Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Abside

ABSIDE, s. f. C’est la partie qui termine le chœur d’une église, soit par un hémicycle, soit par des pans coupés, soit par un mur plat. Bien que le mot abside ne doive rigoureusement s’appliquer qu’à la tribune ou cul-de-four qui clôt la basilique antique, on l’emploie aujourd’hui pour désigner le chevet, l’extrémité du chœur, et même les chapelles circulaires ou polygonales des transepts ou du rond-point. On dit : chapelles absidales, c’est-à-dire chapelles ceignant l’abside principale ; abside carrée : la cathédrale de Laon, l’église de Dol (Bretagne), sont terminées par des absides carrées, ainsi que beaucoup de petites églises de l’Île-de-France, de Champagne, de Bourgogne,

de Bretagne et de Normandie. Certaines églises ont leurs croisillons terminés par des absides semi-circulaires, tels sont les transepts des cathédrales
de Noyon, de Soissons, de Tournay, en Belgique ; des églises de Saint-Macaire, près Bordeaux ; de Saint-Martin de Cologne, toutes églises bâties pendant le XIIe siècle ou au commencement du XIIIe. Dans le midi de la France la disposition de l’abside de la basilique antique se conserve plus longtemps que dans le nord ; les absides sont généralement dépourvues de bas-côtés et de chapelles rayonnantes jusque vers le milieu du XIIIe siècle ; leurs voûtes en cul-de-four sont plus basses que celles du transept, telles sont les absides des cathédrales d’Avignon, des églises du Thor (1) (Vaucluse), de Chauvigny (Basse), dans le Poitou (2), d’Autun, de Cosne-sur-Loire (3), des églises de l’Angoumois et de la Saintonge, et, plus tard, celles des cathédrales de Lyon, de Béziers, de la cité de Carcassonne, de Viviers.
Mais il est nécessaire de remarquer que les absides des églises de Provence sont généralement bâties sur un plan polygonal, tandis que celles des provinces plus voisines du nord sont élevées sur un plan circulaire. Dans les provinces du centre l’influence romaine domine, tandis qu’en Provence et en remontant le Rhône et la Saône c’est l’influence gréco-byzantine qui se fait sentir jusqu’au XIIIe siècle.
Cependant, dès la fin du XIe siècle, on voit des bas-côtés et des chapelles rayonnantes circonscrire les absides de certaines églises de l’Auvergne, du Poitou, du centre de la France ; ce mode s’étend pendant le XIIe siècle jusqu’à Toulouse. Telles sont les absides de Saint-Hilaire de Poitiers (4), de Notre-Dame du Port, à Clermont ; de Saint-Étienne de Nevers ; de Saint-Sernin de Toulouse.
Dans l’Île-de-France, en Normandie, sauf quelques exceptions : les absides des églises ne se garnissent guère de chapelles rayonnantes que vers le commencement du XIIIe siècle, et souvent les chœurs sont seulement entourés de bas-côtés simples, comme dans les églises de Mantes et de Poissy, ou doubles ainsi que cela existait autrefois à la cathédrale de Paris, avant l’adjonction des chapelles du XIVe siècle (5).

On voit poindre les chapelles absidales dans les grands édifices appartenant au style de l’Île-de-France à Chartres et à Bourges (6) ; ces chapelles sont alors petites, espacées ; ce ne sont guère que des niches moins élevées que les bas-côtés.

Ce n’est point là cependant une règle générale : l’abside de l’église de Saint-Denis possède des chapelles qui datent du XIIe siècle, et prennent déjà une grande importance ; il en est de même dans le chœur de l’église de Saint-Martin-des-Champs, à Paris (7).

Ce plan présente une particularité, c’est cette travée plus large percée dans l’axe du chœur, et cette grande chapelle centrale. Ici comme à Saint-Denis, comme dans les églises de Saint-Remy de Reims, et de Vézelay (8), constructions élevées pendant le XIIe siècle ou les premières années du XIIIe, on remarque une disposition de chapelles qui semble appartenir aux églises abbatiales. Ces chapelles sont largement ouvertes sur le bas-côté, peu profondes, et sont en communication entre elles par une sorte de double bas-côté étroit, qui produit en exécution un grand effet.

C’est pendant le cours du XIIIe siècle que les chapelles absidales prennent tout leur développement. Les chevets des cathédrales de Reims, d’Amiens (9) et de Beauvais, élevés de 1230 à 1270 nous en ont laissé de remarquables exemples.

C’est alors que la chapelle absidale, placée dans l’axe de l’église et dédiée à la sainte-Vierge, commence à prendre une importance qui s’accroît pendant le XIVe siècle, comme à Saint-Ouen de Rouen (10),
pour former bientôt une petite église annexée au chevet de la grande, comme à la cathédrale de Rouen, et, plus tard, dans presque toutes les églises du XVe siècle. Les constructions des absides et chapelles absidales qui conservent le plan circulaire dans les édifices antérieurs au XIIIe siècle, abandonnent ce parti avec la tradition romane, pour se renfermer dans le plan polygonal plus facile à combiner avec le système des voûtes à nervures alors adopté, et avec l’ouverture des grandes fenêtres à meneaux, lesquelles ne peuvent s’appareiller sur un plan circulaire.

En France, les absides carrées ne se rencontrent guère que dans des édifices d’une médiocre importance. Toutefois, nous avons cité la cathédrale de Laon et l’église de Dol, qui sont terminées par des absides carrées et un grand fenestrage comme la plupart des églises anglaises.

Ce mode de clore le chevet des églises est surtout convenable pour des édifices construits avec économie et sur de petites dimensions. Aussi a-t-il été fréquemment employé dans les villages ou petites bourgades, particulièrement dans le nord et la Bourgogne. Nous citerons les absides carrées des églises de Montréal (Yonne), XIIe siècle ; de Vernouillet (11), XIIIe siècle, de Gassicourt, XIVe siècle, près Mantes ; de Tour (12), fin du XIVe siècle, près Bayeux ;
de Clamecy, XIIIe siècle, circonscrite par le bas-côté. Nous mentionnerons aussi les églises à absides jumelles ; nous en connaissons plusieurs exemples, et, parmi les plus remarquables, l’église de Varen, XIIe siècle (Tarn-et-Garonne) et l’église du Thor, à Toulouse, fin du XIVe (13). Dans les églises de fondation ancienne, c’est toujours sous l’abside que se trouvent placées les cryptes ;
aussi le sol des absides, autant par suite de cette disposition que par tradition, se trouve-t-il élevé de quelques marches au-dessus du sol de la nef et du transept. Les églises de Saint-Denis en France et de Saint-Benoît-sur-Loire, présentent des exemples complets de cryptes réservées sous les absides, et construites de manière à relever le pavé des ronds-points de quinze à vingt marches au-dessus du niveau du transept. (Voy. Crypte.)

Parmi les absides les plus remarquables et les plus complètes, on peut citer celles des églises d’Ainay à Lyon, de l’Abbaye-aux-Dames à Caen, de Notre-Dame-du-Port à Clermont, de Saint-Sernin à Toulouse, XIe et XIIe siècles ; de Brioude, de Fontgombaud, des cathédrales de Paris, de Reims, d’Amiens, de Bourges, d’Auxerre, de Chartres, de Beauvais, de Séez ; des églises de Pontigny, de Vézelay, de Semur en Auxois, XIIe et XIIIe siècles ; des cathédrales de Limoges, de Narbonne, d’Alby ; des églises de Saint-Ouen de Rouen, XIVe siècle ; de la cathédrale de Toulouse, de l’église du Mont-Saint-Michel-en-mer, XVe siècle ; des églises de Saint-Pierre de Caen, de Saint-Eustache de Paris, de Brou, XVIe. Généralement les absides sont les parties les plus anciennes des édifices religieux : 1o parce que c’est par là que la construction des églises a été commencée ; 2o parce qu’étant le lieu saint, celui où s’exerce le culte, on a toujours dû hésiter à modifier des dispositions traditionnelles ; 3o parce que par la nature même de la construction, cette partie des monuments religieux du moyen âge est la plus solide, celle qui résiste le mieux aux poussées des voûtes, aux incendies, et qui se trouve dans notre climat, tournée vers la meilleure exposition.

Il est cependant des exceptions à cette règle, mais elles sont assez rares, et elles ont été motivées par des accidents particuliers, ou parce que des sanctuaires anciens ayant été conservés pendant que l’on reconstruisait les nefs, on a dû après que celles-ci étaient élevées, rebâtir les absides pour les remettre en harmonie avec les nouvelles dispositions.