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jet, dix ans environ avant celle de Reims, présente une construction plus légère, mieux entendue. À Reims, non-seulement dans le plan et les parties inférieures de l’édifice on retrouve encore quelques traces des traditions romanes, mais dans la coupe de la nef il y a un luxe d’épaisseurs de piles qui indique, chez les constructeurs, une certaine appréhension. À Reims (voy. fig. 14), les arcs-boutants sont placés trop haut ; on ne comprend pas, par exemple, quelle est la fonction du deuxième arc. Le triforium est petit, mesquin ; les arcs doubleaux, afin de diminuer la poussée des voûtes, sont trop aigus, et prennent, par conséquent, trop de hauteur ; leur importance donne de la lourdeur à la nef principale ; il semble que ces voûtes, qui occupent une énorme surface, vous étouffent. La construction préoccupe. Dans la nef d’Amiens, au contraire, on respire à l’aise ; à peine si l’on songe aux piles, aux constructions ; on ne voit pas, pour ainsi dire, le monument ; c’est comme un grand réservoir d’air et de lumière.

Bien que la cathédrale de Reims soit un édifice ogival, on y sent encore l’empreinte du monument antique ; que cette influence soit due au génie de Robert de Coucy, ou aux restes d’édifices romains répandus sur le sol de Reims, elle n’en est pas moins sensible. La cathédrale d’Amiens, comme plan et comme structure, est l’église ogivale par excellence. En examinant la coupe (fig. 20), on n’y trouve nulle part d’excès de force[1]. Les piles des bas-côtés, plus hautes que celles de Reims, ont près d’un tiers de moins d’épaisseur. Le triforium B est élancé et permet de donner aux combles des bas-côtés une forte inclinaison. Les arcs-boutants sont parfaitement placés de façon à contrebutter la grande voûte. La charge sur les piles inférieures est diminuée par l’évidement des contreforts adossés aux piles supérieures ; les arcs doubleaux sont moins aigus que ceux de Reims.

On ne voit plus, au sommet de la nef d’Amiens, cette masse énorme de maçonnerie, qui n’a d’autre but que de charger les piles afin d’arrêter la poussée des voûtes. Ici, toute la solidité réside dans la disposition des arcs-boutants et l’épaisseur des culées ou contreforts A. Cependant cette nef, dont la hauteur est de 42m, 50 sous clef, et la largeur d’axe en axe des piles de 14m, 60, ne s’est ni déformée, ni déversée. La construction n’a subi aucune altération sensible ; elle est faite pour durer encore des siècles, pour peu que les moyens d’écoulement des eaux soient maintenus en bon état. À Amiens, les murs ont disparu ; derrière la claire-voie du triforium en C, ce n’est qu’une cloison de pierre, rendue plus légère encore par des arcs de décharge ; sous les fenêtres basses en D, ce n’est qu’un appui évidé par une arcature ; au-dessus des fenêtres supérieures en E, il n’y a qu’une corniche et un chéneau, partout entre la lumière. Les eaux du grand comble s’écoulent simplement, facilement et par le plus court chemin, sur les chaperons des arcs-boutants supérieurs. Celles reçues par les combles des collatéraux sont déversées à droite et à gauche des

  1. Voy. Architecture Religieuse, fig. 35, un ensemble perspectif de cette coupe.