Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Architecture religieuse

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architecture religieuse.

Chez tous les peuples l’architecture religieuse est la première à se développer. Non-seulement au milieu des civilisations naissantes, le monument religieux répond au besoin moral le plus puissant, mais encore il est un lieu d’asile, de refuge ; une protection contre la violence. C’est dans le temple ou l’église que se conservent les archives de la nation, ses titres les plus précieux sont sous la garde de la Divinité ; c’est sous son ombre que se tiennent les grandes assemblées religieuses ou civiles, car dans les circonstances graves, les sociétés qui se constituent, ont besoin de se rapprocher d’un pouvoir surhumain pour sanctionner leurs délibérations. Ce sentiment que l’on retrouve chez tous les peuples, se montre très-prononcé dans la société chrétienne. Le temple païen n’est qu’un sanctuaire où ne pénètrent que les ministres du culte et les initiés, le peuple reste en dehors de ses murs, aussi les monuments de l’antiquité là où ils étaient encore debout, en Italie, sur le sol des Gaules, ne pouvaient convenir aux chrétiens. La basilique antique avec ses larges dimensions, sa tribune, ses ailes ou bas côté, son portique antérieur, se prêtait au culte de la nouvelle loi. Il est même probable que les dispositions de l’édifice romain eurent une certaine influence sur les usages adoptés par les premiers chrétiens du moment qu’ils purent sortir des catacombes et exercer leur culte ostensiblement. Mais dans les limites que nous nous sommes tracées, nous devons prendre, comme point de départ, la basilique chrétienne de l’époque carlovingienne, dont les dispositions s’éloignaient déjà de la basilique antique. Alors on ne se contentait plus d’un seul autel, il fallait élever des tours destinées à recevoir des cloches pour appeler les fidèles, et les avertir des heures de prières. La tribune de la basilique antique n’était pas assez vaste pour contenir le clergé nombreux réuni dans les églises ; le chœur devait empiéter sur les portions abandonnées au public dans le monument romain. L’église n’était pas isolée, mais autour d’elle, comme autour du temple païen, se groupaient des bâtiments destinés à l’habitation des prêtres et des clercs ; des portiques, des sacristies, quelquefois même des écoles, des bibliothèques, de petites salles pour renfermer les trésors, les chartes, les vases sacrés et les ornements sacerdotaux, des logettes pour des pénitents ou ceux qui profitaient du droit d’asile. Une enceinte enveloppait presque toujours l’église et ses annexes, le cimetière et des jardins ; cette enceinte, fermée la nuit, était percée de portes fortifiées. Un grand nombre d’églises étaient desservies par un clergé régulier dépendant d’abbayes ou de prieurés, et se rattachant ainsi à l’ensemble de ces grands établissements. Les églises collégiales, paroissiales et les chapelles elles-mêmes, possédaient dans une proportion plus restreinte tous les services nécessaires à l’exercice du culte, de petits cloîtres, des sacristies, des trésors, des logements pour les desservants. D’ailleurs les collégiales, paroisses et chapelles étaient placées sous la juridiction des évêques, les abbayes et les prieurés exerçaient aussi des droits sur elles, et parfois même les seigneurs laïques construisaient des chapelles, érigeaient des paroisses en collégiales, sans consulter les évêques, ce qui donna lieu souvent à de vives discussions entre ces seigneurs et les évêques. Les cathédrales comprenaient dans leurs dépendances les bâtiments du chapitre, de vastes cloîtres, les palais des évêques, salles synodales etc. (voy. Évêché, Salle Synodale, Cloître, Architecture Monastique, Trésor, Sacristie, Salle Capitulaire).

Nous donnons ici (1) pour faire connaître quelle était la disposition générale d’une église de moyenne grandeur au Xe siècle, un plan qui sans être copié sur tel ou tel édifice existant, résume l’ensemble de ces dispositions. I est le portique qui précède la nef, le Narthex de la basilique primitive, sous lequel se tiennent les pénitents auxquels l’entrée de l’église est temporairement interdite, les pèlerins qui arrivent avant l’ouverture des portes. De ce porche, qui généralement est couvert en appentis, on pénètre dans la nef et les bas côtés par trois portes fermées pendant le jour par des voiles. N les fonts baptismaux placés soit au centre de la nef, soit dans l’un des collatéraux H. G la nef au milieu de laquelle est réservé un passage libre séparant les hommes des femmes. P la tribune, les ambons, et plus tard le jubé où l’on vient lire l’épître et l’évangile. A le bas chœur où se tiennent les clercs. O l’entrée de la confession, de la crypte qui renferme le tombeau du saint sur lequel l’église a été élevée ; des deux côtés les marches pour monter au sanctuaire. C l’autel principal. B l’exèdre au milieu duquel est placé le siège de l’évêque, de l’abbé ou du prieur ; les stalles des chanoines ou des religieux s’étendent plus ou moins à droite et à gauche. E les extrémités du transsept. D des autels secondaires. F la sacristie, communiquant au cloître L et aux dépendances. Quelquefois, du porche on pénètre dans le cloître par un passage et une porterie K. Alors les clochers étaient presque toujours placés, non en avant de l’église, mais près du transsept en M sur les dernières travées des collatéraux. Les religieux se trouvaient ainsi plus à proximité du service des cloches, pour les offices de nuit, ou n’étaient pas obligés de traverser la foule des fidèles pour aller sonner pendant la messe. L’abbaye Saint-Germain des Prés avait encore à la fin du siècle dernier ses deux tours ainsi placées. Cluny, Vézelay, beaucoup d’autres églises abbatiales, de prieurés, des paroisses même, un grand nombre de cathédrales possèdent ou possédaient des clochers disposés de cette manière. Châlons-sur-Marne laisse voir encore les étages inférieurs de ses deux tours bâties des deux côtés du chœur. L’abbé Lebeuf, dans son Histoire du diocèse d’Auxerre, rapporte qu’en 1215, l’évêque Guillaume de Seignelay, faisant rebâtir le chœur de la cathédrale de Saint-Étienne que nous admirons encore aujourd’hui, les deux clochers romans, qui n’avaient point encore été démolis mais qui étaient sapés à leur base pour permettre l’exécution des nouveaux ouvrages, s’écroulèrent l’un sur l’autre sans briser le jubé, ce qui fut regardé comme un miracle[1].

À cette époque (nous parlons du Xe siècle), les absides et les étages inférieurs des clochers étaient presque toujours les seules parties voûtées, les nefs, les bas côtés, les transsepts étaient couverts par des charpentes. Cependant déjà des efforts avaient été tentés pour établir des voûtes dans les autres parties des édifices religieux où ce genre de construction ne présentait pas de grandes difficultés. Nous donnons (2) le plan de la petite église de Vignory (Haute-Marne) qui déjà contient un bas côté avec chapelles absidales pourtournant le sanctuaire.
Ce bas côté B est voûté en berceau ; quatre autres petits berceaux séparés par des arcs-doubleaux flanquent les deux travées qui remplacent le transsept en avant de l’abside. Le sanctuaire C est voûté en cul-de-four, et deux arcs-doubleaux DD contre-buttent les bas côtés AA sur lesquels étaient élevés deux clochers ; un seul subsiste encore, reconstruit en grande partie au XIe siècle. Tout le reste de l’édifice est couvert par une charpente apparente et façonnée[2]. La coupe transversale que nous donnons également sur la nef (3) fait comprendre cette intéressante construction dans laquelle on voit apparaître la voûte mêlée au système primitif des couvertures en bois.
On remarquera que la nef présente un simulacre de galerie qui rappelle encore la galerie du premier étage de la basilique romaine ; ce n’est plus à Vignory qu’une décoration sans usage et qui paraît être une concession à la tradition. Bientôt cependant on ne se contenta plus de voûter seulement le chœur, les chapelles absidales et leurs annexes, on voulut remplacer partout les charpentes destructibles par des voûtes en pierre, en moellon ou en brique ; ces charpentes brûlaient se pourrissaient rapidement ; quoique peintes, elles ne présentaient pas cet aspect monumental et durable que les constructeurs du moyen âge s’efforçaient de donner à l’église. Les différentes contrées qui depuis le XIIIe siècle composent le sol de la France ne procédèrent pas de la même manière pour voûter la basilique latine. Dans l’ouest, à Périgueux, dès la fin du Xe siècle on élevait la cathédrale et la grande église abbatiale de Saint-Front (voy. Architecture, développement de l’) sous l’influence de l’église à coupoles de Saint-Marc de Venise[3]. Ce monument, dont nous donnons le plan et une coupe transversale, succédait à une basilique bâtie suivant la tradition romaine. C’était une importation étrangère à tout ce qui avait été élevé à cette époque sur le sol occidental des Gaules depuis l’invasion des barbares.
Le plan (4) reproduit non-seulement la forme mais aussi la dimension de celui de Saint-Marc, à peu de différences près. La partie antérieure de ce plan laisse voir les restes de l’ancienne basilique latine modifiés à la fin du Xe siècle par la construction d’une coupole derrière le narthex, et d’un clocher posé à cheval sur les travées de l’ancienne nef. L’église de Saint-Front se trouvait alors posséder un avant-porche (le narthex primitif), un second porche voûté, le vestibule sous le clocher, et enfin le corps principal de la construction couvert par cinq coupoles posées sur de larges arcs-doubleaux et sur pendentifs (5).
Ici les coupoles et les arcs-doubleaux ne sont pas tracés comme à Saint-Marc de Venise, suivant une courbe plein cintre, mais présentent des arcs brisés, des formes ogivales, bien qu’alors en France l’arc en tiers-point ne fût pas adopté ; mais les constructeurs de Saint-Front, fort peu familiers avec ce système de voûtes,
ont certainement recherché l’arc brisé afin d’obtenir une plus grande résistance et une poussée moins puissante (V. Construction, Coupole). Cette importation de la coupole sur pendentifs ne s’applique pas seulement à l’église de Saint-Front et à celle de la cité de Périgueux. Pendant les XIe et XIIe siècles on construit dans l’Aquitaine une grande quantité d’églises à coupoles ; les églises de Souliac, de Cahors, d’Angoulême, de Trémolac, de Saint-Avit-Senieur, de Salignac, de Saint-Émilion, de Saint-Hilaire de Poitiers, de Fontevrault, du Puy en Vélay, et beaucoup d’autres encore, possèdent des coupoles élevées sur pendentifs. Mais l’église de Saint-Front présente seule un plan copié sur celui de Saint-Marc. Les autres édifices que nous venons de citer conservent le plan latin avec ou sans transsepts et presque toujours sans bas côtés. Nous donnons ici le plan de la belle église abbatiale de Fontevrault (6) qui date du XIIe siècle, et qui possède une série de quatre coupoles sur pendentifs dans sa nef, disposées et contre-buttées ainsi que celles de la cathédrale d’Angoulême, avec beaucoup d’art. Voici (fig. 7) une des travées de la nef de l’église de Fontevrault. Jusqu’au XIIIe siècle l’influence de la coupole se fait sentir dans les édifices religieux de l’Aquitaine, du Poitou et de l’Anjou ; la Cathédrale d’Angers, bâtie au commencement du XIIIe siècle, est sans bas côtés, et ses voûtes, quoique nervées d’arcs-ogives, présentent dans leur coupe de véritables coupoles (voy. Voûte).
Les nefs des cathédrales de Poitiers et du Mans sont encore soumises à cette influence de la coupole, mais dans ces édifices les pendentifs disparaissent et la coupole vient se mélanger avec la voûte en arcs-ogives des monuments de l’Île-de-France et du nord[4].

En Auvergne comme centre, et en suivant la Loire jusqu’à Nevers, un autre système est adopté dans la construction des édifices religieux. Dans ces contrées, dès le XIe siècle, on avait renoncé aux charpentes pour couvrir les nefs ; les bas côtés de la basilique latine étaient conservés ainsi que la galerie supérieure.

La nef centrale était voûtée en berceau plein cintre avec ou sans arcs-doubleaux ; des demi-berceaux comme des arcs-boutants continus, élevés sur les galeries supérieures contre-buttaient la voûte centrale, et les bas côtés étaient voûtés par la pénétration de deux demi-cylindres suivant le mode romain. Des culs-de-four terminaient le sanctuaire comme dans la basilique antique et le centre du transsept était couvert par une coupole à pans accusés ou arrondis aux angles, portée sur des trompes ou des arcs concentriques, ou même quelquefois de simples encorbellements soutenus par des corbeaux. Ce système de construction des édifices religieux est continué pendant le XIIe siècle, et nous le voyons adopté jusqu’à Toulouse, dans la grande église de Saint-Sernin. Voici le plan de l’église du prieuré de Saint-Étienne de Nevers (8) bâtie pendant la seconde moitié du XIe siècle et qui présente un des types les plus complets des églises à nefs voûtées en berceau plein cintre contre-butté par des demi-berceaux bandés sur les galeries des bas côtés.
(9) Le plan de l’église de Notre-Dame du Port à Clermont-Ferrand, un peu postérieure ; (10) la coupe transversale de la nef de cette église, et (10 bis) la coupe sur le transsept, dans laquelle apparaît la coupole centrale également contre-buttée par des demi-berceaux reposant sur deux murs à claire-voie portés sur deux arcs-doubleaux construits dans le prolongement des murs extérieurs. Dans ces édifices toutes les poussées des voûtes sont parfaitement maintenues ; aussi se sont-ils conservés intacts jusqu’à nos jours.
Toutefois en étant inspirées de la basilique romaine, ces églises ne conservaient pas au-dessus de la galerie supérieure ou triforium, les fenêtres qui éclairaient les nefs centrales des édifices romains ; la nécessité de maintenir la voûte en berceau par une buttée continue sous forme de demi-berceau sur les galeries, interdisait aux constructeurs la faculté d’ouvrir des fenêtres prenant des jours directs au-dessous de la voûte centrale. Les nefs de ces églises ne sont éclairées que par les fenêtres des bas côtés ou par les jours ouverts à la base du triforium ; elles sont obscures, et ne pouvaient convenir à des contrées où le soleil est souvent caché, où le ciel est sombre.
Dans le Poitou, dans une partie des provinces de l’ouest et dans quelques localités du midi, on avait adopté au XIe siècle un autre mode de construire les églises et de les voûter ; les bas côtés étaient élevés jusqu’à la hauteur de la nef, et de petites voûtes d’arêtes ou en berceau élevées sur ces bas côtés contre-buttaient le berceau central. L’église abbatiale de Saint-Savin, près Poitiers, dont nous
donnons le plan (11), est construite d’après ce système ; de longues colonnes cylindriques portent des archivoltes sur lesquelles viennent reposer le berceau plein cintre de la nef et les petites voûtes d’arêtes des deux bas côtés, ainsi que l’indique la coupe transversale (12). Mais ici la galerie supérieure de la basilique latine est supprimée, et la nef n’est éclairée que par les fenêtres ouvertes dans les murs des bas côtés. Pour de petites églises étroites, ce parti n’a pas d’inconvénients ; il laisse cependant le milieu du monument et surtout les voûtes dans l’obscurité lorsque les nefs sont larges ; il ne pouvait non plus convenir aux grandes églises du nord.
On observera que dans les édifices, soit de l’Auvergne, soit du midi de la France, élevés suivant le mode de bas côtés avec ou sans galeries contre-buttant la voûte centrale, les voûtes remplacent absolument les charpentes puisque, non-seulement elles ferment les nefs et bas côtés, mais encore elles portent la couverture en tuiles ou en dalles de pierre. Ce fait est remarquable ; reconnaissant les inconvénients des charpentes, les architectes de ces provinces les supprimaient complètement et faisaient ainsi disparaître toutes causes de destruction par le feu. Dans les provinces du nord, en Normandie, dans l’Île-de-France, en Champagne, en Bourgogne, en Picardie, lorsque l’on se décide à voûter la basilique latine, on laisse presque toujours subsister la charpente au-dessus de ces voûtes ; on réunit les deux moyens, la voûte, pour mieux clore l’édifice, pour donner un aspect plus digne et plus monumental aux intérieurs, pour empêcher les charpentes, en cas d’incendie, de calciner les nefs ; la charpente, pour recevoir la couverture en tuiles, en ardoises ou en plomb. Les couvertures posées directement sur la maçonnerie des voûtes causaient des dégradations fréquentes dans les climats humides, elles laissaient pénétrer les eaux pluviales à l’intérieur par infiltration, ou même par suite de la porosité des matériaux employés, dalles ou terre cuite. Si les constructeurs septentrionaux, lorsqu’ils commencèrent à voûter leurs églises, employèrent ce procédé, ils durent l’abandonner bientôt en reconnaissant les inconvénients que nous venons de signaler, et ils protégèrent leurs voûtes par des charpentes qui permettaient de surveiller l’extrados de ces voûtes, qui laissait circuler l’air sec au-dessus d’elles et rendaient les réparations faciles. Nous verrons tout à l’heure comment cette nécessité contribua à leur faire adopter une combinaison de voûtes particulière. Les tentatives pour élever des églises voûtées ne se bornaient pas à celles indiquées ci-dessus. Déjà dès le Xe siècle les architectes avaient eu l’idée de voûter les bas côtés des basiliques latines au moyen d’une suite de berceaux plein cintre posant sur des arcs-doubleaux et perpendiculaires aux murs de la nef ; la grande nef restait couverte par une charpente. Les restes de la basilique primitive de l’abbaye de Saint-Front de Périgueux conservent une construction de ce genre, qui existait fort développée dans l’église abbatiale de Saint-Remy de Reims avant les modifications apportées dans ce curieux monument pendant les XIIe et XIIIe siècles. La figure (13) fera comprendre ce genre de bâtisses. Ces berceaux parallèles posant sur des arcs-doubleaux dont les naissances n’étaient pas très-élevées au-dessus du sol ne pouvaient pousser à l’intérieur les piles des nefs chargées par des murs élevés ; et des fenêtres prenant des jours directs, étaient ouvertes au-dessus des bas côtés. Dans la Haute-Marne, sur les bords de la haute Saône, en Normandie, il devait exister au XIe siècle beaucoup d’églises élevées suivant ce système, soit avec des voûtes en berceaux perpendiculaires à la nef, soit avec des voûtes d’arêtes, sur les bas côtés ; les nefs restaient couvertes seulement par des charpentes. La plupart de ces édifices ont été modifiés au XIIIe ou au XIVe siècle, c’est-à-dire qu’on a construit des voûtes hautes sur les murs des nefs en les contre-buttant par des arcs-boutants ; mais on retrouve facilement les traces de ces dispositions primitives. Quelques édifices religieux bâtis par les Normands en Angleterre, ont conservé leurs charpentes sur les grandes nefs, les bas côtés seuls étant voûtés. Nous citerons, parmi les églises françaises, la petite église de Saint-Jean de Châlons-sur-Marne, dont la nef, qui date de la fin du XIe siècle, conserve encore sa charpente masquée par un berceau en planches fait il y a peu d’années ; l’église du Pré-Notre-Dame, au Mans, de la même époque, qui n’avait dans l’origine que ses bas côtés voûtés ; les grandes églises abbatiales de la Trinité et de Saint-Étienne de Caen, dont les nefs devaient être certainement couvertes primitivement par des charpentes apparentes, etc. À Saint-Remy de Reims il existe une galerie supérieure, aussi large que le bas côté, qui était aussi très-probablement voûtée de la même manière. Nous avons supposé dans la figure (13) les charpentes des bas côté enlevées, afin de laisser voir l’extrados des berceaux de ces bas côtés.
On ne tarda pas, dans quelques provinces, à profiter de ce dernier parti pour contre-butter les voûtes, qui remplacèrent bientôt les charpentes des nefs principales. Dans la partie romane de la nef de la cathédrale de Limoges, dans les églises de Châtillon-sur-Seine, et de l’abbaye de Fontenay près Montbard de l’ordre de Cîteaux, on voit les bas côtés voûtés par une suite de berceaux parallèles perpendiculaires à la nef portant sur des arcs-doubleaux ; les travées de ces nefs sont larges ; la poussée continue du grand berceau supérieur se trouve contre-buttée par les sommets des berceaux perpendiculaires des bas côtés, et par des murs élevés sur les arcs-doubleaux qui portent ces berceaux ; murs qui sont de véritables contre-forts, quelquefois même allégés par des arcs et servant en même temps de points d’appui aux pannes des combles inférieurs : l’exemple (14) que nous donnons ici fait comprendre toute l’ossature de cette construction ;
A, arcs-doubleaux des bas côtés portant les berceaux perpendiculaires à la nef, ainsi que les murs porte-pannes et contre-forts B, allégés par des arcs de décharge, véritables arcs-boutants noyés sous les combles. Dans ces édifices religieux, la charpente supérieure se trouvait supprimée, la tuile recouvrait simplement le berceau ogival C. Quant à la charpente des bas côtés, elle se trouvait réduite à des cours de pannes et des chevrons portant également ou de la tuile creuse, ou de grandes tuiles plates le plus souvent vernissées (voy. Couverture). Mais les grandes nefs de ces églises ne pouvaient être éclairées par des jours directs, elles étaient obscures dans leur partie supérieure, ainsi on se trouvait toujours entre ces deux inconvénients, ou d’éclairer les nefs par des fenêtres ouvertes au-dessus des voûtes des bas côtés, et alors de couvrir ces nefs par des charpentes apparentes, ou de les voûter et de se priver de jours directs. Tous ces monuments étaient élevés dans des conditions de stabilité telles, qu’ils sont parvenus jusqu’à nous presque intacts. Ces types se perpétuaient pendant les XIe et XIIe siècles avec des différences peu sensibles dans le centre de la France, dans le midi, l’ouest, et jusqu’en Bourgogne. Dans l’Île-de-France, la Champagne, la Picardie, dans une partie de la Bourgogne et en Normandie, les procédés pour construire les édifices religieux prirent une autre direction. Ces contrées renfermaient des villes importantes et populeuses ; il fallait que les édifices religieux pussent contenir un grand nombre de fidèles ; la basilique antique, aérée, claire, permettant la construction de larges nefs séparées des bas côtés par deux rangées de colonnes minces, satisfaisait à ce programme.
En effet, si nous examinons (fig. 15) la coupe d’une basilique construite suivant la tradition romaine, nous voyons une nef A, ou vaisseau principal, qui peut avoir de dix à douze mètres de largeur, si nous subordonnons cette largeur à la dimension ordinaire des bois dont étaient formés les entraits ; deux bas côtés B de cinq à six mètres de largeur, éclairés par des fenêtres G ; au-dessus deux galeries C permettant de voir le sanctuaire, et éclairées elles-mêmes par des jours directs, puis pour éclairer la charpente et le milieu de la nef, des baies supérieures E percées au-dessus des combles des galeries. Cette construction pouvait être élevée sur un plan vaste, à peu de frais. Mais, nous l’avons dit, il fallait à ces populations des édifices plus durables, d’un aspect plus monumental, plus recueilli ; et d’ailleurs à la fin du Xe siècle les Normands n’avaient guère laissé d’édifices debout dans les provinces du nord de la France. On songea donc dès le XIe siècle à reconstruire les édifices religieux sur des données nouvelles, et capables de résister à toutes les causes de ruine. Le système de la voûte d’arête romaine formée par la pénétration de deux demi-cylindres d’un diamètre égal, n’avait jamais été abandonné ; aussi fut-il appliqué aux édifices religieux, du moment que l’on renonça aux charpentes ; mais ce système ne peut être employé que pour voûter un plan carré ; or dans le plan de la basilique latine, le bas côté seul présente un plan carré à chaque travée ; quant à la nef, l’espacement compris entre chaque pilier étant plus étroit que la largeur du vaisseau principal, l’espace à voûter se trouve être un parallélogramme et ne peut être fermé par une voûte d’arête romaine ; exemple (16) :
soit une portion de plan d’une église du XIe siècle, A les bas-côtés, B la nef principale ; les surfaces C D E F sont carrées et peuvent être facilement voûtées par deux demi-cylindres d’un diamètre égal, mais les surfaces G H I K sont des parallélogrammes ; si l’on bande un berceau ou demi-cylindre de G en H, le demi-cylindre de G en I viendra pénétrer le demi-cylindre G H au-dessous de sa clef, ainsi que l’indique la figure (17).
Le cintrage de ces sortes de voûtes devait paraître difficile à des constructeurs inexpérimentés ; de plus, ces voûtes, dites en arcs de cloître, sont pesantes, d’un aspect désagréable, surtout si elles sont très-larges, comme on peut s’en convaincre en examinant la figure (18).
Les constructeurs septentrionaux du XIe siècle n’essayèrent même pas de les employer ; ils se contentèrent de fermer les bas côtés par des voûtes d’arêtes romaines et de continuer à couvrir les grandes nefs par une charpente apparente, ainsi que l’indique la figure (13), où ils eurent l’idée d’élever des berceaux sur les murs des nefs, au-dessus des fenêtres supérieures.
Ce second parti (19) ne pouvait être durable ; les grandes voûtes A, n’étant point contre-buttées, durent s’écrouler peu de temps après leur décintrage ; on plaçait des contre-forts extérieurs en B, mais ces contre-forts ne pouvaient maintenir la poussée continue des berceaux que sur certains points isolés, puis ils portaient à faux sur les reins des arcs-doubleaux C, les déformaient en disloquant ainsi tout l’ensemble de la bâtisse. Pour diminuer la puissance de poussée des berceaux, on eut l’idée, vers le commencement du XIIe siècle, dans quelques localités, de les cintrer suivant une courbe brisée ou en tiers-point, en les renforçant (comme dans la nef de la cathédrale d’Autun) au droit des piles par des arcs-doubleaux saillants, maintenus par des contre-forts (20). Il y avait là une amélioration, mais ce mode n’en était pas moins vicieux ; et la plupart des églises bâties suivant ce principe se sont écroulées quand elles n’ont pas été consolidées par des arcs-boutants un siècle environ après leur construction. C’est alors que les Clunisiens reconstruisaient la plupart de leurs établissements ; de 1089 à 1140 environ, la grande église de Cluny, la nef de l’abbaye de Vézelay sont élevées ; nous nous occuperons plus particulièrement de ce dernier monument religieux, encore debout aujourd’hui, tandis qu’une rue et des jardins ont remplacé l’admirable édifice de saint Hugues et de Pierre le Vénérable (voy. Architecture Monastique). À Vézelay, l’architecture religieuse allait faire un grand pas ; sans abandonner le plein cintre, les constructeurs établirent des voûtes d’arêtes sur la nef principale aussi bien que sur les bas côtés ; seulement pour faire arriver la pénétration des portions de voûtes cintrées suivant les formerets plein cintre jusqu’à la clef du grand berceau également plein cintre de la nef, ils eurent recours à des tâtonnements très-curieux à étudier (voy. Voûte).
Voici une vue perspective de l’intérieur de cette nef regardant vers l’entrée, qui donne l’idée du système adopté (21), et n’oublions pas que cette nef était élevée au commencement du XIIe siècle, peu de temps après celle de Cluny, et que par conséquent l’effort était considérable, le progrès bien marqué, puisque la nef de l’église de Cluny était encore voûtée en berceau plein cintre, et que même après la construction de la nef de Vézelay, vers 1150, à Autun, à Beaune, à Saulieu, on construisait encore des voûtes en berceau (ogival, il est vrai) sur les grandes nefs, ainsi que l’indique la figure (20). L’innovation tentée à Vézelay n’eut pas cependant de bien brillants résultats, car si ces voûtes reportaient leur poussée sur des points isolés, au droit des piles, elles n’étaient épaulées que par des contre-forts peu saillants, elles firent déverser les murs, déformer les voûtes des bas côtés ; et il fallut après que quelques-unes d’elles se furent écroulées, et toutes les autres aplaties, construire à la fin du XIIe siècle des arcs-boutants pour arrêter l’effet de cette poussée. À Cluny comme à Beaune, comme à la cathédrale d’Autun, il fallut de même jeter des arcs-boutants contre les murs des nefs pendant les XIIIe et XIVe siècles pour arrêter l’écartement des voûtes.

Il est certain que les effets qui se manifestèrent dans la nef de Vézelay durent surprendre les constructeurs qui croyaient avoir paré à l’écartement des grandes voûtes d’arêtes, non-seulement par l’établissement des contre-forts extérieurs, mais bien plus sûrement encore par la pose de tirants en fer qui venaient s’accrocher au-dessus des chapiteaux, à la naissance des arcs-doubleaux, à de forts gonds chevillés sur des longrines en bois placées en long dans l’épaisseur des murs (voy. Chaînage, Construction, Tirant). Ces tirants qui remplissaient la fonction d’une corde à la base de l’arc-doubleau, cassèrent ou brisèrent leurs gonds ; car à cette époque les fers d’une grande longueur devaient être fort inégaux et mal forgés.


Mais cette expérience ne fut point perdue. Dans cette même église de Vézelay, vers 1160, on bâtit un porche fermé, véritable narthex ou antéglise, conformément à l’usage alors adopté par la règle de Cluny (voy. Architecture Monastique) ; et ce porche, dans lequel les arcs-doubleaux adoptent la courbe en tiers-point, présente des voûtes d’arêtes avec et sans arcs-ogives, construites très-habilement, et savamment contre-buttées par les voûtes d’arêtes rampantes des galeries supérieures, ainsi que l’indique la coupe transversale de ce porche (fig. 22). Mais ici comme dans les églises d’Auvergne, la nef principale ne reçoit pas de jours directs ; pour trouver ces jours il eût fallu élever la voûte centrale jusqu’au point A ; alors des fenêtres auraient pu être percées au-dessus du comble du triforium dans le mur B, une suite de petits arcs, ou un second triforium auraient éclairé ces combles en E, et pour contre-butter la grande voûte il eût suffi de construire, au droit de chaque arc-doubleau, un arc-boutant C reportant les poussées sur le contre-fort D, rendu plus résistant au moyen d’une plus forte saillie. Ce dernier pas était bien facile à franchir ; aussi voyons-nous presque tous les édifices religieux du domaine royal, de la Champagne, de la Bourgogne et du Bourbonnais adopter ce parti, non sans quelques tâtonnements, pendant la seconde moitié du XIIe siècle. Mais en renonçant aux voûtes en berceau dans les provinces du nord et les remplaçant par des voûtes d’arêtes (même lorsqu’elles étaient combinées comme celles du porche de l’église de Vézelay, c’est-à-dire très-peu élevées), on devait en même temps renoncer aux couvertures posées à cru sur ces voûtes, il fallait des charpentes. Une nouvelle difficulté se présentait. Des voûtes construites d’après le système adopté dans le porche de Vézelay exigeaient ou des charpentes sans entraits, si les murs goutterots ne s’élevaient que jusqu’au point E, c’est-à-dire jusqu’à la hauteur de la clef des formerets, ou une surélévation de ces murs goutterots jusqu’au sommet G des grandes voûtes, si l’on voulait que les fermes fussent munies d’entraits. Or nous voyons que, pour obtenir des jours directs au-dessus du triforium en B, on était déjà amené à donner une grande élévation aux murs des nefs ; il était donc important de gagner tout ce que l’on pouvait gagner sur la hauteur ; on fut alors entraîné à baisser la clef des arcs-doubleaux des grandes voûtes au niveau des clefs des formerets, et comme conséquence les naissances de ces arcs-doubleaux durent être placées au-dessous des naissances de ces formerets (voy. Voûte). Ce fut après bien des hésitations que, vers 1220, les sommets des arcs-doubleaux et des formerets atteignirent définitivement le même niveau. Les grandes voûtes de la nef et du porche de Vézelay ont de la peine à abandonner la forme primitive en berceau ; évidemment les constructeurs de cette époque, tout en reconnaissant que la poussée continue de la voûte en berceau ne pouvait convenir à des édifices dont les plans ne donnent que des points d’appui espacés, qu’il fallait diviser cette poussée au moyen de formerets et de voûtes pénétrant le berceau principal, n’osaient encore aborder franchement le parti de la voûte en arcs-ogives ; d’ailleurs ils commençaient à peine vers le milieu du XIIe siècle à poser des arcs-ogives saillants, et les arêtes des voûtes ne pouvaient être maintenues sans ce secours, à moins d’un appareil fort compliqué que des maçonneries en petits moellons ne comportaient pas. Les plus anciens arcs-ogives ne sont que des nervures saillantes, des boudins, des tores simples, doubles ou triples, qui sont évidemment placés sous les arêtes des voûtes dans l’origine, pour les décorer et pour donner un aspect moins froid et moins sec aux constructions. Dans le porche de Vézelay, par exemple, deux voûtes seulement sont munies d’arcs-ogives ; ils ne sont qu’une décoration, et n’ajoutent rien à la solidité des voûtes qui ne sont pas combinées pour avoir besoin de leur secours. Les grandes voûtes, presque coupoles, des cathédrales d’Angers et de Poitiers, sont décorées d’arcs-ogives très-minces, sans utilité, et qui, au lieu de porter les remplissages, sont portés par eux au moyen de queues pénétrant dans les arêtes à peine saillantes de ces voûtes. Mais bientôt, pendant la seconde moitié du XIIe siècle, les architectes du nord s’emparent de ce motif de décoration pour établir tout leur système de construction des voûtes en arcs-d’ogives. Ils donnent aux arcs-ogives une épaisseur et une force assez grandes non-seulement pour qu’ils puissent se maintenir par la coupe de leurs claveaux, mais encore pour pouvoir s’en servir comme de cintres sur lesquels ils viennent bander les triangles de remplissages formant autant de petites voûtes indépendantes les unes des autres, et reportant tout leur poids sur ces cintres. Ce principe une fois admis, ces architectes sont complètement maîtres des poussées des voûtes, ils les font retomber et les dirigent sur les points résistants. C’est par l’application savante de ce principe qu’ils arrivent rapidement à reporter tout le poids et la poussée de voûtes énormes sur des piles extrêmement minces et présentant en projection horizontale une surface très-minime. Nous ne nous étendrons pas davantage sur ce chapitre, développé dans le mot Voûte. La figure 19 fait voir comme les architectes qui construisaient des églises étaient conduits, presque malgré eux et par la force des choses, à donner une grande élévation aux nefs centrales comparativement à leur largeur. La plupart des auteurs qui ont écrit sur l’architecture religieuse du moyen âge se sont émerveillés de la hauteur prodigieuse de ces nefs, et ils ont voulu trouver dans cette élévation une idée symbolique.
Que l’on ait exagéré, à la fin du XIIIe siècle et pendant les XIVe et XVe siècles, la hauteur des édifices religieux, indépendamment des nécessités de la construction, nous voulons bien l’admettre ; mais au moment où l’architecture religieuse se développe dans le nord de la France, lorsqu’on étudie scrupuleusement les monuments, on est frappé des efforts que font les architectes pour réduire au contraire, autant que possible, la hauteur des nefs. Un exposé fort simple fera comprendre ce que nous avançons ici. Supposons un instant que nous ayons une église à construire d’après les données admises à la fin du XIIe siècle (23) : la nef doit avoir 12 mètres d’axe en axe des piles, les bas côtés 7 mètres ; pour que ces bas côtés soient d’une proportion convenable par rapport à leur hauteur, et pour qu’ils puissent prendre des jours élevés de façon à éclairer le milieu de la nef, ils ne peuvent avoir moins de 12 mètres de hauteur jusqu’à la clef des voûtes. Il faut couvrir ces bas côtés par un comble de 5 mètres de poinçon, compris l’épaisseur de la voûte, nous arrivons ainsi au faîtage des combles des bas côtés avec une hauteur de 17 mètres. Ajoutons à cela le filet de ces combles, et l’appui des croisées, ensemble 1 mètre, puis la hauteur des fenêtres supérieures qui ne peuvent avoir moins de deux fois la largeur de l’entre-deux des piles si l’on veut obtenir une proportion convenable ; or les bas côtés ayant 7 mètres de largeur, l’entre-deux des piles de la nef sera de 5m,50, ce qui donnera à la fenêtre une hauteur de 11 mètres. Ajoutons encore l’épaisseur de la clef de ces fenêtres 0m,40, l’épaisseur du formeret 0m,30 ; l’épaisseur de la voûte 0m,25, le bahut du comble 0m,60, et nous avons atteint, en nous restreignant aux hauteurs les plus modérées, une élévation de 32 mètres jusqu’à la base du grand comble, et de 30 mètres sous clef. Le vide de la nef entre les piles étant de 10m,50, elle se trouvera avoir en hauteur trois fois sa largeur environ. Or il est rare qu’une nef de la fin du XIIe siècle, dans un monument à bas côtés simples et sans triforium voûté, soit d’une proportion aussi élancée. Mais s’il s’agit de construire une cathédrale avec doubles bas côtés comme Notre-Dame de Paris ; si l’on veut élever sur les bas côtés voisins de la nef un triforium voûté, couvrir ce triforium par une charpente ; si l’on veut encore percer des fenêtres au-dessus de ces combles sous les formerets des grandes voûtes, on sera forcément entraîné à donner une grande élévation à la nef centrale. Aussi, en analysant la coupe transversale de la cathédrale de Paris, nous serons frappés de la proportion courte de chacun des étages de la construction, pour éviter de donner à la nef principale une trop grande hauteur relativement à sa largeur. Les bas côtés sont écrasés, le triforium est bas, les fenêtres supérieures primitives extrêmement courtes, c’est au moyen de ces sacrifices que la nef centrale de la cathédrale de Paris n’a sous clef qu’un peu moins de trois fois sa largeur (voy. fig. 27) ; car il faut observer que cette largeur des nefs centrales ne pouvait dépasser une certaine limite, à cause de la maigreur des points d’appui, et du mode de construction des voûtes maintenues seulement par une loi d’équilibre ; les nefs les plus larges connues n’ont pas plus de 16m,60 d’axe en axe des piles. Cette nécessité de ne pas élever les voûtes à de trop grandes hauteurs, afin de pouvoir les maintenir, contribua plus que toute autre chose à engager les architectes de la fin du XIIe siècle, dans les provinces du nord, à chercher et trouver un système de voûtes dont les clefs ne dussent pas dépasser le niveau du sommet des fenêtres supérieures. Mais, nous l’avons dit déjà, ils étaient embarrassés lorsqu’il fallait poser des voûtes, même en arcs d’ogives, sur des parallélogrammes. L’ancienne méthode adoptée dans la voûte d’arête romaine, donnant en projection horizontale un carré coupé en quatre triangles égaux par les deux diagonales, ne pouvait être brusquement mise de côté ; cette configuration restait imprimée dans les habitudes du tracé, car il faut avoir pratiqué l’art de la construction pour savoir combien une figure géométrique transmise par la tradition a d’empire, et quels efforts d’intelligence il faut à un praticien pour la supprimer et la remplacer par une autre. On continua donc de tracer les voûtes nouvelles en arcs d’ogives sur un plan carré formé d’une couple de travées (24). Les arcs-doubleaux AB, EF étaient en tiers-point, les arcs diagonaux ou arcs-ogives plein cintre. L’arc CD également en tiers-point, comme les arcs-doubleaux, mais plus aigu souvent. Les clefs des formerets AC, CE, BD, DF atteignaient le niveau de la clef G, et les fenêtres étaient ouvertes sous ces formerets ; ce mode de construire les voûtes avait trois inconvénients : le premier, de masquer les fenêtres par la projection des arcs diagonaux AF, BE ; le second, de répartir les poussées inégalement sur les piles ; car les points ABEF recevant la retombée des arcs-doubleaux et des arcs-ogives étaient bien plus chargés et poussés au vide que les points C et D ne recevant que la retombée d’un seul arc.
On plaçait bien sous les points ABEF trois colonnettes pour porter les trois naissances, et une seule sous les points CD ; mais les piles inférieures ABCDEF et les arcs-boutants extérieurs étaient pareils comme force et comme résistance ; le troisième, de forcer d’élever les murs goutterots fort au-dessus des fenêtres si l’on voulait que les entraits de charpentes pussent passer librement au-dessus des voûtes ; car les arcs-ogives AF, BE diagonales d’un carré, bandés sur une courbe plein cintre, élevaient forcément la clef G à une hauteur égale au rayon GB ; tandis que les arcs-doubleaux AB, EF quoique bandés sur une courbe en tiers-point, n’élevaient leurs clefs H qu’à un niveau inférieur à celui de la clef G ; en outre les triangles AGB, EGF étaient trop grands : il fallait, pour donner de la solidité aux remplissages, que leurs lignes de clefs GH fussent très-cintrées, dès lors les points I s’élevaient encore de près d’un mètre au-dessus de la clef H. Ces voûtes, pour être solides, devaient donc être très-bombées et prendre une grande hauteur ; et nous venons de dire que les constructeurs cherchaient à réduire ces hauteurs. C’est alors, vers le commencement du XIIIe siècle, que l’on renonça définitivement à ce système de voûtes et que l’on banda les arcs-ogives dans chaque travée des nefs, ainsi que l’indique la figure 25. Par suite de ce nouveau mode, les piles ABCD furent également poussées et chargées, les fenêtres ouvertes sous les formerets AC, BD, démasquées ; les clefs G ne furent élevées qu’à une hauteur égale au rayon AG au-dessus des naissances des arcs ; et les triangles ABG, CDG plus petits, purent être remplis sans qu’on fût obligé de donner beaucoup de flèche aux lignes de clefs GH. Il fut facile alors de maintenir les sommets des formerets et les clefs G, H au même niveau, et par conséquent de poser les charpentes immédiatement au-dessus des fenêtres hautes en tenant compte seulement des épaisseurs des clefs des formerets et de la voûte, épaisseurs gagnées à l’extérieur par la hauteur des assises de corniche.
La coupe transversale que nous donnons ici (26) sur IK, fait voir comment les constructeurs étaient arrivés dès les premières années du XIIIe siècle à perdre en hauteur le moins de place possible dans la combinaison des voûtes, tout en ménageant des jours supérieurs très-grands destinés à éclairer directement le milieu des nefs. Il avait fallu cinquante années aux architectes de la fin du XIIe siècle pour arriver des voûtes encore romanes d’Autun et de Vézelay à ce grand résultat ; et de ce moment toutes les constructions des édifices religieux dérivent de la disposition des voûtes ; la forme et la dimension des piles, leur espacement, l’ouverture des fenêtres, leur largeur et hauteur, la position et la saillie des contre-forts, l’importance de leurs pinacles, la force, le nombre et la courbure des arcs-boutants, la distribution des eaux pluviales, leur écoulement, le système de couverture, tout procède de la combinaison des voûtes. Les voûtes commandent l’ossature du monument au point qu’il est impossible de l’élever, si l’on ne commence par les tracer rigoureusement avant de faire poser les premières assises de la construction. Cette règle est si bien établie que, si nous voyons une église du milieu du XIIIe siècle dérasée au niveau des bases, et dont il ne reste que le plan, nous pourrons tracer infailliblement les voûtes, indiquer la direction de tous les arcs, leur épaisseur. À la fin du XIVe siècle, la rigueur du système est encore plus absolue ; on pourra tracer, en examinant la base d’un édifice, non-seulement le nombre des arcs des voûtes, leur direction, et reconnaître leur force, mais encore le nombre de leurs moulures et jusqu’à leurs profils. Au XVe siècle, ce sont les arcs des voûtes qui descendent eux-mêmes jusqu’au sol, et les piles ne sont que des faisceaux verticaux formés de tous les membres de ces arcs. Après cela on se demande comment des hommes sérieux ont pu repousser et repoussent encore l’étude de l’architecture du moyen âge, comme n’étant que le produit du hasard ? Il nous faut revenir sur nos pas, maintenant que nous avons tracé sommairement l’histoire de la voûte, du simple berceau plein cintre et de la coupole, à la voûte en arcs d’ogives. Nous avons vu comment dans les églises de l’Auvergne, d’une partie du centre de la France, de la Bourgogne et de la Champagne, du Xe au XIIe siècle, les bas côtés étaient surmontés souvent d’un triforium voûté, soit par un demi-berceau, comme à Saint-Étienne de Nevers, à Notre-Dame du Port de Clermont, soit par des berceaux perpendiculaires à la nef, comme à Saint-Remy de Reims, soit par des voûtes d’arêtes, comme dans le porche de Vézelay. Nous retrouvons ces dispositions dans quelques églises normandes, à l’abbaye aux Hommes de Caen par exemple, où le triforium est couvert par un berceau butant, qui est plus qu’un quart de cylindre (voy. Arc-boutant, fig. 49). Dans le domaine royal, à la fin du XIIe siècle, pour peu que les églises eussent d’importance, le bas côté était surmonté d’une galerie voûtée en arcs d’ogives, c’était une tribune longitudinale qui permettait, les jours solennels, d’admettre un grand concours de fidèles dans l’enceinte des églises ; car par ce moyen la superficie des collatéraux se trouvait doublée. Mais nous avons fait voir aussi comment cette disposition amenait les architectes, soit à élever démesurément les nefs centrales, soit à sacrifier les jours supérieurs ou à ne leur donner qu’une petite dimension. La plupart des grandes églises du domaine royal et de la Champagne, bâties pendant le règne de Philippe Auguste, possèdent une galerie voûtée au-dessus des collatéraux ; nous citerons la cathédrale de Paris, les églises de Mantes et de Saint-Germer, les cathédrales de Noyon et de Laon, le chœur de Saint-Remy de Reims, le croisillon sud de la cathédrale de Soissons, etc. Ces galeries de premier étage laissent apparaître un mur plein dans la nef, entre leurs voûtes et l’appui des fenêtres supérieures, afin d’adosser les combles à pentes simples qui les couvrent, comme à Notre-Dame de Paris, à Mantes ; ou bien sont surmontées d’un triforium percé dans l’adossement du comble et l’éclairant, comme à Laon, à Soissons, à Noyon. L’architecte de la cathédrale de Paris, commencée en 1168, avait, pour son temps, entrepris une grande tâche, celle d’élever une nef de onze mètres d’ouverture entre les piles, avec doubles bas côtés et galerie supérieure voûtés.
Voici comment il résolut ce problème (27). Il ne donna aux collatéraux qu’une médiocre hauteur ; les fenêtres du second collatéral pouvaient à peine alors donner du jour dans les deux bas côtés A, B. La galerie construite au-dessus du collatéral B fut couverte par des voûtes en arcs d’ogives rampantes, de manière à ouvrir de grandes et hautes fenêtres dans le mur extérieur de C en D.
La claire-voie E permettait ainsi à ces fenêtres d’éclairer le vaisseau principal, la projection de la lumière suivant la ligne ponctuée DF. Un comble assez plat pour ne pas obliger de trop relever les appuis des fenêtres hautes, couvrit les voûtes de la galerie, le mur GH resta plein, et les fenêtres supérieures ne purent éclairer que les grandes voûtes. Très-probablement des arcs-boutants à double volée contre-butaient alors ces grandes voûtes. À l’extérieur, l’aspect de cette vaste église ne laissait pas que d’être majestueux, plein d’unité, facile à comprendre (28) ; mais il n’en était pas de même à l’intérieur, où apparaissaient de graves défauts de proportion. Les collatéraux sont non-seulement bas, écrasés, mais ils ont l’inconvénient de présenter des hauteurs d’arcades à peu près égales à celles de la galerie supérieure ; le mur nu surmontant les archivoltes de premier étage, devait paraître lourd au-dessus de la claire-voie, et était assez misérablement percé par les fenêtres perdues sous les formerets des grandes voûtes (29). Il semble (et on peut encore se rendre compte de cet effet en examinant la première travée de la nef laissée dans son état primitif) que les constructeurs aient été embarrassés de finir un édifice commencé sur un plan vaste et largement conçu. Jusqu’à la hauteur de la galerie on trouve dans les moyens d’exécution une sûreté, une franchise qui se perdent dans les œuvres hautes, trahissant au contraire une certaine timidité.
C’est qu’en effet, jusqu’aux appuis des fenêtres supérieures, la tradition des constructions romanes servait de guide, mais à partir de cette arase il fallait employer un mode de construire encore bien nouveau. Ces difficultés et ces défauts n’apparaissent pas au même degré dans les ronds-points des grands édifices de cette époque ; par suite de leur plantation circulaire, les constructions se maintenaient plus facilement ; les voûtes supérieures n’exerçaient pas dans les absides une poussée comparable à celle des voûtes des nefs agissant sur deux murs parallèles, isolés, maintenus sur les piles inférieures par une loi d’équilibre et non par leur stabilité propre. Ces piles, plus rapprochées dans les chœurs à cause du rayonnement du plan (voy. Cathédrale), donnaient une proportion moins écrasée aux arcades des bas côtés et galeries hautes, les fenêtres supérieures elles-mêmes, mieux encadrées par suite du rapprochement des faisceaux de colonnettes portant les voûtes, ne semblaient pas nager dans un espace vague. Le rond-point de la cathédrale de Paris, tel que Maurice de Sully l’avait laissé en 1196, était certainement d’une plus heureuse proportion que les travées parallèles du chœur ou de la nef, mais ce n’était encore, à l’intérieur du moins, qu’une tentative, non une œuvre complète, réussie. Une construction, moins vaste mais mieux conçue, avait, à la même époque, été commencée à Soissons par l’évêque Nivelon de Chérisy en 1175 ; nous voulons parler du croisillon sud de la cathédrale, dont le chœur et la nef ont été rebâtis ou achevés au commencement du XIIIe siècle.
Ce croisillon est par exception, comme ceux de la cathédrale de Noyon, en forme d’abside semi-circulaire (voy. Transsept) ; une sacristie ou trésor à deux étages voûtés, le flanque vers sa partie est (30). Par l’examen du plan on peut reconnaître l’œuvre d’un savant architecte. Ce bas côté, composé de piles résistantes sous les nervures de la grande voûte, et de simples colonnes pour porter les retombées des petites voûtes du collatéral, est d’une proportion bien plus heureuse que le bas côté du chœur de Notre-Dame de Paris. La construction est à la fois, ici, légère et parfaitement solide, et la preuve, c’est qu’elle est encore bien conservée, malgré la terrible commotion occasionnée par l’explosion d’une poudrière en 1813. Comme à Notre-Dame de Paris, comme à Noyon, comme à Saint-Remy de Reims, le collatéral est surmonté d’une galerie voûtée ; mais à Soissons, le mur d’adossement du comble de cette galerie est décoré par un triforium, passage étroit pris dans l’épaisseur du mur, les triples fenêtres supérieures remplissent parfaitement les intervalles entre les piles, sont d’une heureuse proportion et éclairent largement le vaisseau central. Voici (31) une travée intérieure de ce rond-point. Dans le chœur de l’église de Mantes les architectes de la fin du XIIe siècle avaient, de même qu’à Notre-Dame de Paris, élevé une galerie sur le collatéral, mais ils avaient voûté cette galerie par une suite de berceaux en tiers-point reposant sur des linteaux et des colonnes portées par les arcs-doubleaux inférieurs.
Ici les berceaux sont rampants (32), car les formerets ABC du côté intérieur ayant une base plus courte que les formerets extérieurs FDE à cause du rayonnement de l’abside, la clef E est plus élevée que la clef C et ces berceaux sont des portions de cônes. Cette disposition facilite l’introduction de la lumière à l’intérieur par de grandes roses ouvertes sous les formerets FDE. Les exemples que nous avons donnés jusqu’à présent tendent à démontrer que la préoccupation des constructeurs à cette époque dans le domaine royal était : 1o de voûter les édifices religieux ; 2o de les éclairer largement ; 3o de ne pas se laisser entraîner à leur donner trop de hauteur sous clef. L’accomplissement de ces trois conditions commande la structure des petites églises aussi bien que des grandes. Les roses, qui permettent d’ouvrir des jours larges, sont souvent percées sous les formerets des voûtes des nefs, au-dessus du comble des bas côtés, comme dans l’église d’Arcueil par exemple. Bien mieux ! dans la Champagne, où les nefs des églises des bourgs ou villages conservent des charpentes apparentes jusque vers 1220, on rencontre encore des dispositions telles que celle indiquée dans la fig. 33. Pour économiser sur la hauteur, les fenêtres de la nef sont percées au dessus des piles ; les arcs-doubleaux des bas côtés voûtés portent des chéneaux, et ces bas côtés sont couverts par une succession de combles à doubles pentes perpendiculaires à la nef, et fermés par des pignons accolés. Il est difficile de trouver une construction moins dispendieuse pour une contrée où la pierre est rare et le bois commun, prenant une moins grande hauteur proportionnellement à sa largeur, en même temps qu’elle fait pénétrer partout à l’intérieur la lumière du jour. Ce parti fut adopté dans beaucoup de petites églises de Normandie et de Bretagne, mais plus tard et avec des voûtes sur la nef centrale. Dans ce cas, les fenêtres de la nef sont forcément ouvertes au-dessus des archivoltes des collatéraux, afin de faire porter les retombées des grandes voûtes sur les piles, les pignons extérieurs sont à cheval sur les arcs-doubleaux des bas côtés et les chéneaux au milieu des voûtes ; les fenêtres éclairant ces bas côtés et percées sous les pignons sont alors jumelles, pour laisser les piles portant les voûtes des bas côtés passer derrière le pied-droit qui les sépare, ou bien se trouvent à la rencontre des pignons, ce qui est fort disgracieux (voy. Église).
Nous le répétons, les architectes du commencement du XIIIe siècle, loin de prétendre donner une grande hauteur aux intérieurs de leurs édifices, étaient au contraire fort préoccupés, autant par des raisons d’économie que de stabilité, de réduire ces hauteurs. Mais ils n’osaient encore donner aux piles isolées des nefs une élévation considérable. La galerie voûtée de premier étage leur paraissait évidemment utile à la stabilité des grands édifices, elle leur avait été transmise par tradition, et ils ne croyaient pas pouvoir s’en passer ; c’était pour eux comme un étrésillonnement qui donnait de la fixité aux piles des nefs ; ils n’adoptaient pas encore franchement le système d’équilibre qui devint bientôt le principe de l’architecture gothique. Dès les premières années du XIIIe siècle la cathédrale de Meaux avait été bâtie ; elle possédait des collatéraux avec galerie de premier étage voûtée, et triforium pris, comme au croisillon sud de Soissons, comme à la cathédrale de Laon, dans l’épaisseur du mur d’adossement du comble des galeries. Or, cette église, élevée à la hâte, avait été mal fondée ; il se déclara des mouvements tels dans ses maçonneries, peu de temps après sa construction, qu’il fallut y faire des réparations importantes ; parmi celles-ci, il faut compter la démolition des voûtes des bas côtés du chœur, en conservant celles de la galerie du premier étage, de sorte que le bas côté fut doublé de hauteur ; on laissa toutefois subsister dans les travées parallèles du chœur les archivoltes et la claire-voie de la galerie supprimée, qui continuèrent à étrésillonner les piles parallèlement à l’axe de l’église. Dans le même temps, de 1200 à 1225, on construisait la nef de la cathédrale de Rouen, où l’on établissait bénévolement une disposition semblable à celle qu’un accident avait provoquée à la cathédrale de Meaux, c’est-à-dire qu’on étrésillonnait toutes les piles de la nef entre elles parallèlement à l’axe de l’église à peu près à moitié de leur hauteur, au moyen d’une suite d’archivoltes simulant une galerie de premier étage qui n’existe pas, et n’a jamais existé. À Eu, même disposition. Le chœur de l’église abbatiale d’Eu avait été élevé, ainsi que le transsept et la dernière travée de la nef, avec bas côtés surmontés d’une galerie voûtée de premier étage dans les dernières années du XIIe siècle. La nef ne fut élevée qu’un peu plus tard, vers 1225, et comme à la cathédrale de Rouen, avec un simulacre de galerie seulement, en renonçant aux voûtes des bas côtés et élevant ceux-ci jusqu’aux voûtes de la galerie. Ce n’était donc que timidement, dans quelques contrées du moins, qu’on s’aventurait à donner une grande hauteur aux bas côtés et à supprimer la galerie voûtée de premier étage, ou plutôt à faire profiter les collatéraux de toute la hauteur de cette galerie, en ne conservant plus que le triforium pratiqué dans le mur d’adossement des combles latéraux. Cependant déjà des architectes plus hardis ou plus sûrs de leurs matériaux avaient, dès les premières années du XIIIe siècle, bâti de grandes église, telles que les cathédrales de Chartres et de Soissons, par exemple, sans galerie de premier étage sur les bas côtés, ou sans étrésillonnement simulant ces galeries et rendant les piles des nefs solidaires. Ce qui est certain, c’est qu’au commencement du XIIIe siècle on n’admettait plus les collatéraux bas, qu’on sentait le besoin de les élever, d’éclairer le milieu des nefs par de grandes fenêtres prises dans les murs de ces collatéraux, et que ne voulant pas élever démesurément les voûtes des nefs, on renonçait aux galeries de premier étage, et on se contentait du triforium pratiqué dans le mur d’adossement des combles des bas côtés, en lui donnant une plus grande importance. La cathédrale de Bourges nous donne la curieuse transition des grandes églises à galeries voûtées et à doubles bas côtés, comme Notre-Dame de Paris, aux églises définitivement gothiques, telles que les cathédrales de Reims et d’Amiens, du Mans, et de Beauvais surtout. Bourges, c’est Notre-Dame de Paris moins la galerie de premier étage.
La coupe transversale de cette immense cathédrale que nous donnons ici (34) nous fait voir le premier bas côté A débarrassé de la galerie qui le surmonte à la cathédrale de Paris. Les piles s’élèvent isolées jusqu’aux voûtes qui, à Notre-Dame de Paris, sont au premier étage ; les jours B qui à Paris ne peuvent éclairer la nef qu’en passant à travers la claire-voie de la galerie supérieure, éclairent directement la nef à Bourges. Le second bas côté C est seul réduit aux proportions de celui de Paris et s’éclaire par des jours directs D. Deux triforiums EE décorent les murs d’adossement des deux combles FF des deux collatéraux. Les voûtes sont éclairées par les fenêtres G pratiquées, comme à Notre-Dame de Paris, au-dessus du comble du premier bas côté surmonté de sa galerie. C’est à Bourges plus que partout ailleurs, peut-être, qu’on aperçoit les efforts des constructeurs pour restreindre la hauteur des édifices religieux dans les limites les plus strictes. Examinons cette coupe transversale : impossible de construire un bas côté extérieur plus bas que le collatéral C ; il faut le couvrir, la hauteur du premier comble F est donnée forcément par les pentes convenables pour de la tuile ; il faut éclairer la nef, les fenêtres B sont larges et basses, elles commandent la hauteur du collatéral intérieur A ; il faut aussi poser un comble sur les voûtes de ce collatéral, la hauteur de ce comble donne l’appui des fenêtres G ; ces fenêtres supérieures elles-mêmes sont courtes, et d’une proportion écrasée, elles donnent la hauteur des grandes voûtes. Même proportion de la nef qu’à la cathédrale de Paris ; la nef de Bourges sous clef a environ en hauteur trois fois sa largeur. Ainsi donc, avant de chercher une idée symbolique dans la hauteur des nefs gothiques, voyons-y d’abord une nécessité contre laquelle les constructeurs se débattent pendant cinquante années avant d’arriver à la solution du problème, savoir : d’élever de grands édifices voûtés, d’une excessive largeur, de les rendre stables, de les éclairer, et de donner à toutes les parties de l’architecture une proportion heureuse. Or ce problème est loin d’être résolu à Bourges. Les piles seules de la nef sont démesurément longues, les fenêtres sont courtes, les galeries de triforium écrasées, le premier collatéral hors de proportion avec le second.

Si les doubles collatéraux étaient utiles dans le voisinage du transsept et du chœur, ils étaient à peu près sans usage dans les nefs, ne pouvant servir que pour les processions. On y renonça bientôt ; seulement, ne conservant qu’un bas côté dans les nefs des cathédrales, on le fit plus large. L’étroitesse des collatéraux doubles ou simples des églises de la fin du XIIe siècle et du commencement du XIIIe siècle était motivée par la crainte de voir leurs voûtes pousser les piles à l’intérieur (voy. Construction).

Dans le chœur de Beauvais, bâti dix ans plus tard que celui de Bourges, même disposition pour l’unique bas côté qui donne entrée dans les chapelles ; un triforium est percé dans l’adossement du comble de ces chapelles, et des fenêtres éclairant directement le chœur, sont ouvertes au-dessus du triforium sous les voûtes. À la cathédrale du Mans le chœur avec double bas côté, bâti pendant la première moitié du XIIIe siècle, présente la même coupe que celui de Bourges, mais beaucoup mieux étudiée, les rapports de proportion entre les deux bas côtés sont meilleurs (voy. Cathédrale), les fenêtres supérieures moins courtes, les chapelles rayonnantes prennent un plus grand développement, tout le système de la construction est plus savant. Mais un parti simple et large devait être adopté dans le domaine royal pour la construction des églises dès 1220. De même que dans les nefs, on remplaçait les doubles bas côtés étroits par un seul bas côté très-large, on renonçait également dans les ronds-points aux deux collatéraux qui obligeaient les constructeurs, comme à Chartres, comme à Bourges, comme au Mans encore, à ne donner aux chapelles rayonnantes qu’une médiocre hauteur. On sentait le besoin d’agrandir ces chapelles et par conséquent de les élever et de les éclairer largement. Si dans la Notre-Dame de Paris de Maurice de Sully, il a existé des chapelles absidales, ce qui est douteux, elles ne pouvaient être que très-petites et basses (voy. Abside). À Bourges et à Chartres ces chapelles ne sont encore que des niches propres à contenir seulement l’autel ; elles sont espacées et permettent au collatéral de prendre des jours directs entre elles. À Reims, à Amiens surtout, ces chapelles sont aussi hautes que le bas côté et profitent de tout l’espace compris entre les contre-forts recevant les arcs-boutants supérieurs ; elles empiètent même sur leur épaisseur (voy. Arc-boutant, fig. 60. Cathédrale). Alors plus de triforium entre l’archivolte d’entrée de ces chapelles et le formeret des voûtes du bas côté comme à Beauvais, dont le chœur est une exception, le triforium n’existe qu’entre les archivoltes du bas côté et l’appui des fenêtres hautes. Mais ici il nous faut encore retourner en arrière. Nous avons dit et fait voir par des exemples que le triforium, dans les églises bâties de 1160 à 1220, était percé dans les murs d’adossement des combles des bas côtés. Aux XIe et XIIe siècles il s’ouvre sur des galeries voûtées dans les édifices du centre de la France, tels que l’église de Notre-Dame-du-Port (fig. 10). Mais en Champagne, en Normandie, sur le domaine royal, le triforium est une claire-voie donnant simplement sous les charpentes des bas côtés et les éclairant (voy. Triforium) ; du milieu de la nef on pouvait donc apercevoir les fermes, les chevrons, et le dessous des tuiles de ces couvertures à travers les arcades du triforium, c’est ainsi dans les cathédrales de Langres, de Sens et dans beaucoup d’églises de second ordre. La vue de ces dessous de charpentes sombres n’était pas agréable, et les combles, ne pouvant être parfaitement clos, laissaient pénétrer dans l’église l’air et l’humidité. Pour éviter ces inconvénients, dès les premières années du XIIIe siècle, le triforium fut fermé du côté des charpentes par un mur mince portant sur des arcs de décharge, et ne devint plus qu’une galerie étroite permettant de circuler en dedans de l’église au-dessous des appuis des grandes fenêtres supérieures. Dans la nef de la cathédrale d’Amiens, à Notre-Dame de Reims, à Châlons, et dans presque toutes les églises du nord dont la construction remonte aux premières années du XIIIe siècle, les choses sont ainsi disposées. Mais au XIIe siècle on avait adopté un mode de décoration des édifices religieux qui prenait une importance considérable ; nous voulons parler des vitraux colorés. Les peintures murales, fort en usage dans les siècles antérieurs, ne pouvaient lutter avec ces brillantes verrières, qui, en même temps qu’elles présentaient des sujets parfaitement visibles par les temps les plus sombres, laissaient passer la lumière et atteignaient une richesse et une intensité de couleurs qui faisaient pâlir et effacent même complètement les fresques peintes auprès d’elles. Plus le système de l’architecture adopté forçait d’agrandir les baies, plus on les remplissait de vitraux colorés, et moins il était possible de songer à peindre sur les parties lisses des murs des sujets historiques. Il est question de vitraux colorés dans des édifices religieux fort anciens, à une époque où les fenêtres destinées à les éclairer étaient très-petites ; nous ne savons comment étaient traitées ces verrières, puisqu’il n’en existe pas qui soient antérieures au XIIe siècle, mais il est certain qu’avec le mode de coloration et de distribution des verrières les plus anciennes que nous connaissions, il est impossible de faire de la peinture harmonieuse, autre que de la peinture d’ornement. Dans des soubassements, sur des nus de murs, près de l’œil, les fresques peuvent encore soutenir la coloration translucide des verrières, mais à une grande hauteur, l’effet rayonnant des vitraux colorés est tel qu’il écrase toute peinture modelée. Les tentatives faites depuis peu dans quelques-uns de nos édifices religieux pour allier la peinture murale à sujets avec les vitraux ne font, à notre avis, que confirmer notre opinion. Dans ce cas, ou les vitraux paraissent durs, criards, ou la peinture modelée semble flasque, pauvre et poudreuse. L’ornementation plate dont les couleurs sont très-divisées, et les formes fortement redessinées par de larges traits noirs, ne comportant que des tons francs, simples, est la seule qui puisse se placer à côté des vitraux colorés, et même faire ressortir leur brillante harmonie (voy. Peinture, Vitraux). Préoccupés autant de l’effet décoratif des intérieurs de leurs édifices religieux, que du système de construction qui leur semblait devoir être définitivement adopté, les architectes du XIIIe siècle se trouvaient peu à peu conduits, pour satisfaire aux exigences du nouvel art inauguré par eux, à supprimer tous les nus des murs dans les parties hautes de ces édifices. Ne pouvant harmoniser de larges surfaces peintes avec les vitraux colorés, reconnaissant d’ailleurs que ces vitraux sont certainement la plus splendide décoration qui puisse convenir à des intérieurs de monuments élevés dans des climats où le ciel est le plus souvent voilé, que les verrières colorées enrichissent la lumière pâle de notre pays, font resplendir aux yeux des fidèles une clarté vivante en dépit du ciel gris et triste, ils profitèrent de toutes les occasions qui se présentaient d’ouvrir de nouveaux jours, afin de les garnir de vitraux. Dans les pignons ils avaient percé des roses qui remplissaient entièrement l’espace laissé sous les voûtes ; des formerets ils avaient fait les archivoltes des fenêtres supérieures et inférieures ; ne laissant plus entre ces fenêtres que les points d’appui rigoureusement nécessaires pour porter les voûtes, divisant même ces points d’appui en faisceaux de colonnettes afin d’éviter les surfaces plates, ils ouvrirent aussi les triforiums et en firent des claires-voies vitrées. Cette transition est bien sensible à Amiens.
La nef de la cathédrale d’Amiens, élevée de 1230 à 1240, possède un triforium avec mur d’adossement plein derrière les combles des bas côtés (35); et l’œuvre haute du chœur bâtie de 1255 à 1265, nous montre un triforium à claire-voie vitrée ; de sorte qu’il n’existe plus dans ce chœur ainsi ajouré, en fait de murs lisses,
que les triangles compris entre les archivoltes des bas côtés, les faisceaux des piles, et l’appui du triforium ; c’est-à-dire une surface de vingt mètres de nus, pour une surface de huit cents mètres environ de vides ou de piles divisées en colonnettes. Les parties supérieures du chœur de la cathédrale d’Amiens ne marquent pas la première tentative d’un triforium ajouré. Déjà les architectes du chœur de la cathédrale de Troyes, de la nef et du chœur de l’église abbatiale de Saint-Denis, bâtis vers 1240, avaient considéré le triforium comme une véritable continuation de la fenêtre supérieure ; nous donnons (36) une travée perspective de la nef de l’église abbatiale de Saint-Denis, qui fait comprendre ce dernier parti, adopté depuis lors dans presque toutes les grandes églises du domaine royal. Mais pour vitrer et laisser passer la lumière par la claire-voie pratiquée en A dans l’ancien mur d’adossement du comble du bas côté, il était nécessaire de supprimer le comble à pente simple, de le remplacer par une couverture B à double pente, ou par une terrasse. L’établissement du comble à double pente exigeait un chéneau en C, et des écoulements d’eau compliqués. Ainsi, en se laissant entraîner aux conséquences rigoureuses du principe qu’ils avaient admis, les architectes du XIIIe siècle, chaque fois qu’ils voulaient apporter un perfectionnement dans leur mode d’architecture, étaient amenés à bouleverser leur système de construction, de couverture, d’écoulement des eaux ; et ils n’hésitaient jamais à prendre un parti franc.
Dans les édifices religieux de l’époque romane, les eaux des combles s’écoulaient naturellement par l’égout du toit sans chéneaux pour les recueillir et les conduire à l’extérieur. La pluie qui fouette sur le grand comble A (37) s’égoutte sur les toitures des bas côtés B, et de là tombe à terre. Dès le commencement du XIIe siècle on avait reconnu déjà dans les climats pluvieux, tels que la Normandie, les inconvénients de ce système primitif, et l’on avait établi des chéneaux à la base des combles des bas côtés seulement en C, avec gargouilles saillantes en pierre dénuées de sculpture. Mais lorsque l’on se mit à élever de très-vastes églises, la distance entre les combles A et B était telle que l’eau, poussée par le vent, venait frapper les murs, les vitres des fenêtres largement ouvertes, et pénétrait à l’intérieur ; les tuiles dérangées par le vent tombaient du comble supérieur sur les combles des bas côtés, et causaient des dommages considérables aux couvertures ; de 1200 à 1220 des assises formant chemin de couronnement, furent posées à la base des grands combles, et les eaux s’échappèrent le long des larmiers dont les saillies étaient très-prononcées (voy. Larmier, Chéneau). C’est ainsi que les écoulements d’eaux pluviales sont disposés à la cathédrale de Chartres. Bientôt on creusa ces assises de couronnement posées à la base des combles, en chéneaux dirigeant les eaux par des gargouilles saillantes au droit des arcs-boutants munis de caniveaux (voy. Arc-boutant) ; puis ces chéneaux furent bordés de balustrades, ce qui permettait d’établir au sommet de l’édifice une circulation utile pour surveiller et entretenir les toitures, d’opposer un obstacle à la chute des tuiles ou ardoises des combles supérieurs sur les couvertures basses. Plus les édifices religieux devenaient importants, élevés, et plus il était nécessaire de rendre l’accès facile à toutes hauteurs, soit pour réparer les toitures, les verrières et les maçonneries à l’extérieur, soit pour tendre et orner les intérieurs lors des grandes solennités. Ce n’était donc pas sans raisons que l’on établissait à l’extérieur une circulation assez large dans tout le pourtour des édifices religieux ; à la base des combles des collatéraux en D (fig. 35 et 36), au-dessus du triforium en E, à la base des grands combles en F ; à l’intérieur en G dans le triforium. Pour ne pas interrompre la circulation au droit des piles dans les grands édifices religieux du XIIIe siècle on ménageait un passage à l’intérieur dans le triforium derrière les piles en H, à l’extérieur en I entre la pile et la colonne recevant l’arrivée de l’arc-boutant. Plus tard les constructeurs ayant reconnu que ces passages avaient nui souvent à la stabilité des édifices, montèrent leurs piles pleines, faisant pourtourner les passages dans le triforium et au-dessus, derrière ces piles, ainsi qu’on peut l’observer dans les cathédrales de Narbonne et de Limoges ; mais alors les bas côtés étaient couverts en terrasses dallées (38).
Des besoins nouveaux, l’expérience des constructeurs, des habitudes de richesse et de luxe, modifiaient ainsi rapidement l’architecture religieuse pendant le XIIIe siècle. Dans le domaine royal on remplaçait toutes les anciennes églises romanes par des monuments conçus d’après un mode tout nouveau. Les établissements religieux qui, pendant le XIIe siècle, avaient jeté un si vif éclat, et qui, possesseurs alors de biens immenses, avaient élevé de grandes églises, penchant vers leur déclin déjà au XIIIe siècle, laissaient seuls subsister les monuments qui marquaient l’époque de leur splendeur ; les prieurés, les paroisses pauvres conservaient par force leurs églises romanes, en remplaçant autant qu’il était possible les charpentes par des voûtes, commençant des reconstructions partielles que le manque de ressources les obligeait de laisser inachevées souvent ; mais tous, riches ou pauvres, étaient possédés de la fureur de bâtir, et de remplacer les vieux édifices romans par d’élégantes constructions élevées avec une rapidité prodigieuse. Les évêques étaient à la tête de ce mouvement et faisaient, dans toutes les provinces du nord, rebâtir leurs cathédrales sur de nouveaux plans que l’on venait modifier et amplifier encore à peine achevées. Les grandes cathédrales élevées de 1160 à 1240, n’étaient pourvues de chapelles qu’au chevet. Les nefs, ainsi que nous l’avons dit plus haut, n’étaient accompagnées que de collatéraux doubles ou simples. La cathédrale de Paris, entre autres, était dépourvue de chapelles même au rond-point probablement ; celles de Bourges et de Chartres n’ont que de petites chapelles absidales pouvant à peine contenir un autel. En 1230 la cathédrale de Paris était achevée (voy. Cathédrale), et en 1240 déjà on crevait les murs des bas côtés de la nef pour établir des chapelles éclairées par de larges fenêtres à meneaux entre les saillies des contre-forts. Cette opération était continuée vers 1260 sur les côtés parallèles du chœur, les deux pignons du transsept étaient entièrement reconstruits avec roses et claires-voies au-dessous, les fenêtres supérieures de la nef et du chœur élargies et allongées jusqu’au-dessus des archivoltes de la galerie de premier étage ; par suite, les voûtes de cette galerie modifiées, et enfin au commencement du XIVe siècle on établissait de grandes chapelles tout autour du rond-point. Tel était alors le désir de satisfaire aux besoins et aux goûts du moment, que l’on n’hésitait pas à reprendre de fond en comble un immense édifice tout neuf, pour le mettre en harmonie avec les dernières dispositions adoptées. Toutefois la construction des chapelles de la nef de la cathédrale de Paris, devance de beaucoup l’adoption de ce parti dans les autres églises du domaine royal. À Reims, la nef, dont la partie antérieure date de 1250 environ, n’a pas de chapelles ; à Amiens on ne les établit que pendant le XIVe siècle ; à cette époque on n’admettait plus guère de bas côtés sans chapelles, les plans des nefs des cathédrales de Clermont-Ferrand, de Limoges, de Narbonne, de Troyes, ont été conçus avec des chapelles. Ceux des cathédrales de Laon, de Rouen, de Coutances, de Sens, sont modifiés pour en recevoir, de 1300 à 1350.

Les nefs des églises appartenant à la règle de Cluny étaient précédées d’une avant-nef ou porche fermé, ayant une très-grande importance, comme à Vézelay, à la Charité-sur-Loire, à Cluny même, ces porches étaient surmontés de deux tours ; quatre tours accompagnaient en outre les deux croisillons du transsept, et un clocher central couronnait la croisée. Cette disposition, qui date du XIIe siècle, n’est pas adoptée dans les églises de la règle de Cîteaux ; les nefs ne sont précédées que d’un porche bas, fermé aussi, mais peu profond ; le pignon de la façade n’est pas flanqué de tours, non plus que les bras de la croisée ; une seule flèche s’élève sur le milieu du transsept ; ainsi étaient les églises de Clairvaux, de Fontenay, de Morimond, de Pontigny, etc. Ce luxe de tours ne pouvait convenir à l’austérité de la règle de Cîteaux : les religieux de cet ordre n’admettaient que le strict nécessaire ; un seul clocher sur le milieu de l’église devait suffire aux besoins du monastère (voy. Architecture Monastique). Les cathédrales du domaine royal, à la fin du XIIe siècle, prirent aux grandes églises monastiques une partie de leurs dispositions, en repoussèrent d’autres. Elles devaient être largement ouvertes à la foule, ces porches fermés, resserrés, interceptant les issues, si bien appropriés aux besoins des monastères, ne convenaient pas aux cathédrales ; on y renonça. On se contenta de porches très-ouverts comme à la cathédrale de Laon, comme à celle de Chartres (voy. cette Cathédrale), ou même vers le commencement du XIIIe siècle, de portails évasés, s’ouvrant directement sur les parvis comme à la cathédrale de Paris, à Amiens, à Reims, à Sens, à Séez, à Coutances, à Bourges, etc. Mais telle était l’influence des grandes églises abbatiales dans les provinces, que nous voyons leurs dispositions se perpétuer dans les cathédrales, les collégiales ou les simples paroisses élevées dans leur voisinage. Les porches de Cluny et de Cîteaux se retrouvent dans la cathédrale d’Autun, voisine de Cluny, dans la collégiale de Beaune, dans les églises de Bourgogne et du Mâconnais ; seulement ces porches s’ouvrent sur leurs trois faces, et ne forment plus une avant-nef fermée. La règle de Cîteaux a sur les constructions religieuses une influence plus marquée encore, autour de ses grands établissements. Dans le domaine royal les cathédrales adoptent les tours des grandes églises bénédictines clunisiennes. La cathédrale de Laon possédait et possède encore en partie deux tours couronnées de flèches sur la façade, quatre tours aux extrémités des bras de croix, et une tour carrée sur les arcs-doubleaux de la croisée centrale. Chartres présente la même disposition, sauf la tour centrale ; Reims, cette reine des églises françaises, avant l’incendie de la fin du XVe siècle était munie de ses six tours, et d’un clocher central terminé par une flèche en bois ; de même à Rouen. C’est en Normandie surtout que les tours centrales avaient pris une grande importance dans les églises monastiques comme dans les cathédrales ou les paroisses, et leurs étages décorés de galeries à jour se voyaient de l’intérieur, formant comme une immense lanterne donnant de l’air, de la lumière et de l’espace au centre de l’édifice. Les églises de Saint-Étienne et de la Trinité de Caen, de l’abbaye de Jumiéges, les cathédrales de Coutances, de Bayeux[5], et quantité de petites églises, possèdent des tours centrales qui font ainsi partie du vaisseau intérieur, et ne sont pas seulement des clochers, mais plutôt des coupoles ou lanternes donnant de la grandeur et de la clarté au centre de l’édifice. En revanche, les clochers de façade des églises, normandes sont étroits, terminés par des flèches en pierre d’une excessive acuité. Dans l’Île-de-France, les tours centrales sont rares ; quand elles existent, ce sont plutôt des clochers terminés par des flèches en bois, mais ne se voyant pas à l’intérieur des édifices, tandis que les tours des façades sont larges, hautes, construites avec luxe, puissamment empatées, comme dans les églises de Notre-Dame de Paris et de Mantes (voy. Tour, Flèche, Clocher).

À l’est de la France, sur les bords du Rhin, là où l’architecture carlovingienne laissait des monuments d’une grande importance, pendant les XIe et XIIe siècles, des églises avaient été élevées suivant un mode particulier comme plan et comme système de construction. Plusieurs de ces monuments religieux possédaient deux absides en regard, l’une à l’est, l’autre à l’ouest. C’était là une disposition fort ancienne dont nous trouvons des traces dans l’Histoire de Grégoire de Tours[6]. Comme pour appuyer le texte de cet auteur, nous voyons encore à la cathédrale de Nevers une abside et un transsept du côté de l’est qui datent du XIe siècle ; le sol de cette abside est relevé sur une crypte ou confession. L’auteur du plan de l’abbaye de Saint-Gall (voy. Architecture Monastique), dans le curieux dessin du IXe siècle parvenu jusqu’à nous, trace une grande et une petite église, chacune avec deux absides, l’une du côté de l’entrée, l’autre pour le sanctuaire. Sur le territoire carlovingien par excellence, les cathédrales de Trêves et de Mayence, l’église abbatiale de Laach (XIe, XIIe et XIIIe siècles) entre autres, possèdent des absides à l’occident comme à l’orient.
Les cathédrales de Besançon et de Verdun présentaient des dispositions pareilles, modifiées aujourd’hui, mais dont la trace est parfaitement visible ; cette dernière cathédrale même se trouve avoir deux transsepts en avant de ses absides, et quatre tours plantées dans les angles rentrants formés par les transsepts accompagnaient les deux ronds-points. Des escaliers à vis, d’une grande importance, flanquaient les deux tours du côté de l’ouest ; ce parti se trouve plus franchement accusé encore dans l’église cathédrale de Mayence, dans l’église abbatiale de Laach, et est indiqué déjà dans le plan de l’abbaye de Saint-Gall. Lorsque l’on visite la cathédrale de Strasbourg on est frappé de l’analogie des constructions du chœur avec celles des cathédrales de Mayence et de Spire, et il y a lieu de croire qu’au XIIe siècle Notre-Dame de Strasbourg possédait ses deux absides comme la plupart des grandes églises rhénanes. Voici (39) le plan de la cathédrale de Verdun telle qu’elle était à la fin du XIIe siècle, et débarrassée de toutes les adjonctions qui la dénaturent aujourd’hui ; en A est le sanctuaire autrefois fort élevé au-dessus du sol de la nef, avec crypte au-dessous, comme à Spire, à Mayence, à Besançon et à Strasbourg. Il existe encore à Verdun des traces de cette crypte ou confession sous les chapelles B qui étaient relevées au niveau du sanctuaire ; en C le transsept de l’est, D la nef, E l’entrée ancienne, F le transsept de l’ouest, G l’abside occidentale, convertie aujourd’hui en vestibule ; en H un cloître ; en B et en I des tours. Probablement il existait au centre du transsept de l’est, en C, une coupole à pans coupés portée sur des arcs posés en gousset ou sur des trompillons, comme à Spire, à Mayence et à Strasbourg. On le voit, ces dispositions ne rappelaient nullement celles adoptées au XIIe siècle dans les églises du domaine royal, de la Normandie, du Poitou et de l’Aquitaine. Il entrait dans ces plans un élément étranger aux traditions latines, et cet élément avait été introduit dans l’Austrasie dès l’époque de Charlemagne ; c’était, on n’en peut guère douter, le produit d’une influence orientale, comme un mélange de la basilique latine et du plan de Sainte-Sophie de Constantinople. Mais si les architectes de l’Austrasie, par suite des traditions qui leur avaient été transmises, n’éprouvaient plus, au XIe siècle, de difficultés pour voûter les absides et les coupoles des transsepts, ils se trouvaient dans le même embarras que tous leurs confrères de l’Occident, lorsqu’il fallait voûter des nefs établies sur le plan latin ; d’un autre côté, par cela même qu’ils n’avaient pas cessé de faire des voûtes, et que les traditions romaines s’étaient assez bien conservées en Austrasie, ils firent l’application de la voûte d’arête antique avec moins d’hésitation que les constructeurs de l’Île-de-France et de la Champagne ; ils arrivaient à la construire sans avoir passé par la voûte en berceau comme les architectes bourguignons et des provinces du centre, et sans chercher dans l’arc en tiers-point un moyen de diminuer les poussées. Aussi, dans les provinces de l’ancienne Austrasie, la courbe en tiers-point ne vient-elle que fort tard, ou exceptionnellement, non comme une nécessité, mais comme le résultat d’une influence, d’une mode irrésistible, vers le milieu du XIIIe siècle. Entre les monuments purement rhénans et les cathédrales de Strasbourg et de Cologne par exemple, à peine si l’on aperçoit une transition ; il y a continuation du mode roman de l’est jusqu’au moment où l’architecture du domaine royal étudiée, complète et arrivée à son dernier degré de perfection, fait une brusque invasion, et vient poser ses règles sur les bords du Rhin comme dans toutes les provinces de France. On rencontre bien parfois dans les provinces austrasiennes l’application du style adopté au commencement du XIIIe siècle dans le domaine royal, mais ce ne sont que les formes de cette architecture et non son principe qui sont admis, et cela est bien frappant dans la grande salle ronde bâtie au nord de la cathédrale de Trêves, où l’on voit toutes les formes, les profils et l’ornementation de l’architecture française du commencement du XIIIe siècle, adaptés à un plan et à des dispositions de constructions qui appartiennent aux traditions carlovingiennes. Examinons donc comment les constructeurs lorrains ou plutôt des provinces situées entre le Rhin, la Champagne et les Flandres, avaient procédé au XIe siècle, pour résoudre ce problème tant cherché de l’établissement des voûtes sur les nefs des basiliques latines. Nous l’avons dit, pour les absides dont la partie semi-circulaire, sans bas côtés et sans chapelles rayonnantes, était voûtée en cul-de-four, et dont les côtés parallèles étaient puissamment épaulés par des tours carrées construites sur les petites chapelles s’ouvrant dans les croisillons du transsept, nulle difficulté ; mais pour les nefs avec leurs collatéraux, il fallait appliquer, lorsque l’on renonça aux charpentes apparentes (car dans ces contrées, comme partout, les incendies ruinaient les édifices religieux de fond en comble), un système de voûtes qui ne poussât pas les murs en dehors. C’est dans une pauvre église peu visitée que nous allons suivre pas à pas les tentatives des constructeurs de l’Alsace et de la Lorraine.
Il est intéressant d’étudier certains édifices, peu importants d’ailleurs, mais qui, par les modifications qu’ils ont subies, donnent l’histoire et les progrès d’un art. Telle est la cathédrale de Saint-Dié. Bâtie pendant la seconde moitié du XIe siècle, cette église présentait probablement alors la disposition du plan rhénan adopté dans la cathédrale de Verdun ; l’abside de l’est fut rebâtie au XIVe siècle sur les fondements anciens ; quant à l’abside de l’ouest, elle a été remplacée, si jamais elle fut élevée, par une façade moderne ; mais la partie la plus intéressante pour nous aujourd’hui, la nef, existe encore ; voici (40) le plan de cette nef. Nous avons indiqué en noir les constructions du XIe siècle, et en gris les modifications apportées au plan primitif pendant le XIIe siècle : les piles AB supportaient des voûtes d’arêtes construites suivant le mode romain, c’est-à-dire par la pénétration de deux demi-cylindres, et séparées entre elles par des arcs-doubleaux ; des fenêtres jumelles éclairaient la nef sous les formerets de ces voûtes qui étaient contre-butées par des arcs-doubleaux latéraux bandés de A en C et de B en D ; les parallélogrammes ACDB étaient couverts par un plafond rampant formé simplement de chevrons, ainsi que l’indique la figure 41.
Mais alors, si la nef centrale était voûtée facilement par suite de la disposition carrée de chaque travée ABBA, les collatéraux ne pouvaient l’être que par une voûte oblongue, et la difficulté qui avait arrêté les architectes de la Champagne quand ils avaient voulu voûter les nefs centrales, évitée dans ce cas pour celles-ci, se reproduisait dans les bas côtés. En admettant même que les obstacles qui empêchaient de faire des voûtes d’arêtes sur un plan parallélogramme eussent été franchis en faisant pénétrer des demi-cylindres dont le diamètre eût été CA, dans de grands demi-cylindres dont le diamètre eût été AB, les formerets CD eussent eu leur clef au niveau des archivoltes AB ; dès lors les combles, par leur inclinaison, seraient venus masquer les fenêtres jumelles percées sous les formerets des grandes voûtes. Le système de chevronnage posé simplement de AB en CD et formant plafond rampant, avait l’avantage de ne pas perdre la hauteur du comble des bas côtés. Ces charpentes furent détruites par un incendie, et au XIIe siècle les constructeurs, renonçant aux plafonds rampants, voulurent aussi voûter les bas côtés ;
ils établirent alors entre les piles du XIe siècle (fig. 40) des piles plus minces E pour obtenir des plans EBDF carrés, sur lesquels ils purent sans difficulté faire des voûtes d’arêtes composées de demi-cylindres égaux se pénétrant, et dont les clefs ne s’élevaient pas assez pour les empêcher de trouver la hauteur d’un comble de H en K (fig. 42)[7]. Cette disposition de voûtes d’arêtes à plan carré sur les nefs et sur les bas côtés au moyen de la pile intermédiaire posée entre les piles principales, se retrouve au XIIe siècle dans les cathédrales de Mayence, de Spire, dans la curieuse église de Rosheim, et dans beaucoup d’édifices religieux d’Alsace et de Lorraine, non plus comme à Saint-Dié obtenue par suite d’une modification au plan primitif, mais définitivement admise,
comme un procédé pour voûter à la fois les nefs centrales et les collatéraux ; et ce problème une fois résolu, les constructeurs lorrains et alsaciens l’appliquèrent jusqu’au moment où l’architecture du domaine royal fit invasion chez eux. Avant d’aller plus loin, nous devons expliquer ce que nous entendons par influence byzantine, architecture byzantine, pour faire comprendre comment cette influence s’exerce sur l’architecture religieuse du territoire compris entre le Rhin, le Rhône et l’Océan. Il existe en Orient trois plans types qui ont été appliqués aux églises ; le plus ancien est le plan circulaire, dont le Saint-Sépulcre de Jérusalem est un des modèles les plus connus. Le second type est un dérivé de la basilique antique, mais avec transsept terminé par deux absides, telle est l’église de la Nativité du couvent de Bethléem (43).
Le troisième est le plan byzantin proprement dit, se composant d’une coupole centrale posée sur pendentifs avec quatre ouvertures vers les quatre points cardinaux, galeries latérales, une ou trois absides à l’est, et narthex du côté de l’entrée. Telle est l’église de Sergius à Constantinople (44), antérieure à la grande église de Sainte-Sophie que nous donnons ici (45).
Telle sont, avec certaines modifications, les petites églises d’Athènes dont nous présentons l’un des types (église de Kapnicarea) (46). Ces monuments, bien que très-différents par leurs dimensions et la manière dont ils sont construits, dérivent du même principe.
C’est toujours la coupole centrale sur pendentifs, épaulée par des voûtes latérales en berceau, ou d’arêtes, ou en quart de sphère. L’église circulaire terminée par une coupole avec jour central ou fenêtres percées à la base de la voûte, était plutôt un lieu consacré, une enceinte destinée à conserver soit des traces divines, comme l’église de l’ascension à Jérusalem[8], soit une sépulture, comme le Saint-Sépulcre, qu’une église dans la véritable acception du mot. Cependant cette forme primitive, adoptée dès l’époque de Constantin, eut une influence sur tous les édifices chrétiens élevés en Orient, dans lesquels on retrouve toujours la coupole centrale, à moins que par exception, comme dans l’église de Bethléem, le parti de la basilique romaine n’ait été presque complètement appliqué (43). Dès les premiers siècles du christianisme, il semblerait que le plan circulaire adopté en Orient eût aussi exercé en Occident une influence notable sur l’architecture religieuse. Sans parler des nombreux édifices circulaires qui, sous le règne de Constantin, furent élevés à Rome et qui, après tout, étaient romains aussi bien que le Saint-Sépulcre ; du au on bâtit en Occident un assez grand nombre d’églises rondes. À Paris, Childebert fit bâtir l’église Saint-Vincent (aujourd’hui Saint-Germain l’Auxerrois), que l’on désignait sous le nom de Saint-Vincent le Rond[9]. À la gauche du portail de la cathédrale de Paris il existait une chapelle qui avait conservé le nom de Saint-Jean le Rond[10].

À l’abbaye Saint-Bénigne de Dijon, on voit encore l’étage inférieur de la rotonde commencée au VIIe siècle derrière l’abside de l’église. Cette rotonde avait trois étages compris la crypte, avec galeries de pourtour comme le Saint-Sépulcre[11]. Charlemagne avait élevé l’église circulaire d’Aix-la-Chapelle, imitée au XIIe siècle dans l’abbaye d’Ottmarsheim. Au XIe siècle, à Neuvy-Saint-Sépulcre, près Châteauroux, on jetait les fondements d’une église reproduisant les dispositions du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Au XIIe siècle, on construisait la grande église abbatiale de Charroux, dont la nef se terminait par une immense rotonde avec bas côtés triples (voy. Saint-Sépulcre). À la même époque, au fond du Languedoc, l’église de Rieux-Minervois s’élevait sur un plan circulaire précédé d’un petit porche. Et Comme pour faire ressortir l’importance de certaines traditions, nous voyons encore en plein XVIe siècle ; Catherine de Médicis faire construire au nord de l’église abbatiale de Saint-Denis-en-France, un monument circulaire avec bas côté à deux étages, comme le Saint-Sépulcre de Jérusalem, pour abriter la sépulture de son époux et de ses successeurs. Quand l’ordre religieux et militaire du Temple fut institué, les commanderies de cet ordre prirent comme type de leurs églises ou plutôt de leurs chapelles (car ces monuments sont tous d’une petite dimension), le plan du Saint-Sépulcre de Jérusalem (voy. Temple). Mais si l’on peut considérer ces édifices circulaires comme procédant d’une influence orientale, puisque l’édifice mère qui leur servait d’original était en Orient, on ne peut toutefois les regarder comme byzantins, puisque le Saint-Sépulcre de Jérusalem est un monument de la décadence romaine. De même, si nous prenons l’église du monastère de Bethléem comme le type qui, au XIIe siècle, a fait élever les églises à transsepts terminés par des absides semi-circulaires, telles que les cathédrales de Noyon, de Soissons, de Bonn sur le Rhin, de l’église de Saint-Macaire sur la Garonne, nous ne pouvons guère non plus considérer cette influence comme orientale, puisque l’église de la Nativité de Bethléem est une basilique romaine couverte par une charpente apparente, et ne différant de Saint-Paul-hors-les-murs, par exemple, que par les deux absides ouvertes dans les deux pignons de la croisée.

Les véritables types byzantins, c’est Sainte-Sophie de Constantinople, ce sont les petites églises de Grèce et de Syrie, élevées depuis le règne de Justinien, ce sont les églises à coupole portée sur quatre pendentifs (voy. Pendentif). Or ces monuments n’ont une influence directe bien marquée que sur les bords du Rhin, par suite de la prépondérance donnée aux arts d’Orient par Charlemagne, dans la partie occidentale de l’Aquitaine surtout, par l’imitation de Saint-Marc de Venise, et en Provence par les relations constantes des commerçants des Bouches-du-Rhône avec la Grèce, Constantinople et le littoral de l’Adriatique. Partout ailleurs si l’influence byzantine se fait sentir, c’est à l’insu des artistes pour ainsi dire, c’est par une infusion plus ou moins prononcée due, en grande partie, à l’introduction d’objets d’art, d’étoffes, de manuscrits orientaux dans les différentes provinces des Gaules, ou par des imitations de seconde main, exécutées par des architectes locaux. Aux XIe et XIIe siècles les relations de l’Occident avec l’Orient étaient comparativement beaucoup plus suivies qu’elles ne le sont aujourd’hui. Sans compter les croisades, qui précipitaient en Orient des milliers de Bretons, d’Allemands, de Français, d’Italiens, de Provençaux, il ne faut pas perdre de vue l’importance des établissements religieux orientaux, qui entretenaient des rapports directs et constants avec les monastères de l’Occident ; le commerce ; l’ancienne prépondérance des arts et des sciences dans l’empire byzantin ; l’extrême civilisation des peuples arabes ; la beauté et la richesse des produits de leur industrie ; puis enfin, pour ce qui touche particulièrement à l’architecture religieuse, la vénération que tous les chrétiens occidentaux portaient aux édifices élevés en terre sainte. Un exemple, au premier abord, reposant sur une base bien fragile, mais qui, par le fait, est d’une grande valeur, vient particulièrement appuyer ces dernières observations, et leur ôter ce qu’elles pourraient avoir d’hypothétique aux yeux des personnes qui, en archéologie, n’admettent avec raison que des faits. Dans l’ancienne église Saint-Sauveur de Nevers, écroulée en 1839, existait un curieux chapiteau du commencement du XIIe siècle, sur lequel était sculptée une église que nous donnons ici (47). Cette église est complétement byzantine ; coupole au centre, portée sur pendentifs que le sculpteur a eu le soin d’indiquer naïvement par les arcs-doubleaux apparaissant à l’extérieur, à la hauteur des combles ; transsept terminé par des absides semi-circulaires, construction de maçonnerie qui rappelle les appareils ornés des églises grecques ; absence de contre-forts, si apparents à cette époque, dans les églises françaises ; couvertures qui n’ont rien d’occidental ; clocher cylindrique planté à côté de la nef, sans liaison avec elle, contrairement aux usages adoptés dans nos contrées et conformément à ceux de l’Orient ; porte carrée, non surmontée d’une archivolte ; petites fenêtres cintrées ; rien n’y manque, c’est là un édifice tout autant byzantin que Saint-Marc de Venise, qui n’a de byzantin que ses coupoles à pendentifs et son narthex, et qui, comme plan, rappelle une seule église orientale détruite aujourd’hui, celle des Saints-Apôtres[12]. Or à Nevers, au XIIe siècle, voici un ouvrier sculpteur qui, sur un chapiteau, figure une église que l’on croirait être un petit modèle venu d’Orient ;
ou bien ce sculpteur avait été en Grèce ou en Syrie, ou on lui avait remis, pour être reproduit, un fac-simile d’une église byzantine ; dans l’un comme dans l’autre cas, ceci prouve qu’à cette époque, au milieu de contrées où les monuments religieux construits n’ont presque rien qui rappelle l’architecture byzantine, ni comme plan, ni comme détail d’ornementation, on savait cependant ce qu’était une église byzantine, les arts d’Orient n’étaient pas ignorés et devaient par conséquent exercer une influence. Seulement, ainsi que nous l’avons dit déjà (voy. Architecture), cette influence ne se produit pas de la même manière partout. C’est un art plus ou moins bien étudié et connu, dont chaque contrée se sert suivant les besoins du moment, soit pour construire, soit pour disposer, soit pour décorer ses édifices religieux. Dans le Périgord, l’Angoumois, une partie du Poitou et de la Saintonge, c’est la coupole sur pendentifs qui est prise à l’Orient. En Auvergne, c’est la coupole sur trompes formée d’arcs concentriques, les appareils façonnés et multicolores. Sur les bords du Rhin, ce sont les grandes dispositions des plans, l’ornementation de l’architecture qui reflètent les dispositions et l’ornementation byzantines ; en Provence, la finesse des moulures, les absides à pans coupés qui rappellent les églises grecques. En Normandie et en Poitou, on retrouve comme une réminiscence des imbrications, des zigzags, des combinaisons géométriques, et des entrelacs si fréquents dans la sculpture chrétienne d’Orient.

Les croisades n’ont qu’une bien faible part dans cette influence des arts byzantins sur l’Occident, car c’est précisément au moment où les guerres en Orient prennent une grande importance, que nous voyons l’architecture occidentale abandonner les traditions gallo-romaines ou byzantines pour se développer dans un sens complétement nouveau. On s’explique comment l’architecture religieuse, tant qu’elle resta entre les mains des clercs, dut renfermer quelques éléments orientaux, par la fréquence des rapports des établissements religieux de l’Occident avec la terre sainte et tout le Levant, ou le nord de l’Italie, qui, plus qu’aucune autre partie du territoire occidental, avait été envahie par les arts byzantins[13]. Mais quand les arts de l’architecture furent pratiqués en France par des laïques, vers le milieu du XIIe siècle, ces nouveaux artistes étudièrent et pratiquèrent leur art sans avoir à leur disposition ces sources diverses auxquelles les architectes appartenant à des ordres religieux avaient été puiser. Ils durent prendre l’architecture là où les monastères l’avait amenée, ils profitèrent de cette réunion de traditions accumulées par les ordres monastiques, mais en faisant de ces amalgames, dans lesquels les éléments orientaux et occidentaux se trouvaient mélangés à doses diverses, un art appartenant au génie des populations indigènes.

L’architecture religieuse se développe dans les provinces de France en raison de l’importance politique des évêques ou des établissements religieux. Dans le domaine royal, les monastères ne pouvaient s’élever à un degré d’influence égal à celui de la royauté. Mais des établissements tels que Cluny étaient en possession aux XIe et XIIe siècles d’une puissance bien autrement indépendante et étendue que celle du roi des Français. Un souverain, si faible de caractère qu’on le suppose, n’eût pu tolérer dans son domaine une sorte d’État indépendant, ne relevant que du Saint-Siège, se gouvernant par ses propres lois, ayant de nombreux vassaux, sur lesquels le roi n’exerçait aucun droit de suzeraineté. Aussi voyons-nous dans le domaine royal les évêques qui, au temporel, étaient de véritables seigneurs féodaux, luttant souvent eux-mêmes contre le pouvoir immense des abbés, acquérir une puissance très-étendue sous la suzeraineté royale. L’épiscopat, ayant vis-à-vis la royauté les caractères de la vassalité, ne lui portait pas ombrage, et profitait de sa puissance naissante. C’est aussi dans le domaine royal que les grandes cathédrales s’élèvent en prenant, comme monuments religieux, une importance supérieure à celle des églises abbatiales, tandis qu’en dehors du territoire royal, ce sont au contraire les églises abbatiales qui dominent les cathédrales. Comme seigneurs féodaux, les évêques se trouvaient dans le siècle ; ils n’avaient ni le pouvoir ni surtout la volonté de conserver les formes de l’architecture consacrée par la tradition ; bien mieux, gênés par l’importance et l’indépendance de puissantes abbayes, ils saisirent avec ardeur les moyens que les artistes laïques leur offraient au XIIe siècle de se soustraire au monopole que les ordres religieux exerçaient sur les arts comme sur tous les produits de l’intelligence. Alors l’Église était la plus saisissante expression du génie des populations, de leur richesse et de leur foi ; chaque évêque devait avoir fort à cœur de montrer son pouvoir spirituel par l’érection d’un édifice qui devenait comme la représentation matérielle de ce pouvoir, et qui, par son étendue et sa beauté, devait mettre au second rang les églises monastiques répandues sur son diocèse. Si le grand vassal du roi, seigneur d’une province, élevait un château supérieur comme force et comme étendue à tous les châteaux qu’il prétendait faire relever du sien, de même l’évêque d’un diocèse du domaine royal, appuyé sur la puissance de son suzerain temporel, érigeait une cathédrale plus riche, plus vaste et plus importante que les églises des abbayes qu’il prétendait soumettre à sa juridiction. Tel était ce grand mouvement vers l’unité gouvernementale qui se manifestait même au sein de la féodalité cléricale ou séculière, pendant le XIIe siècle, non-seulement dans les actes politiques, mais jusque dans la construction des édifices religieux ou militaires. Cette tendance des évêques à mettre les églises abbatiales au second rang par un signe matériel aux yeux des populations ; nous dirons plus, ce besoin à la fois religieux et politique, si bien justifié d’ailleurs par les désordres qui s’étaient introduits au sein des monastères dès la fin du XIIe siècle, de rendre l’unité à l’Église, fit faire à l’épiscopat des efforts inouïs pour arriver à construire rapidement de grandes et magnifiques cathédrales, et explique comment quelques-uns de ces édifices remarquables par leur étendue, la richesse de leur architecture, et leur aspect majestueux, sont élevés avec négligence et parcimonie, n’ont pas de fondations, ou présentent des constructions qui, par la pauvreté des matériaux employés, ne sont guère en rapport avec cette apparence de luxe et de grandeur.

Des esprits sages et réfléchis parmi nous cherchent à démontrer (nous ne savons trop pourquoi) que notre vénérable architecture religieuse nationale pèche par plus d’un point, et présente notamment de ces négligences incroyables de construction qui compromettent la durée d’un certain nombre d’édifices ; ils voudront bien tenir compte de ces nécessités impérieuses plus fortes que les artistes, et qui les contraignent bien malgré eux dans tous les temps, à ne pas employer les moyens indiqués par l’expérience ou la science… De ces deux manières de raisonner quelle est la plus juste ?… La cathédrale de Reims est admirablement fondée ; ses piles, élevées en grands et beaux matériaux de choix, bien posés et ravalés, n’ont subi aucun mouvement ; ses voûtes, solidement et judicieusement contre-butées par des arcs-boutants bien couverts, d’une portée raisonnable, par des contre-forts largement empatés, ne présentent pas une fissure, et cette cathédrale a été la proie d’un incendie terrible, et l’incurie de plusieurs siècles l’a laissée livrée aux intempéries, et cependant, on ne découvre dans toute sa construction ni une lézarde, ni une déformation ; donc les architectes du XIIIe siècle étaient d’excellents constructeurs… Ou bien : la cathédrale de Séez est élevée sur de vieilles fondations imparfaites, qui partout ont cédé ; les matériaux employés dans sa construction sont de qualité médiocre ; sur tous les points on a cherché l’économie, tout en voulant élever un vaste et magnifique monument ; cette cathédrale craque de toutes parts, se disloque et se lézarde, sa ruine est imminente ; donc les architectes du XIIIe siècle étaient de mauvais constructeurs, ne fondant pas leurs édifices, les élevant en matériaux insuffisants comme résistance, etc., etc.

Les évêques comme les architectes de ces temps ont dû obéir à une donnée politique et religieuse qui ne leur permettait pas le choix des moyens. Les diocèses pauvres devaient élever d’immenses et magnifiques cathédrales tout comme les diocèses riches. Et ne jetons pas le blâme aux architectes qui, placés dans des conditions défavorables, avec des ressources insuffisantes, ont encore su, avec une adresse rare, remplir le programme imposé par les besoins de leur temps, et élever des édifices proches de leur ruine aujourd’hui, mais qui n’en ont pas moins duré six cents ans, après avoir rempli leur grande mission religieuse. Avant de juger sévèrement, voyons si les évêques qui cachaient leur pauvreté sous une apparence de richesse et de splendeur pour concourir à la grande œuvre de l’unité nationale par l’unité du pouvoir religieux, si les architectes hardis qui, sans s’arrêter devant des difficultés matérielles, insurmontables pour nous, ont élevé des édifices encore debout, ne sont pas plus méritants, et n’ont pas développé plus de science et d’habileté que ceux abondamment pourvus de tout ce qui pouvait faciliter leurs entreprises.

La peinture, la statuaire, la musique et la poésie doivent être jugées d’une manière absolue ; l’œuvre est bonne ou mauvaise, car le peintre, le sculpteur, le musicien, et le poëte peuvent s’isoler, ils n’ont besoin pour exprimer ce que leur esprit conçoit que d’un peu de couleur, d’un morceau de pierre ou de marbre, d’un instrument, ou d’une écritoire ; mais l’architecture est soumise à des circonstances complétement étrangères à l’artiste, et plus fortes que lui ; or, un des caractères frappants de l’architecture religieuse, inaugurée par les artistes laïques à la fin du XIIe siècle, c’est de pouvoir se prêter à toutes les exigences, de permettre l’emploi de l’ornementation la plus riche et la plus chargée qui ait jamais été appliquée aux édifices, ou des formes les plus simples et des procédés les plus économiques. Si à cette époque quelques grandes églises affectent une richesse apparente, qui contraste avec l’extrême pauvreté des moyens de construction employés, cela tient à des exigences dont nous venons d’indiquer les motifs ; motifs d’une importance telle que force était de s’y soumettre. « Avant tout, la cathédrale doit être spacieuse, splendide, éclatante de verrières, décorée de sculptures ; les ressources sont modiques, n’importe ! il faut satisfaire à ce besoin religieux dont l’importance est supérieure à toute autre considération ; contentons-nous de fondations imparfaites, de matériaux médiocres, mais élevons une église à nulle autre égale dans le diocèse ; elle périra promptement, n’importe ! il faut qu’elle soit élevée ; si elle tombe, nos successeurs en bâtiront une autre… » Voilà comment devait raisonner un évêque à la fin du XIIe siècle ; et s’il était dans le faux au point de vue de l’art, il était dans le vrai au point de vue de l’unité religieuse.

Ce n’était donc ni par ignorance ni par négligence que les architectes du XIIIe siècle construisaient mal, quand ils construisaient mal, puisqu’ils ont élevé des édifices irréprochables comme construction, mais bien parce qu’ils étaient dominés par un besoin moral n’admettant aucune objection, et la preuve en est dans cette quantité innombrable d’églises de second ordre, de collégiales, de paroisses où la pénurie des ressources a produit des édifices d’une grande sobriété d’ornementation, mais où l’art du constructeur apparaît d’autant plus que les procédés sont plus simples, les matériaux plus grossiers ou de qualité médiocre. Par cela même que beaucoup de ces édifices construits avec parcimonie sont parvenus jusqu’à nous, après avoir traversé plus de six siècles, on leur reproche leur pauvreté, on accuse leurs constructeurs ! mais s’ils étaient tombés, si les cathédrales de Chartres, de Reims ou d’Amiens étaient seules debout aujourd’hui, ces constructeurs seraient donc irréprochables ? (voy. Construction, Église.) Dans notre siècle, l’unité politique et administrative fait converger toutes les ressources du pays vers un but, suivant les besoins du temps, et cependant nous sommes témoins tous les jours de l’insuffisance de ces ressources lorsqu’il s’agit de satisfaire à de grands intérêts, tels que les chemins de fer par exemple. Mais au XIIe siècle, le pays morcelé par le système féodal, composé de provinces, les unes pauvres, les autres riches, les unes pleines d’activité et de lumières, les autres adonnées à l’agriculture, et ne progressant pas, ne pouvait agir avec ensemble ; il fallait donc que l’effort de l’épiscopat fût immense pour réunir des ressources qui lui permissent d’ériger en cinquante années des cathédrales sur des plans d’une étendue à laquelle on n’était pas arrivé jusqu’alors, et d’une richesse, comme art, supérieure à tout ce que l’on avait vu. De même qu’au XIe siècle le grand développement pris par les établissements religieux avait influé sur toutes les constructions religieuses de cette époque ; de même, au commencement du XIIIe siècle, les grandes entreprises des évêques se reflétaient sur les édifices religieux de leurs diocèses. Au XIe siècle, les églises monastiques avaient servi de modèles aux églises collégiales, aux paroisses et même aux cathédrales ; au XIIIe siècle, ce sont à leur tour les cathédrales qui imposent les dispositions de leurs plans, leur système de construction et de décoration aux églises collégiales, paroissiales et monastiques. Le but de l’épiscopat se trouvait ainsi rempli, et son influence morale prédominait en même temps que l’influence matérielle des édifices qu’il s’était mis à construire avec tant d’ardeur, et au prix d’énormes sacrifices. Ces grands monuments sont donc pour nous respectables sous le point de vue de l’art, et comme l’une des productions les plus admirables du génie humain, mais aussi parce qu’ils rappellent un effort prodigieux de notre pays vers l’unité nationale. En effet, à la fin du XIIe siècle, l’entreprise de l’épiscopat était populaire. La puissance seigneuriale des abbés se trouvait attaquée par la prédominance de la cathédrale. La noblesse séculière, qui n’avait pas vu sans envie la richesse croissante des établissements monastiques, leur immense influence morale, aidait les évêques dans les efforts qu’ils faisaient pour soumettre les abbayes à leur juridiction. Les populations urbaines voyaient dans la cathédrale (non sans raisons) un monument national, comme une représentation matérielle de l’unité du pouvoir vers laquelle tendaient toutes leurs espérances. Les églises abbatiales étaient des édifices particuliers qui ne satisfaisaient que le sentiment religieux des peuples, tandis que la cathédrale était le sanctuaire de tous, c’était à la fois un édifice religieux et civil (voy. Cathédrale), où se tenaient de grandes assemblées, sorte de forum sacré qui devenait la garantie des libertés politiques en même temps qu’un lieu de prières. C’était enfin le monument par excellence. Il n’est donc pas étonnant que les évêques aient pu réunir tout à coup dans ces temps d’émancipation politique et intellectuelle, les ressources énormes qui leur permettaient de rebâtir leurs cathédrales sur tous les points du domaine royal. En dehors du domaine royal, la cathédrale se développe plus lentement, elle le cède longtemps et jusqu’à la fin du XIIIe siècle aux églises abbatiales. Ce n’est qu’à l’aide de la prépondérance du pouvoir monarchique sur ces provinces, que l’épiscopat élève les grands monuments religieux sur les modèles de ceux du nord. Telles sont les cathédrales de Bordeaux, de Limoges, de Clermont-Ferrand, de Narbonne, de Béziers, de Rodez, de Mende, de Bayonne, de Carcassonne, et ces édifices sont de véritables exceptions, des monuments exotiques, ne se rattachant pas aux constructions indigènes de ces contrées.

Le midi de la France avait été livré à l’hérésie des Albigeois pendant le XIIe siècle et une partie du XIIIe ; son architecture religieuse était restée stationnaire alors que dans le nord elle faisait de si rapides progrès. La plupart des églises avaient été détruites pendant les guerres civiles, résultat de la lutte des hérésiarques avec le catholicisme, et il est difficile aujourd’hui de savoir, à cause de la rareté des exemples, quelle était la marche suivie par cette architecture. Parmi les monuments religieux antérieurs au XIIe siècle, nous trouvons des plans qui rappellent les dispositions de ceux du Poitou, d’autres qui ont les rapports les plus directs avec ceux de l’Auvergne, telle est par exemple la grande église de Saint-Sernin de Toulouse, la partie ancienne des cathédrales d’Auch et de Saint-Papoul ;
d’autres enfin qui sont construits dans des données qui paraissent appartenir au comté de Toulouse ; ce sont ceux-là dont nous nous occuperons particulièrement. Nous avons vu que la plupart des édifices religieux du nord, du Poitou, de l’Auvergne et de la Bourgogne procédaient de la basilique latine. Dans une partie de l’Aquitaine et sur les bords du Rhin, par exception, des églises avaient été élevées sans collatéraux. En Provence et sur le territoire du comté de Toulouse, nous retrouvons, avant le XIIIe siècle, des traces de monuments religieux qui procédaient d’une disposition antique dont la basilique de Constantin à Rome est le type ; c’est une nef couverte par des voûtes d’arêtes, contre-butées par des contre-forts intérieurs fermés par des berceaux plein cintre (48). Les cathédrales de Marseille et de Fréjus, monuments presque antiques, ont encore conservé cette donnée. Dans le comté de Toulouse, sauf la partie ancienne de la cathédrale de Toulouse, qui date du XIIe siècle et qui est construite d’après ce système, les autres édifices antérieurs aux guerres des Albigeois n’existent plus ; mais dès le XIIIe siècle, sitôt après les désastres, nous voyons reproduire ce mode de bâtir les édifices religieux. Dans la ville basse de Carcassonne, les deux églises élevées par les habitants, sur l’ordre de saint Louis, reproduisent cette disposition de nefs sans collatéraux avec contre-forts intérieurs contre-butant la voûte principale ; seulement alors la voûte en arcs d’ogive a remplacé la voûte d’arête romaine, et les travées, beaucoup moins larges que la nef, forment comme autant de chapelles entre les contre-forts. Dans le mur de clôture qui ferme et surmonte les chapelles, de longues fenêtres sont ouvertes qui éclairent l’intérieur (49).
Le sanctuaire de ces églises se composait, ou d’une seule abside, telle est l’église de Montpezat (Tarn-et-Garonne), fin du XIIIe siècle (50), ou de trois absides, une grande et deux petites, comme à Carcassonne. La plupart de ces églises étaient précédées d’un porche surmonté d’un seul clocher, placé dans l’axe de l’église. Pendant le XIVe siècle, la grande cathédrale d’Alby fut construite d’après ce système ; seulement on établit deux étages de chapelles afin de renfermer entièrement les contre-forts dans l’intérieur (51), et les voûtes en arcs d’ogive des chapelles de premier étage, bandées sur les formerets de la voûte de la nef, atteignirent son niveau. Les jours étaient pris dans les murs de clôture des chapelles hautes par de longues et étroites fenêtres. Au lieu de trois absides percées dans le mur de l’est, comme dans les deux églises de Carcassonne, le chœur d’Alby se termine par sept chapelles rayonnantes à double étage comme celles de la nef (voy. Cathédrale). Cette disposition est grandiose ; la nef de Sainte-Cécile d’Alby n’a pas moins de 17m, 70 dans œuvre, mais il faut dire que, pour le culte catholique, les grandes églises sans bas côtés ne sont pas commodes. Rien dans ce grand vaisseau n’indique la place des fidèles, celle du clergé ; à Alby, on a dû établir, au XVIe siècle, un chœur fermé par une élégante claire-voie de pierre, qui forme comme un bas côté autour du sanctuaire ; les chapelles sont petites. Ce monument, sans collatéraux, sans transsept, dans lequel le sanctuaire est comme un meuble apporté après coup, est plutôt une salle qu’une cathédrale appropriée aux besoins du culte. Les chapelles du premier étage, qui communiquent entre elles par de petites portes, n’ont pas d’utilité, ce sont des tribunes qui ont l’inconvénient de reculer les jours, et assombrissent par conséquent l’intérieur.
Ce monument, bâti en briques, a été couvert de peintures qui datent de la fin du XVe siècle et du commencement du XVIe, cette décoration produit un grand effet, et dissimule la lourdeur de ces voûtes qui, à cause de l’extrême largeur de la nef, prennent leur naissance à moitié environ de la hauteur totale du dans-œuvre ; les contre-forts renfermés à l’intérieur, par leur projection, cachent les fenêtres et font paraître les piliers portant les voûtes plats et maigres. Dépourvu de ses peintures, cet intérieur serait froid, triste et lourd, et ne supporterait pas la comparaison avec nos grandes cathédrales du nord. La cathédrale d’Alby produisit quelques imitations, les églises abbatiales de Moissac, de Saint-Bertrand de Comminges, entre autres ; ce type ne dépassa pas le territoire où il s’était développé, mais s’y perpétua jusqu’à l’époque de la renaissance. Le midi de la France avait été épuisé par les guerres religieuses pendant les XIIe et XIIIe siècles, il ne pouvait produire que de pauvres édifices ; en adoptant l’église à une seule nef, sans bas côté, comme type de ses monuments religieux, il obéissait à la nécessité, ces constructions étant beaucoup moins dispendieuses que nos églises du nord, avec leurs transsepts, leurs collatéraux, leurs chapelles rayonnantes autour du chœur, leurs galeries supérieures, leurs arcs-boutants et leurs grandes claires-voies à menaux décorées de splendides verrières.
Le souvenir des guerres civiles faisait donner à ces édifices religieux l’aspect de constructions militaires, et beaucoup d’entre eux étaient réellement fortifiés. L’église abbatiale de Moissac avait été fortifiée au moment des guerres des Albigeois ; les cathédrales d’Alby, de Béziers, de Narbonne, et presque toutes les églises paroissiales ou monastiques élevées pendant les XIIIe et XIVe siècles étaient défendues comme de véritables forteresses, adoptaient par conséquent des formes simples, ne prenaient que des jours étroits et rares à l’extérieur, se couronnaient de tours crénelées, de mâchicoulis, s’entouraient d’enceintes, se construisaient sur des points déjà défendus par la nature, n’ouvraient que des portes latérales, détournées souvent, difficiles d’accès, protégées par des défenses (voy. Cathédrale, Église). Après les guerres civiles étaient survenues les guerres avec l’Aragon ; toutes les villes du Languedoc faisant partie du domaine royal sous saint Louis, Philippe le Hardi, Philippe le Bel et Charles V, frontières du Roussillon et du comté de Foix, étaient continuellement en butte aux incursions de leurs puissants voisins. Chaque édifice avait été utilisé dans ces villes, pour la défense, et naturellement les églises, comme les plus élevés et les plus importants, devenaient des forts, participaient autant de l’architecture militaire que de l’architecture religieuse. La Guyenne, dont la possession était continuellement contestée pendant les XIIIe et XIVe siècles, entre les rois de France et d’Angleterre, conservait ses vieilles églises romanes, mais ne bâtissait que de rares et pauvres édifices religieux, pâles reflets de ceux du nord. Quant à la Bourgogne, riche, populeuse, unie, elle développait son architecture religieuse sous l’inspiration de celle du domaine royal, mais en y mêlant son génie fortement pénétré des traditions romaines, et dans lequel les églises clunisiennes et cisterciennes avaient laissé des traces inaltérables. Cette province est une des plus favorisées en matériaux de qualités excellentes. Les bassins supérieurs de la Seine, de l’Yonne et de la Saône fournissent abondamment des pierres calcaires et des grès durs et tendres, faciles à exploiter en grands morceaux, d’une beauté de grain, d’une résistance et d’une durée sans égales. Aussi, les édifices bourguignons sont-ils, en général, bâtis en grands matériaux, bien conservés, et d’un appareil savamment tracé. Cette abondance et ces qualités supérieures de la pierre, influent sur les formes de l’architecture bourguignonne, surtout à l’époque où l’emploi des matériaux joue un grand rôle dans la contexture des édifices religieux. Au XIIIe siècle, les constructeurs de cette province profitent de la facilité qui leur était donnée d’obtenir de grands blocs très-résistants, et pouvant sans danger être posés en délit, pour éviter de multiplier les assises dans les points d’appui principaux. Ils ne craignent pas d’élever des piles monolithes, ils sont des premiers à établir sur les corniches, à la chute des combles, de larges chéneaux formant à l’intérieur, des plafonds entre les formerets des voûtes et les murs (voy. Arc Formeret, fig. 45). Possédant des calcaires faciles à tailler, mais très-fermes cependant, ils donnent à leurs profils de fortes saillies, les accentuent énergiquement, à leur sculpture d’ornement de la grandeur, une physionomie plantureuse qui distingue leur décoration de pierre entre celle des provinces voisines. Les architectes bourguignons n’adoptent que tard les meneaux compliqués, les balustrades à jour, la maigreur qui déjà, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, s’attachait aux formes architectoniques de la Champagne et de l’Île-de-France. À Paris, à Reims, à Troyes, l’architecture ogivale penchait déjà vers sa décadence, que dans l’Auxois, le Dijonnais et le Mâconnais se conservaient encore les dispositions simples, la fermeté des profils, la largeur de l’ornementation, l’originalité native de la province. Ce n’est qu’au XVe siècle que l’architecture bourguignonne devient sèche, monotone ; alors les caractères particuliers à chaque province s’effacent, il n’y a plus qu’une seule architecture sur le territoire qui compose la France d’aujourd’hui ; ou du moins les différences que l’on peut remarquer dans chaque province tiennent plutôt à une imitation grossière ou imparfaite d’une architecture admise qu’à des influences ou des traditions locales. Nous avons donné (fig. 20) la coupe transversale de la cathédrale d’Autun, bâtie vers 1150, et dont la nef est voûtée en berceau ogival ; peu après la construction de cet édifice on élevait à Langres la cathédrale qui existe encore aujourd’hui[14]. C’est la cathédrale d’Autun, avec des voûtes en arcs d’ogive sur la nef et le transsept, bas côté pourtournant le chœur, et une seule chapelle au chevet.
Voici (52) le plan de la cathédrale d’Autun, et (53) celui de la cathédrale de Langres. Le porche de la cathédrale d’Autun est peu postérieur à la construction de la nef ; la façade de la cathédrale de Langres ayant été rebâtie dans le dernier siècle, nous ne savons si jamais elle fut précédée d’un porche. Le chœur de la cathédrale de Langres, avec son bas côté pourtournant, est fort intéressant à étudier, car jusqu’alors dans cette partie de la France, les absides étaient presque toujours simples, sans collatéraux et voûtées en quart de sphère. Langres, dont le sanctuaire date de 1160 environ, donne la transition entre les chœurs construits suivant la donnée romane et ceux élevés à la fin du XIIe et au commencement du XIIIe siècle. Nous voyons à Langres, comme à Autun, le chœur commencer par une travée en tout semblable, à celles de la nef. À Autun, cette première travée est doublée d’une seconde, puis vient l’abside principale simple, sans bas côtés, flanquée de deux petites absides comme les églises du Rhin. À Langres, après la première travée du chœur, c’est une série de colonnes posées en hémicycle, portant les voûtes d’arêtes à nervures du collatéral. Ces voûtes sont naïvement tracées ; car chaque travée rayonnante du collatéral formant coin, et les arcs-ogives donnant en projection horizontale des lignes droites, il s’ensuit que les rencontres des diagonales ou les clefs sont bien plus rapprochées du sanctuaire que du mur extérieur ; les naissances des archivoltes bandées d’une colonne à l’autre étant au même niveau que les naissances des formerets tracés sur les murs du pourtour, et les arcs formerets comme les archivoltes étant des tiers-points, les clefs de ces formerets sont plus élevées que les clefs des archivoltes, et par conséquent les lignes de clefs des voûtes sont fortement inclinées (voy. Voûte). Les archivoltes de la première travée du chœur donnant la hauteur du triforium percé dans le mur d’adossement du comble, il reste dans la partie circulaire, entre la base de ce triforium et les archivoltes bandées sur les colonnes, un espace plus grand. Il y a donc changement de système complet entre les parties parallèles du chœur et le rond-point, ce sont pour ainsi dire deux édifices qui sont accolés l’un à l’autre, et se relient mal. Les grandes voûtes rendent encore cette discordance plus sensible, car la première travée est fermée par une voûte en arcs d’ogive, et le rond-point par un cul-de-four engendré par le dernier arc-doubleau ogival ; et fait remarquable, cette voûte en cul-de-four est maintenue par des arcs-boutants qui datent de sa construction. À la naissance du cul-de-four s’ouvraient de petites fenêtres plein cintre dont les archivoltes venaient le pénétrer, tandis que sous les formerets de la première travée les fenêtres pouvaient être hautes et percées dans les murs goutterots. Le système de la construction ogivale franchement adopté dans tout le reste de l’édifice déjà, se trouvait ainsi complétement étranger au rond-point qui restait roman, au moins dans sa partie supérieure. Un défaut d’harmonie aussi choquant ne pouvait manquer de faire faire aux constructeurs de nouveaux efforts pour appliquer aux ronds-point, comme à tout le reste des édifices, le mode de voûter en arcs d’ogive. Comme ornementation, la cathédrale de Langres reste également romane, le triforium s’ouvre dans les combles couvrant les bas côtés ; les piles sont composées de pilastres cannelés, comme à Autun, à Beaune, à Cluny, à la Charité-sur-Loire, conformément à la tradition antique ; les contre-forts du chœur sont plaqués de gros pilastres cannelés, terminés par des chapiteaux corinthiens, les chapiteaux des colonnes du chœur sont des imitations de chapiteaux romains[15]. La partie antérieure de la nef elle-même, élevée de 1180 à 1190, laisse voir des chapiteaux à crochets, quoique les piles restent composées de pilastres cannelés comme dans le chœur et le transsept. Sur une partie du territoire bourguignon, la tradition romane se prolongeait donc assez tard dans les églises épiscopales, et l’on n’adoptait la voûte en arcs d’ogive et les arcs-boutants que par nécessité,
et comme un moyen nouvellement appliqué pour voûter les édifices sans pousser les murs. Ce ne fut que de 1200 à 1210 que l’architecture ogivale fut franchement introduite en Bourgogne, lorsqu’il y avait déjà vingt et trente ans qu’elle régnait dans le domaine royal et la Champagne. Un des premiers et des plus beaux exemples de l’architecture ogivale bourguignonne se trouve dans le chœur et le transsept de l’abbaye de Vézelay, et cette abbaye appartenait politiquement plutôt au Nivernais qu’à la Bourgogne (voy. Abside, fig. 8, le plan du rond-point). Ce chœur dut être bâti par l’abbé Hugues, de 1198 à 1206 ; car en cette dernière année l’abbé Hugues fut déposé pour avoir endetté le monastère de 2 220 livres d’argent[16]. Les voûtes du chœur de Vézelay avaient été élevées dans l’origine sans arcs-boutants. Mais il paraîtrait que peu après leur achèvement on fut obligé d’en construire. Le triforium donnait dans le comble du collatéral comme à la cathédrale de Langres, et bientôt ce comble fut remplacé par des demi-voûtes d’arêtes butant la naissance des grandes voûtes. Voici (54) les deux premières travées de ce chœur (coupe longitudinale) et (55) le plan de ces deux premières travées.
On remarquera la disposition particulière des piles, et la division des travées. La première travée est largement ouverte ; c’est une archivolte partant de la grosse pile du transsept, laquelle est composée d’un faisceau de colonnes engagées, et reposant son sommier de droite sur une colonne monolithe. Au-dessus du triforium cette travée se divise en deux au moyen d’une pile intermédiaire portant un arc-doubleau. La voûte se compose de deux arcs-ogives reposant sur les deux points d’appui principaux AB (fig. 55). Mais la seconde travée se divise en deux au moyen des colonnes jumelles C. La première division est fermée par une voûte en arcs d’ogive, la seconde projette contre la clef E, un arc CE qui vient puissamment contre-buter la poussée des arcs rayonnants du rond-point. D’après cette disposition les fenêtres hautes peuvent toutes être de même dimension comme largeur et comme hauteur, l’effort des arcs rayonnants sur le sommet de l’arc-doubleau GE est bien maintenu par la diagonale CE, et la travée divisée BCG sert de transition entre les travées rayonnantes IG et la première grande travée AB, afin d’éviter la poussée qu’exerceraient les petites archivoltes rayonnantes IG sur l’archivolte plus large GB, si cette archivolte n’eût pas été divisée. Ce danger de la poussée n’était plus à craindre sur la pile B, à cause de la grande charge reportée sur cette pile, et l’on pouvait sans inconvénients laisser ouverte dans toute sa largeur l’archivolte AB. Le problème que les architectes de la cathédrale de Langres n’avait pu résoudre, savoir : de faire concorder la construction des voûtes des ronds-points avec celle des travées parallèles, se trouvait ainsi très nettement et très-habilement résolu, trente ou quarante ans plus tard, dans le chœur de l’église abbatiale de Vézelay, et par des procédés qui n’étaient pas entièrement ceux qu’employaient les architectes du domaine royal, moins soumis aux traditions romanes. Comme disposition de plan, il se présentait toujours une difficulté dans la construction des chœurs des grandes églises cathédrales, c’était le rayonnement des travées qui espaçait démesurément les points d’appui de la circonférence extérieure, si les points de la circonférence intérieure conservaient le même espacement que ceux des parties parallèles ; ou qui rapprochait trop ces points d’appui intérieurs, si ceux de la circonférence extérieure étaient convenablement distancés ;
quand les chœurs étaient pourtournés de doubles collatéraux comme à Notre-Dame de Paris, comme à Bourges, cet inconvénient était bien plus sensible encore. Dès 1170, c’est-à-dire peu de temps après la construction du chœur de la cathédrale de Langres, l’architecte de Notre-Dame de Paris avait su élever un chœur avec double bas côté, qui déjà résolvait ces difficultés, en s’affranchissant des traditions romanes. Ne voulant pas donner aux travées intérieures du rond-point un entre-colonnement à moindre que celui des travées parallèles B (56), CD étant le diamètre du cercle, il s’ensuivait que la première travée rayonnante donnait un premier espace LMHG difficile et un second espace HGEF impossible à voûter. Car comment établir un formeret de F en E ? Eût-il été plein cintre que sa clef se fût élevée à un niveau très-supérieur à la clef de l’archivolte en tiers-point LM. La seconde travée rayonnante s’ouvrant davantage encore augmentait la difficulté. Le constructeur éleva donc des piles intermédiaires OP entre les colonnes du second bas côté, une pile intermédiaire également en Q sur le mur de précinction de la première travée, et deux piles intermédiaires RS sur le mur de précinction des travées suivantes. Cette disposition donnant 2, 3 piles dans la première travée, 2, 3 et 4 piles dans les autres, rendait impossible la construction de voûtes en arcs d’ogive qui ne se composaient alors que de diagonales d’un carré ou d’un parallélogramme ne pouvant retomber par conséquent que sur des piles correspondantes en nombre égal.
Ce constructeur ne fut pas arrêté par cette difficulté ; il abandonna le système de voûtes en arcs d’ogive croisées, et ses arcs-doubleaux MGF, NIK établis, il banda d’autres arcs NP, MP, GR, PR, PS, IS, passant ainsi sans difficulté du nombre pair au nombre impair ; quant aux triangles de remplissage, ils procédèrent de cette construction des arcs (voy. Voûte). On arrivait ainsi de l’archivolte de la travée intérieure aux deux arcs-doubleaux du second collatéral et aux trois formerets du mur de précinction ; sous ces formerets pouvaient s’ouvrir trois fenêtres égales comme hauteur et largeur à celles des travées parallèles. L’ordonnance extérieure et intérieure de l’édifice se suivait sans interruption, sans que l’unité fût rompue dans la partie rayonnante du chœur.

Il n’est pas besoin de faire ressortir ce qu’il y avait d’habileté dans ce système, et combien l’art de l’architecture s’était développé déjà dans l’Île-de-France dès la fin du XIIe siècle ; combien l’unité d’ordonnance et de style préoccupait les artistes de cette province. Jamais, en effet, dans les monuments religieux, grands ou petits de l’Île-de-France, on ne rencontre de ces discordances, de ces soudures plus ou moins adroitement déguisées qui, dans les édifices, même des provinces voisines, dénotent l’effort de gens auxquels manque le génie créateur qui conçoit son œuvre tout d’une pièce, et l’exécute sans hésitation.

Ce beau parti, qui consistait à donner aux travées des ronds-points une largeur égale aux travées parallèles des nefs, ne fut pas suivi, malheureusement, dans les autres cathédrales du domaine royal. À Bourges (1230), le chœur de la cathédrale rappelle la belle disposition de celui de Paris (57). Mais si les voûtes sont très-adroitement combinées dans le second bas côté, les piliers de ce second collatéral n’étant pas doublés, comme à Notre-Dame de Paris, les piles intérieures ont dû être rapprochées, et par leur multiplicité et l’étroitesse des entre-colonnements, elles masquent les bas côtés et les chapelles.
À Chartres (1220), le chœur de la cathédrale (58) présente un plan qui ne fait pas grand honneur à son architecte : il y a désaccord entre le rond-point et les parties parallèles du sanctuaire ; les espacements des colonnes du second collatéral sont lâches, les voûtes assez pauvrement combinées ; et malgré la grande largeur des entre-colonnements du deuxième bas-côté, il a fallu cependant rapprocher les piles intérieures ; mais ici apparaît une disposition dont les architectes du XIIIe siècle ne se départent plus à partir de 1220 environ ; nous voyons, en effet, les piliers intérieurs du rond-point prendre comme surface en plan, une moins grande importance que ceux des travées parallèles. Cela était fort bien raisonné d’ailleurs. Ces piles, plus rapprochées et ne recevant qu’une seule nervure de la grande voûte, n’avaient pas besoin d’être aussi épaisses que celles des travées parallèles, plus espacées et recevant un arc-doubleau et deux arcs-ogives des grandes voûtes.
Le chœur de la cathédrale du Mans, contemporain de celui de Chartres, présente une beaucoup plus belle disposition (59) ; les voûtes du double collatéral rappellent la construction de celles de Bourges, mais plus adroitement combinées ; ici les chapelles sont grandes, profondes, et laissent encore entre elles cependant des espaces libres pour ouvrir des fenêtres destinées à éclairer le double bas côté. Comme à Bourges, ces deux collatéraux sont inégaux en hauteur, et le second, plus bas, est surmonté d’un triforium et de fenêtres éclairant le premier bas côté. À dater de 1220 à 1230, il est rare de voir les sanctuaires des cathédrales entourés de doubles collatéraux : on se contente d’un bas côté simple, et les chapelles rayonnantes prennent plus d’importance. Dans les églises ogivales primitives, comme la cathédrale de Rouen, par exemple, dont les sanctuaires ne possèdent qu’un seul collatéral, les chapelles ne sont qu’en nombre restreint, de manière à permettre entre elles l’ouverture de jours directs dans le bas côté (60)[17].
Nous voyons ici des voûtes combinées suivant un mode peu usité à cette époque. Entre les chapelles, dans le bas côté, le grand triangle ABC est divisé par un arc venant se réunir à la clef des arcs-ogives ; c’était là un moyen moins simple que celui employé à Notre-Dame de Paris, pour faire une voûte portant sur cinq points d’appui, mais qui était plus conforme au principe de la voûte gothique. Dans le collatéral du chœur de la cathédrale d’Auxerre, le même système de voûte a été adopté avec plus d’adresse encore (voy. Voûte). Vers le milieu du XIIIe siècle on renonce, dans les églises munies de bas côté pourtournant le sanctuaire avec chapelles rayonnantes, à conserver des fenêtres entre ces chapelles. Celles-ci se rapprochent et ne laissent plus entre elles que l’empatement du contre-fort recevant les arcs-boutants. Ces chapelles, comme toutes les absides, adoptent définitivement en plan la forme polygonale plus solide et plus facile à construire. Les chapelles à plan circulaire étaient un reste de la tradition romane qui devait disparaître comme toutes les autres.
Voici (61) le plan du chœur de la cathédrale de Beauvais (1240 à 1250) qui fait voir combien les dispositions des plans s’étaient simplifiées à mesure que l’architecture ogivale poursuivait résolûment les conséquences de son principe[18]. Il est facile de voir, en examinant ce plan, jusqu’à quel point les architectes du XIIIe siècle cherchaient à débarrasser les intérieurs de leurs édifices religieux des obstacles qui pouvaient gêner la vue, et combien ils étaient désireux d’obtenir des espaces larges, et par conséquent de diminuer et le nombre et l’épaisseur des points d’appui (voy. Cathédrale).
Plus tard, au XIVe siècle, on élevait l’église abbatiale de Saint-Ouen, qui résumait les données les plus simples de l’architecture religieuse. Nef sans chapelles ; transsept avec bas côté ; chœur avec bas côtés et chapelles rayonnantes, celle du chevet plus grande ; tour sur le transsept, et deux clochers sur la façade (62)[19].

À partir du XIVe siècle, l’architecture des édifices religieux devient à peu près uniforme sur tout le territoire soumis au pouvoir royal ; les plans sont pour ainsi dire classés d’après la dimension des édifices, et suivent, sans de notables différences, les dispositions et le mode de construire adoptés à la fin du XIIIe siècle ; c’est seulement dans les détails, dans l’ornementation, dans les profils des moulures que la transformation se fait sentir. Nous renvoyons donc nos lecteurs aux différentes parties des édifices religieux traitées dans le Dictionnaire pour apprécier la nature de cette transformation, en connaître les causes et les résultats. Le XIIIe siècle avait tant produit, en fait d’architecture religieuse, qu’il laissait peu à faire aux siècles suivants. Les guerres, qui bouleversèrent la France pendant les XIVe et XVe siècles, n’auraient plus permis d’entreprendre des édifices d’une importance égale à nos grandes cathédrales, en admettant qu’elles n’eussent pas été toutes élevées avant ces époques désastreuses. Les édifices religieux complétement bâtis pendant le XIVe siècle sont rares, plus rares encore pendant le siècle suivant. On se contentait alors ou de terminer les églises inachevées, ou de modifier les dispositions primitives des églises des XIIe et XIIIe siècles, ou de les restaurer et de les agrandir. C’est à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe, alors que la France commence à ressaisir sa puissance, qu’un nouvel élan est donné à l’architecture religieuse, mais la tradition gothique, bien que corrompue, abâtardie, subsiste. Beaucoup de grandes cathédrales sont terminées, un grand nombre de petites églises, dévastées pendant les guerres, ou tombées de vétusté par suite d’un long abandon et de la misère publique, sont rebâties ou réparées. Mais bientôt la réformation vient arrêter ce mouvement, et la guerre, les incendies, les pillages, détruisent ou mutilent de nouveau la plupart des édifices religieux à peine restaurés. Cette fois le mal était sans remède, lorsqu’à la fin du XVIe siècle le calme se rétablit de nouveau, la renaissance avait effacé les dernières traces du vieil art national, et si, longtemps encore, dans la construction des édifices religieux, les dispositions des églises françaises du XIIIe siècle furent suivies, le génie qui avait présidé à leur construction était éteint, dédaigné. On voulait appliquer les formes de l’architecture romaine antique, que l’on connaissait mal, au système de construction des églises ogivales, que l’on méprisait sans les comprendre. C’est sous cette inspiration indécise que fut commencée et achevée la grande église de Saint-Eustache de Paris, monument mal conçu, mal construit, amas confus de débris empruntés de tous côtés, sans liaison et sans harmonie ; sorte de squelette gothique revêtu de haillons romains cousus ensemble comme les pièces d’un habit d’arlequin. Telle était la force vitale de l’architecture religieuse née avec la prédominance du pouvoir royal en France, que ses dispositions générales se conservent jusque pendant le siècle dernier ; les plans restent gothiques, les voûtes hautes continuent à être contre-butées par des arcs-boutants. Mais cette architecture bâtarde est frappée de stérilité. Les architectes semblent bien plus préoccupés de placer les ordres romains dans leurs monuments que de perfectionner le système de la construction, ou de chercher des combinaisons nouvelles ; l’exécution devient lourde, grossière et maniérée en même temps. Nous devons cependant rendre cette justice aux artistes du XVIIe siècle qu’ils savent conserver dans leurs édifices religieux une certaine grandeur, une sobriété de lignes et un instinct des proportions que l’on ne retrouve nulle part ailleurs en Europe à cette époque. Pendant qu’en Italie les architectes se livraient aux extravagances les plus étranges, aux débauches de goût les plus monstrueuses, on élevait en France des églises qui, relativement, sont des chefs-d’œuvre de style, bien qu’alors on se piquât de ne trouver la perfection que dans les monuments de la Rome antique ou moderne. Cette préférence pour les arts et les artistes étrangers et surtout Italiens, nous était venue avec la Renaissance, avec la protection accordée par les souverains à tout ce qui venait d’outre-monts. La monarchie qui, du XIIe au XVIe siècle, avait grandi au milieu de cette population d’artistes et d’artisans français, dont le travail et le génie n’avaient pas peu contribué à augmenter sa gloire et sa puissance, oubliant son origine toute nationale, tendait dorénavant à imposer ses goûts à la nation. Du jour où la cour voulut diriger les arts, elle étouffa le génie naturel aux vieilles populations gallo-romaines. La protection doit être discrète si elle ne veut pas effaroucher les arts, qui, pour produire des œuvres originales, ont surtout besoin de liberté. Depuis Louis XIV, les architectes qui paraissaient présenter le plus d’aptitude, envoyés à Rome sous une direction académique, jetés ainsi en sortant de l’école dans une ville dont ils avaient entendu vanter les innombrables merveilles, perdaient peu à peu cette franchise d’allure, cette originalité native, cette méthode expérimentale qui distinguaient les anciens maîtres des œuvres ; leurs cartons pleins de modèles amassés sans ordre et sans critique, ces architectes revenaient étrangers au milieu des ouvriers qui jadis étaient comme une partie d’eux-mêmes, comme leurs membres. La royauté de Louis XIV s’isolait des populations rurales en attirant la noblesse féodale à la cour pour affaiblir une influence contre laquelle ses prédécesseurs avaient eu tant de luttes à soutenir, elle s’isolait également des corporations d’ouvriers des grandes villes, en voulant tenir sous sa main et soumettre à son goût la tête des arts ; elle croyait ainsi atteindre cette unité politique et intellectuelle, but constant de la monarchie et des populations depuis le XIIe siècle, et ne voyait pas qu’elle se plaçait avec sa noblesse et ses artistes en dehors du pays. Cet oubli d’un passé si plein d’enseignements était bien complet alors, puisque Bossuet lui-même, qui écrivait l’histoire avec cette grandeur de vue des prophètes lisant dans l’avenir, ne trouvait que des expressions de dédain pour notre ancienne architecture religieuse, et n’en comprenait ni le sens ni l’esprit.

  1. Mém. concer. l’hist. civ. et ecclés. d’Auxerre et de son ancien diocèse, par l’abbé Lebeuf, publié par MM. Challe et Quantin ; t. I, p. 377. Paris, Didron. Auxerre, Perriquet, 1848.
  2. Ce curieux édifice ; le plus complet que nous connaissions de cette date, a été découvert par M. Mérimée, inspecteur général des monuments historiques, et restauré depuis peu avec une grande intelligence par M. Bœswilwald. La charpente avait été plafonnée dans le dernier siècle, mais quelques-unes de ses fermes étaient encore intactes.
  3. L’architecture byzantine en France, par M. F. de Verneilh. 1 vol. in-4o Paris, 1852.
  4. L’étude de ces curieux édifices a été poussée fort loin par M. F. de Verneilh dans l’ouvrage que nous avons cité plus haut ; nous ne pouvons qu’y renvoyer nos lecteurs. Des planches, très-bien exécutées par M. Gaucherel, expliquent le texte de la manière la plus claire.
  5. Cette disposition primitive à Bayeux fut modifiée au XIIIe siècle par la construction d’une voûte au centre de la croisée.
  6. Liv. II. Grégoire de Tours, en parlant de l’église bâtie à Clermont par saint Numatius, dit : « au-devant est une abside de forme ronde, » inante absidem rotundam habens ; On peut entendre, « une abside du côté de l’entrée, » ce qui n’excluait pas l’abside du sanctuaire. Grég. de Tours, vol. I, p. 180 ; édit. Renouard, 1836.
  7. Cette construction fut encore modifiée au XIIIe siècle par la réfection de nouvelles voûtes sur la nef contre-butées par des arcs-boutants ; mais on retrouve facilement les traces de ces transformations successives.
  8. Voy. L’Architecture monastique, par M. Albert Lenoir. Paris, 1852 ; p. 249 et suiv.
  9. Le T. des Antiq. de Paris., par J. Du Breul. Paris, 1634; liv. III.
  10. Ibid.; liv. I.
  11. Dom Planchet, Hist. de Bourgogne, Mabillon, Annal. Benedict., t. IV, p. 132.
  12. Ce curieux fragment fut découvert dans les décombres de l’église Saint-Sauveur de Nevers en 1813, par M. Mérimée, inspecteur général des monuments historiques et par nous. Il fut transporté dans le Musée de la ville, sur nos pressantes sollicitations, et nous espérons qu’il s’y trouve encore. (Voy. les Annales Archéologiques, vol. II, p. 116 et suiv. La gravure est accompagnée d’une judicieuse et savante notice de M. Didron, à laquelle nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer nos lecteurs.)
  13. Voy. sur l’Architecture byzantine en France, l’extrait des articles publiés par M. Vitet (cahiers de janvier, février et mai 1853), p. 36 et suiv.
  14. La cathédrale de Langres est sur le territoire champenois ; mais comme style d’architecture, elle appartient à la Bourgogne.
  15. Langres est une ville romaine ; on y voit encore une porte antique décorée de pilastres cannelés.
  16. Gallia Christiana. — La livre d’argent était divisée en 20 sous, et le sou en 12 deniers, 12 livres de pain coûtaient environ, à cette époque, 1 denier. La livre d’argent représentait donc environ 500 francs de notre monnaie, et 2 220 livres 1 110 000 francs.
  17. Nous donnons le plan de ce chœur avec la chapelle de la Vierge construite au XIVe siècle, sur l’emplacement d’une chapelle de chevet, semblable aux deux autres qui existent encore, mais un peu plus grande.
  18. Le plan que nous donnons ici est celui du chœur de Beauvais, tel qu’il fut exécuté au XIIIe siècle, avant les restaurations des XIVe et XVIe siècles.
  19. Les clochers indiqués sur ce plan avaient été commencés au XVIe siècle seulement ; ils ne furent jamais terminés, mais ils présentaient une disposition particulière qui ne manquait pas de grandeur, donnait un large porche, et, au total, un beau parti de plan. Leurs souches ont été démolies pour faire place à une façade dans le style du XIVe siècle.