Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/380

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
372
ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

de Lucain, tué, plus jeune encore, par la tyrannie qu’il avait cru pouvoir impunément flatter.

Un autre martyr du même temps, un autre témoin des règnes de Claude et de Néron, Sénèque, dans la variété de ses ambitions et de ses talents, n’eut-il pas quelque lueur de poésie lyrique ? Philosophe avec plus d’imagination que de force d’âme, il devait se plaire et d’abord s’appuyer quelque peu à ces arts élégants, préludes et distractions d’une cour homicide. Tacite[1] a peint cette soirée du palais impérial, où le jeune Britannicus, sommé par pénitence de chanter à haute voix, commence un cantique d’allusion à sa chute et à ses malheurs, peut-être quelque fragment imité d’Euripide, quelque myriologue d’Astyanax sur lui-même. L’émotion des auditeurs est extrême, dans la liberté de l’ivresse ; et Néron, qui a compris la plainte, n’a plus qu’à l’étouffer par une prompte mort.

Sénèque, écrivant les Troades, pouvait-il oublier cette scène de famille, plus terrible que les fictions tragiques ? Elle nous explique la mélancolie profonde de quelques accents, le pathétique de quelques pensées, dans ces drames attribués à l’infortuné précepteur de Néron, dans ces œuvres déclamatoires qui certainement ne parurent pas sur le théâtre romain. Vous y sentez, non l’image des temps héroïques, mais

  1. Tacit. Ann., l. XIII, § 15.