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portant dans les habitations des XIe et XIIe siècles. La tapisserie de Bayeux nous montre Harold et ses compagnons banquetant dans une maison au moment de leur passage en Normandie. La salle du banquet est située au premier étage sur un rez-de-chaussée formé d’arcades ; un perron descend de cette salle supérieure au bord de la mer. Ce rez-de-chaussée est évidemment construit en maçonnerie, tandis que le premier étage paraît être un ouvrage de charpenterie.

On retrouve cette disposition des escaliers extérieurs dans des manuscrits grecs du VIIIe siècle (voy. Perron ), et nous la voyons se perpétuer jusqu’au XVIe siècle. Signalons ce fait important : c’est qu’en France, pendant la première période du moyen âge et jusqu’au XIIe siècle, il semble que dans les habitations privées on ait maintenu les traditions de l’antiquité gallo-romaine pour le rez-de-chaussée, et que l’on ait adopté les habitudes introduites par les peuples venus du nord pour les étages supérieurs. Il se pourrait bien, en effet, qu’après l’invasion, les nouveaux conquérants aient conservé bon nombre de ces habitations de ville ou de campagne gallo-romaines, et que sur les rez-de-chaussées qui les composaient ils aient fait élever, en charpenterie, des salles et des services dont ils avaient besoin. On aurait ainsi adopté depuis lors un système de construction résultant de deux méthodes entées l’une sur l’autre par les habitudes de deux civilisations ou plutôt de deux races différentes. Dans les maçonneries, l’influence gallo-romaine se fait sentir très-tard, tandis que les ouvrages de bois ont, dès l’origine, un caractère qui appartient évidemment aux races du nord et qui ne rappelle point l’art de la charpenterie des Romains. Cette superposition de deux systèmes de constructions, issus de deux civilisations opposées, ne parvient qu’à grand peine à former un ensemble complet, et, jusqu’à la fin du XIIe siècle, on reconnaît que le mélange n’est point effectué.

L’école laïque du XIIIe siècle parvient à opérer ce mélange, parce qu’elle abandonne entièrement les traditions romaines, et c’est seulement à cette époque que les constructions privées prennent un caractère véritablement français, homogène, adoptent des méthodes logiques, en raison des matériaux mis en œuvre. Il suffit de jeter les yeux sur les manuscrits occidentaux des IXe, Xe et XIe siècles, sur quelques sculptures d’ivoire de cette époque et même sur la tapisserie de Bayeux, pour constater l’influence des traditions de constructions gallo-romaines dans les maçonneries du rez-de-chaussée des habitations et celle des constructions de bois indo-germaniques pour les couronnements des palais et maisons, tandis que les églises affectent toujours ou la forme de la basilique latine ou celle de l’édifice religieux byzantin.

Évidemment, si les seigneurs et les citadins laissaient les moines arranger l’architecture de leurs monastères à leur guise (et ceux-ci étaient latins par tradition), ils exerçaient une influence sur les constructeurs chargés d’élever leurs habitations, et malgré l’antipathie qui existait entre les castes des conquérants venus d’outre-Rhin et les vieux Gaulois