Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
COMMENTAIRE

sophie qui caractérise tout ce qui est sorti de sa main. Ce Panégyrique était celui des officiers[1] autant que de Louis XV : cependant il ne le présenta à personne, pas même au roi. Il savait bien qu’il ne vivait pas dans le siècle de Pellisson. Aussi écrivait-il à M. de Formont, l’un de ses amis :

Cet éloge a très-peu d’effet ;
Nul mortel ne m’en remercie :
Celui qui le moins s’en soucie
Est celui pour qui je l’ai fait.

[2]Cette même année 1749 il était encore dans le palais de Lunéville avec la marquise du Châtelet. Cette dame illustre y mourut.

Le roi de Prusse alors appela M. de Voltaire auprès de lui. Je vois qu’il ne se résolut à quitter la France et à s’attacher à Sa Majesté prussienne pour le reste de sa vie que vers la fin du mois d’août ou auguste 1750. Il était parti après avoir combattu pendant plus de six mois contre toute sa famille et contre tous ses amis, qui le dissuadaient fortement de cette transplantation ; mais, sans avoir pris l’engagement de se fixer auprès du roi de Prusse, il ne put résister à cette lettre que ce prince lui écrivit de son appartement à la chambre de son nouvel hôte dans le palais de Berlin, le 23 août ; lettre qui a tant couru depuis, et qui a été souvent imprimée[3].

Le roi de Prusse, après cette lettre, fit demander au roi de France son agrément par son ministre ; le roi de France le donna. Notre auteur eut à Berlin la croix de Mérite, la clef de chambellan, et vingt mille francs de pension. Cependant il ne quitta jamais sa maison de Paris ; et j’ai vu, par les comptes de M. Delaleu, notaire à Paris, qu’il y dépensait trente mille livres par an. Il était attaché au roi de Prusse par la plus respectueuse tendresse et par la conformité des goûts. Il a dit cent fois que ce monarque était aussi aimable dans la société, que redoutable à la tête d’une armée ; qu’il n’avait jamais fait de soupers plus agréables à Paris que ceux auxquels ce prince voulait bien l’admettre tous les jours. Son enthousiasme pour le roi de Prusse allait

  1. Voltaire a fait aussi un Éloge funèbre des officiers qui sont morts dans la guerre de 1741 ; voyez tome XXIII, page 249.
  2. Dans les éditions de Kehl, au lieu de cet alinéa on lisait un extrait assez long tiré des Mémoires.
  3. Voyez cette lettre de Frédéric, du 23 août 1750, tome XXXVII, page 159.