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ces margelles dans nos cloîtres ou nos vieux palais[1]. La figure 1 présente l’une d’elles, appartenant au XIIIe siècle.

Sur les places des villes on creusait de larges puits, si la situation des localités ne permettait pas l’établissement d’une fontaine. Un des plus remarquables ouvrages en ce genre est le puits principal de la cité de Carcassonne. Le forage de ce puits est fait à travers un énorme banc de grès, et remonte vraisemblablement à une assez haute antiquité. Son diamètre intérieur est de 2m,57. La profondeur actuelle est de 30m,20. La nappe d’eau s’élève parfois jusqu’à 6m,30 de hauteur, mais il est souvent à sec et en partie comblé. Une vieille tradition prétendait qu’avant d’abandonner Carcassonne, les Wisigoths avaient jeté dans ce puits une partie de leurs trésors ; mais les fouilles faites à diverses reprises, et notamment depuis peu, n’ont fait sortir du gouffre que de la vase et des débris sans valeur. Ce puits est aujourd’hui couronné par une margelle du XIVe siècle, de grès, dont la disposition est curieuse. Le bahut de grès, d’un mètre de hauteur et de 0m,22 d’épaisseur, supporte trois piles monolithes qui étaient reliées à leur sommet par trois poutres (fig. 2). À chacune de ces poutres était suspendue une poulie. Ainsi, trois personnes en même temps pouvaient puiser de l’eau. En A, est tracé le plan de ce puits ; en B, son élévation[2].

Dans la même cité, sur une petite place, il existe un autre puits également creusé dans le roc, mais d’un plus faible diamètre, dont la margelle et la suspension de la poulie méritent d’être signalées. Nous donnons (fig. 3) en A le plan, et en B l’élévation de ce monument, qui date, comme le précédent, du XIVe siècle. Ici la traverse qui relie les deux piles est de grès et d’un seul morceau. En C, nous avons tracé le détail des bases des piles qui font corps avec le pilastre pénétrant dans la margelle, afin d’éviter les dévers des deux monolithes. La profondeur de ce puits est de 21m,40, et la nappe d’eau de 3m,50.

On ne disposait pas toujours de matériaux assez résistants pour se permettre l’emploi de piles et de traverses de pierre d’une aussi faible épaisseur ; alors l’appareil nécessaire à l’attache des poulies était fabriqué en fer et scellé sur une margelle de pierre de taille. Il existe encore dans quelques villes de France des puits ayant conservé leurs armatures de fer des XVe et XVIe siècles (voy. Serrurerie).

Si les puits placés extérieurement sur la voie publique étaient d’une grande simplicité, ceux qui s’ouvraient dans les églises où les cloîtres étaient souvent très-richement ornés. Leurs margelles, les supports des poulies, devenaient un motif de décoration. Il existait autrefois, dans le bas côté sud de la cathédrale de Strasbourg, un puits très-riche, taillé dans

  1. Il en existe une très-belle à Sens, dans les magasins du palais archiépiscopal.
  2. Voyez, dans l’Histoire des comtes de Carcassonne, par Besse (Carcassonne, 1645), les vers en patois sur les merveilles de ce puits célèbre. Suivant le poëte, la profondeur de ce puits n’atteindrait rien moins que le centre de la terre.