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terre cuite. Les Romains couvraient ordinairement l’aire des salles à rez-de-chaussée de mosaïques composées de petits cubes de marbre de diverses couleurs, formant, par leur juxtaposition, des dessins colorés, des ornements et même des sujets. Ils employaient souvent aussi de grandes tables de marbre ou de pierre carrées, oblongues, polygonales et circulaires, pour daller les salles qui devaient recevoir un grand concours de monde ; car la mosaïque ne pouvait durer longtemps sous les pas de la foule. La brique était réservée pour les pavages les plus vulgaires. Pendant les premiers siècles du moyen âge, en France, ces traditions furent conservées ; mais les marbres, dans le Nord, n’étaient pas communs, la façon de la mosaïque dispendieuse ; elle ne fut que rarement employée pour les pavages (voy. Mosaïque) ; on lui préféra les dallages gravés et incrustés de mastics de couleur, ou les terres cuites émaillées. Partout, en effet, on pouvait fabriquer de la brique, et rien n’est plus aisé que de lui donner des tons variés par une couverte cuite au four. Il est vraisemblable que, dès l’époque carlovingienne, les carrelages en briques de couleur étaient en usage ; on pouvait ainsi, à peu de frais, obtenir des pavages présentant à peu près l’aspect des mosaïques. Cependant nous devons dire que nous ne connaissons aucun carrelage de terre cuite antérieur au XIIe siècle ; on n’en doit pas être surpris, quand on observe combien peu durent les émaux dont on revêt cette matière ; promptement usés, les carrelages en terre cuite devaient être souvent remplacés.

Les carrelages les plus anciens que nous connaissions sont ceux que nous avons découverts, il y a quelques années, dans les chapelles absidales de l’église abbatiale de Saint-Denis ; ces carrelages sont du temps de Suger ; ils furent laissés la plupart en place, à cause probablement de leur beauté, lorsque, sous le règne de saint Louis, ces chapelles furent remises à neuf. Ils sont en grande partie composés de très-petits morceaux de terre cuite émaillés en noir, en jaune, en vert foncé et en rouge, coupés en triangles, en carrés, en lozanges, en portion de cercle, en polygones, etc. ; ils forment, par leur assemblage, de véritables mosaïques d’un dessin charmant. Le carrelage de la chapelle de la Vierge, publié dans les Annales archéologiques de M. Didron et dans l’Encyclopédie d’Architecture de M. Bance, celui de la chapelle de saint-Cucuphas, également reproduit dans ce dernier ouvrage et dans les Études sur les carrelages historiés de M. Alfred Ramé, et restaurés aujourd’hui, sont deux très-beaux spécimen des carrelages mosaïques du XIIe siècle. Nous croyons inutile de reproduire ici les ensembles de ces carrelages, et nous nous bornerons à en donner des fragments, afin de faire connaître la méthode suivie par les architectes de ce temps. Ces carrelages se composent généralement de bandes formant des dessins variés, séparées par des bordures étroites. L’influence de la mosaïque antique se fait encore sentir dans ces combinaisons, car chaque carreau porte sa couleur, et c’est par leur assemblage que les dessins sont obtenus. Les briquetiers du XIIe siècle avaient poussé fort loin l’art de mouler ces petits morceaux de terre, et souvent ils composaient des dessins