sur son poëme de la Ligue, lui lut l’Épître à Uranie, faite pour Mme de Rupelmonde, et premier monument de sa liberté de penser, comme de son talent pour traiter en vers et rendre populaires les questions de métaphysique ou de morale. De son côté, Rousseau lui récita une Ode à la Postérité, qui, comme Voltaire le lui dit alors, à ce qu’on prétend, ne devait pas aller à son adresse ; et le Jugement de Pluton, allégorie satirique, et cependant aussi promptement oubliée que l’ode. Les deux poëtes se séparèrent ennemis irréconciliables. Rousseau se déchaîna contre Voltaire, qui ne répondit qu’après quinze ans de patience. On est étonné de voir l’auteur de tant d’épigrammes licencieuses, où les ministres de la religion sont continuellement livrés à la risée et à l’opprobre, donner sérieusement, pour cause de sa haine contre Voltaire, sa contenance évaporée pendant la messe et l’Épitre à Uranie[2]. Mais Rousseau avait pris le masque de la dévotion : elle était alors un asile honorable pour ceux que l’opinion mondaine avait flétris, asile sûr et commode que malheureusement la philosophie, qui a fait tant d’autres maux, leur a fermé depuis sans retour[3].

En 1724, Voltaire donna Mariamne[4]. C’était le sujet d’Artémire sous des noms nouveaux, avec une intrigue moins compliquée et moins romanesque ; mais c’était surtout le style de Racine. La pièce fut jouée quarante fois. L’auteur combattit, dans la préface, l’opinion de Lamotte[5], qui, né avec beaucoup d’esprit et de raison, mais peu sensible à l’harmonie, ne trouvait dans les vers d’autre mérite que celui de la difficulté vaincue, et ne voyait dans la poésie qu’une forme de convention, imaginée pour soulager la mémoire, et à laquelle l’habitude seule faisait trouver des charmes. Dans ses lettres imprimées à la fin d’Œdipe[6], il avait déjà combattu le même poëte, qui regardait la règle des trois unités comme un autre préjugé.

  1. Voyez la note sur cette dame, tome IX, page 357.
  2. Voyez cette pièce, tome IX, page 358.
  3. Voltaire était de retour en France à la fin de 1722. Ce fut à la fin de 1723 qu’il eut la petite vérole, au château de Maisons, près de Saint-Germain-en-Laye ; voyez sa lettre au baron de Breteuil, tome XXXIII, page 100.
  4. Le 6 mars ; voyez tome II, page 157.
  5. Ce n’est pas dans la préface de Mariamne, mais dans la seconde préface d’Œdipe (1730), que Voltaire combat les sentiments de Lamotte ; voyez tome II, page 47.
  6. Voyez ces Lettres en tête d’Œdipe, tome II, page 11.