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PAR LA HARPE.


effet de la même magie, il chantait en vers sublimes les merveilles révélées à Newton, le principe universel qui meut et attire les corps, la grande révolution des mondes dans la carrière de l’espace et de la durée. Il étalait, sous des pinceaux, avant lui inconnus aux muses, l’éclatant tissu de la robe du soleil et les rayons de sa lumière[1] ; et cette poésie était sans modèle, comme les découvertes de Newton étaient sans exemple.

Avec des beautés si neuves et si frappantes, avec l’intérim attaché au nom du héros, avec un style toujours élégant et harmonieux, tour à tour plein de force ou de charme, faut-il s’étonner que la Henriade, quoique destituée de l’ancienne mythologie, ait triomphé de toutes les attaques, se soit encore affermie par le temps dans l’opinion des connaisseurs, et soit devenue un ouvrage national ? L’honneur d’avoir fait le seul poëme épique dont notre langue se glorifie n’est peut-être pas encore la récompense la plus flatteuse que l’auteur ait obtenue. Il eut le plaisir de voir que son ouvrage avait ajouté quelque chose à cet amour si vrai que les Français gardent à la mémoire du meilleur de leurs rois. On s’est accoutumé à

    ne lui a guère fourni que des vers durs et raboteux ; et son poëme ne serait point au rang des monuments précieux de l’antiquité, s’il n’y eût joint des morceaux de poésie morale ou descriptive qui en ont fait le mérite. Au contraire, dans la Henriade, c’est une beauté absolument neuve que le système planétaire de Copernic et l’attraction de Newton, détaillés en très-beaux vers, et avec des expressions exactes en même temps que magnifiques :

    Dans le centre éclatant de ces orbes immenses,
    Qui n’ont pu nous cacher leur marche et leurs distances,
    Luit cet astre du jour par Dieu même allumé.
    Qui tourne autour de soi sur son axe enflammé.
    De lui partent sans fin des torrents de lumière ;
    Il donne en se montrant la vie à la matière.
    Et dispense les jours, les saisons, et les ans,
    À des mondes divers autour de lui flottants.
    Ces astres, asservis à la loi qui les presse,
    S’attirent dans leur course, et s’évitent sans cesse ;
    Et, servant l’un à l’autre et de règle et d’appui,
    Se prêtent les clartés qu’ils reçoivent de lui.
    Par delà tous les cieux le Dieu des cieux réside, etc.

    C’est là sans doute mêler le sublime de la poésie aux principes de la plus saine physique ; et qui a eu ce mérite avant Voltaire ? Ce mérite se trouve à un degré encore plus étonnant dans le discours en vers adressé à Mme  du Châtelet, à la tête des Éléments de Newton. Il n’y a point de morceau pareil dans aucune langue connue. (Note de l’auteur.)

  1. Voyez, dans la dédicace des Éléments de Newton, citée ci-dessus, ces vers admirables :

    Il découvre à mes yeux, par une main savante,
    De l’astre des saisons la robe étincelante :
    L’émeraude, l’azur, le pourpre, le rubis,
    Sont l’immortel tissu dont brillent ses habits.
    Chacun de ses rayons, dans sa substance pure,
    Porte en soi les couleurs dont se peint la nature ;
    Et, confondus ensemble, ils éclairent nos yeux.
    Ils animent le monde, ils remplissent les cieux.

    (Note de l’auteur).