Les Troyennes (Sénèque)

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Les Troyennes
Traduction par E. Greslou.
C. L. F. Panckoucke (Tome deuxièmep. 113-225).
PERSONNAGES


HÉCUBE.
ANDROMAQUE.
ASTYANAX.
HÉLÈNE.
AGAMEMNON.
PYRRHUS.
ULYSSE.
CALCHAS.
CHŒUR DE TROYENNES.
TALTHYBIUS.
UN VIEILLARD.
UN ENVOYÉ.
POLYXÈNE, personnage muet.

ARGUMENT.

Après la ruine de Troie, les Grecs voulant retourner dans leur patrie, sont arrêtés par les vents contraires. L’ombre d’Achille, apparue pendant la nuit, déclare qu’ils ne pourront mettre à la voile qu’après avoir apaisé ses mânes, et immolé sur son tombeau Polyxène, qui lui avait été fiancée, et qui avait servi de prétexte pour I’assassiner. Agamemnon, épris de cette jeune princesse, ne souffre pas qu’on La sacrifie. Une dispute s’élève à ce sujet entre lui et Pyrrhus ; mais Calchas, consulté, répand que le sacrifice de Polyxène est indispensable, et qu’il faut eu même temps faire mourir Astyanax. Ulysse emporte cet enfant que sa mère avait caché, et le précipite du haut de la porte Scée. Polyxène, vêtue et parée comme pour la cérémonie d’un mariage, est conduite par Hélène au tombeau d’Achille, et immolée par Pyrrhus.
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vie qui nous anime sera dissipe.

Rien n’est plus après la mort ; la mort elle-même n’est rien c’est le dernier terme d’une course rapide. Plus de désirs, plus d’inquiétudes, là s’arrêtent l’espérance et la crainte.

Veux-tu savoir où tu seras après la mort ? où sont toutes choses avant de naître. Le temps nous dévore, et l’avide chaos ressaisit sa proie. La mort est une loi fatale, inséparablement liée au corps, et qui n’épargne point l’âme. Les enfers, le royaume des Ombres et son impitoyable maître, le chien Cerbère qui en garde les portes et en défend l’entrée, ne sont que de faux bruits des mots vides de sens, des fables aussi vaines que les illusions d’un rêve. Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/159 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/161 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/163 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/165 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/167 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/169 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/171 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/173 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/175 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/177 jamais inventé une pareille imposture, sans craindre l’effet d’un affreux présage de mort ? Quand on n’a rien de plus à craindre, on redoute au moins les présages. Elle a garanti par un serment la vérité de ses paroles, s’est-elle parjurée ? Mais que peut-elle craindre de plus terrible qu’un parjure ? H faut ici déployer toutes tes ressources. ô mon esprit, toutes tes ruses, tous tes moyens, montrer Ulysse tout entier. La vérité ne peut jamais se perdre. Observe ici la mère elle s’afflige, elle pleure, elle gémit, elle porte çà et là ses pas inquiets, et prête une oreille attentive à tous les sons qui la frappent. Il y a en elle plus de crainte que de douleur. C’est ici que j’ai besoin de tout mon génie. Avec toute autre mère, il me faudrait employer le langage de la douleur ; mais vous, dans votre infortune, il faut vous féliciter d’avoir perdu un fils destiné à une mort cruelle, et qu’on eût précipité du haut de la tour qui seule subsiste encore sur les débris d’Ilion.

ANDROMAQUE.

Ah ! je me sens mourir ; tout mon corps tremble et chancelle ; un froid glacial fige mon sang dans mes veines.

ULYSSE.

Elle a tremblé ! Voilà, oui, voilà l’endroit par où je dois l’attaquer. La mère s’est trahie par cet effroi il faut frapper un second coup. Allez, courez cherchez partout cet enfant caché par sa mère, ce dernier ennemi des Grecs, tirez-le de sa retraite, et l’amenez ici. C’est bien, vous le tenez, hâtez-vous de le prendre et de le faire sortir. Pourquoi vous retourner ? pourquoi trembler ainsi ?

Pourquoi vous retourner ? Vous savez bien qu’il est mort. Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/181 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/183 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/185 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/187 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/189 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/191 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/193 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/195 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/197 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/199 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/201 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/203 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/205 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/207 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/209 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/211 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/213 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/215 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/217 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/219 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/221 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/223 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/225 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/227 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/229

NOTES
SUR LES TROYENNES.


PERSONNAGES. Dans les Troyennes d’Euripide, Polyxène ne parait pas comme ici sur le théâtre, par la raison que sa mort ne fait pas le sujet de la pièce ; mais elle entre au moins pour un tiers dans le fond dramatique de la tragédie latine, et, sous ce rapport, il est surprenant que Sénèque l’ait traduite sur la scène comme un personnage muet. Le rôle de Polyxène, dans la pièce d’Hécube, est une des plus belles et des plus touchantes créations de la tragédie grecque ; le poète latin, qui la connaissait, ne devait pas, à notre avis, se priver volontairement d’une source aussi féconde d’émotion et d’intérêt.

ARGUMENT. Page 115. Agamemnon, épris de cette jeune princesse. Il n’y paraît guère dans la pièce. Agamemnon, dans sa querelle avec Pyrrhus, n’en parle point ; cela se conçoit assez ; il est marié depuis long-temps, et, de plus, il vient de prendre avec lui Cassandre pour seconde épouse, comme le dit Euripide. On peut dire aussi, sans faire injure à la moralité du roi des rois, que, s’il était réellement épris des charmes de Polyxène, il parlerait avec plus de force encore pour sa défense. Nous n’avons point voulu rectifier l’argument, mais il nous semble vicieux sous ce rapport. Le langage d’Agamemnon dans sa querelle avec Pyrrhus, est plein de noblesse et de gravité, les motifs qu’il fait valoir sérieux et honorables : nous ne croyons pas qu’il faille attribuer sa conduite à un amour dont la supposition ne se fonde que sur le reproche que lui en fait Pyrrhus.

Du haut de la porte Scée. Le lecteur verra plus bas qu’il n’est pas question de la porte Scée, mais d’une tour élevée où s’ asseyait Priam, etc. (Voyez acte V, scène 1.) Euripide parle positivement de la porte Scée.

ACTE Ier. Page 117. Vous tous qui vous confiez dans la puissance. La critique de ce long monologue d’Hécube est tout entière dans ces vers de Boileau :

Que devant Troie en flamme, Hécube désolée,
Ne vienne point pousser une plainte ampoulée,
Ni, sans raison, décrire en quels affreux pays
Par sept bouches l’Euxin reçoit le Tanaïs.
Tout ce pompeux amas d’expressions frivoles
Sont d’un déclamateur amoureux de paroles, etc.

Nous souscrivons, quant à nous, à ce jugement. Quelques beautés que renferme ce morceau, nous y voyons deux défauts contraires bien remarquables, la solennité fausse de l’ensemble et la puérilité des détails. Sénèque va toujours d’un excès à l’autre, et quand on le rencontre dans le milieu naturel, c’est une bonne fortune.

L’instabilité de la grandeur humaine. Ou si l’on veut : Combien le piédestal de l’orgueil est fragile. Nous avons traduit superbi dans le sens de potentes.

Cette ville élevée par la main des dieux. Troie avait été bâtie par Ilus ; Neptune et Apollon n’avaient travaillé qu’à ses remparts.

Les sept bouches du Tanais. Sénèque se trompe, dit Farnabius, il prend ici le Tanaïs pour l’ister ou Danube. Delrio trouve cette faute de géographie très-à-propos dans la bouche d’Hécube. Nous ne croyons pas que l’auteur ait spéculé sur une erreur de ce genre.

Par les peuples venus des bords du Tanaïs, il faut entendre Rhésus et ses guerriers. Ceux venus de l’Orient, ce sont les Indiens conduits par Memnon, fils de l’Aurore.

Page 119. Ses ruines la couvrent. Nous ne comprenons pas comment une ville peut être couverte par ses propres ruines, mais il faut traduire : incubuit sibi, elle est tombée sur elle-même.

La prêtresse aimée d’Apollon. C’est Cassandre, nommée plus bas. Elle obtint d’Apollon le don des oracles, et lui en refusa Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/365 donne au sacrifice de Polysène le même caractère de nécessité fatale, sans laquelle il ne serait qu’une vengeance barbare, un acte impossible à justifier.

Page 131. Déjà le soleil naissant, etc. Ce récit n’est pas exempt d’enflure, ni d’une certaine obscurité qui tient à l’entassement confus des images que le poète a prodiguées plutôt qu’il ne les a choisies ; mais en général c’est un morceau bien écrit, et l’un des meilleurs en ce genre qu’on puisse rencontrer dans les tragédies de Sénèque.

Page 133. Son ombre gigantesque. Nous ne croyons pas que Talthybius fasse ici allusion à la taille d’Achille, qui était de neuf coudées. C’était une croyance générale, chez les anciens, que les fantômes des morts apparaissaient avec une taille surhumaine, et plus grande que celle qu’ils avaient ene pendant leur vie. En voici quelques exemples :

….. Errat antiquis vetus
Emissa bustis turba, et insultant loco
Majora notis monstra….
(Seneca, Thyest., act. iv, v. 671.)
Infelix simulacrum atque ipsius umbra Creuse.
Visa mihi ante oculos, et nota major imago.
(Virg., Æneid., lib. ii, v. 772.)
Pulcher et humano major, trabeaque decorus
Romulus in thedia visus adesse via.
(Ovid., Fast., lib. ii, v. 503.)
Ingens visa duci patriae trepidantis imago, etc.
(Lucan., Phars., lib. i.)

Il dompta les peuples de la Thrace. C’est-à-dire les soldats envoyés au secours de Troie par Cissée, père d’Hécube, et Télèphe, roi de Mysie. Voyez la scène suivante, vers 216.

Le Xanthe refoulé. — Voyez, dans Homère, le combat d’Achille contre les deux fleuves de Troie, le Xanthe et le Simoïs. Voici comment s’exprime Virgile, Énéide, liv. v, vers 803 :

…… Quum Troia Achilles
Exanimata sequcos impingeret agmina muris,

Millia multa daret letho, gemerentque repleti
Amnes ; nec reperire viam atque evolvere posset
In mare se Xanthus….

Voyez encore le récit de ce combat dans la tragédie de Briséis, acte v, scène 2, par Poinsinet de Sivry.

Le Xanthe est le même fleuve que le Scamandre. Voyez, sur la différence de ces deux noms, le Cratyle de Platon ; Scamandre était le nom donné par les hommes, et Xanthe le nom divin.

Page 133. Une profonde paix enchaîne les flots. Ceci n’est pas bien exact ; nous venons de voir au commencement du récit, que la mer, sentant la présence du fils de Thétis, avait calmé l’agitation de ses flots.

Un chant d’hyménée. Par allusion au prétendu mariage de Polyxène et d’Achille.

Page 135. Au moment où tu donnas le signal. Cette querelle d’Agamemnon et de Pyrrhus est imitée d’Homère (Iliade, liv. i), mais surtout de Sophocle. Voyez Ajax, Dispute de Teucer et des Atrides. On peut la comparer avec celle d’Agamemnon et d’Achille, dans l’Iphigénie de Racine.

Le temps de chercher la place où elle devait tomber. C’est une image vivante et expressive tirée d’une victime qui, frappée à mort, se trouble, chancelle, et cherche réellement la place où elle doit tomber. Nous trouvons une image non tout-à-fait semblable, mais du même genre, dans l’Oraison funèbre d’Anne de Gonzague : « Retirés en Silésie, il ne leur restait plus qu’à considérer de quel côté allait tomber ce grand arbre ébranlé par tant de bras. »

Tu es en retard pour t’acquitter. Pyrrhus veut dire qu’Achille devait avoir la première part dans les dépouilles, et que d’ail- leurs Agamemnon ne devait pas attendre qu’on lui demandât ce qu’il devait lui-même offrir.

Malgré le conseil de fuir les combats. — Voyez Racine, Iphigénie, acte i, scène 11.

Les Parques, à ma mère, autrefois l’ont prédit,
Lorsqu’un époux mortel fut reçu dans son lit, etc.

La double puissance de cette main. La fable dit que c’était la lance d’Achille qui avait la double puissance de frapper et de guérir. C’est une manière de parler, pour dire qu’Achille était à la fois guerrier et médecin. Il avait appris la médecine de son maître le centaure Chiron. Voyez Plutarque, Œuv. mor. Symposiaq., liv. v, quest. 4.

Page 135. Thèbes fut détruite. C’est Thèbes en Cilicie, qui avait pour roi Eétion, père d’Andromaque, épouse d’Hector.

La petite ville de Lyrnesse. Ville de la Troade.

La fameuse querelle de deux rois. Au premier chant de l’Iliade, Agamemnon refuse de rendre Chryséis à son père, et la peste se déclare dans le camp des Grecs. Achille insiste pour que la colère d’Apollon soit apaisée par le renvoi de cette captive. Agamemnon cède ; mais, pour s’indemniser, il ravit Briséis la maîtresse d’Achille.

Syros. Ce n’est point Scyros, où Achille fut élevé sous des habits de femme à la cour de Lycomède, mais une île de la mer Égée ; d’ailleurs l’orthographe n’est pas la même.

Page 137. Baignées parle Caycus. Ce sont des villes de Mysie, où coule un fleuve appelé autrefois Caycus.

La dispersion de tant de villes. — Sprasæ tot urbes. L’expression est plus hardie que juste ; mais elle est forte et pittoresque. Racine a presque traduit tout ce passage dans son Iphigénie :

Quels triomphes suivront de si nobles essais !
La Thessalie entière, ou vaincue ou calmée,
Lesbos même, conquise en attendant l’armée,
De toute autre valeur éternels monumens,
Ne sont, d’Achille oisif, que les amusemens.

(Iphig., acte i, sc. 2.)

Vous n’avez fait que la détruire. Il faut prendre ici le mot détruire dans le sens littéral : vos diruistis « vous l’avez démolie. »

Page 139. C’est le défaut de la jeunesse. Tout ce discours d’Agamemnon est plein de sens, de noblesse et de véritable grandeur ; et le roi des rois se montre ici bien plus moral que dans l’Iphigénie de Racine : il est vrai que dans la pièce française, il veut sacrifier du sang à son ambition le sang de sa fille. Dans Sénèque, au contraire, il se montre généreux, calme, et grand comme un roi. Il faut remarquer aussi que Pyrrhus, qui tient ici le langage d’Agamemnon dans Racine, tient à son tour, dans l’Andromaque, celui que notre auteur prête ici à Agamemnon, de sorte que Racine doit au tragique latin plus qu’on ne croit communément.

Page 141. Il faut l’imputer à la colere, à la nuit. Voici comme Racine a imité et développé ce passage, Andromaque, acte i, scène 2 :

Tout était juste alors ; la vieillesse et l’enfance.
En vain sur leur faiblesse appuyaient leur défense.
La victoire et la nuit, plus cruelles que nous,
Nous excitaient au meurtre et confondaient nos coups.
Mon courroux aux vaincus ne fut que trop sévère.
Mais que ma cruauté survive à ma colère,
Que, malgré la pitié dont je me sens saisir,
Dans le sang d’un enfant je me baigne à loisir,
Non, seigneur, etc.

Sa louange sera dans toutes les bouches. Châteaubrun, dont l’œuvre est généralement faible, a cependant quelques morceaux qui ne manquent ni de force ni d’éclat. Le plaidoyer en faveur de Polyxène est bien senti et bien exprimé :

Honorez ce héros des titres les plus rares,
Mais pour mieux l’honorer faut-il être barbares ?

Et, plus bas, nous voyons éloquemment et poétiquement réfutée cette opinion que les hommes, après la mort, conservaient le souvenir de leurs haines, et les passions de la vie ; grande et belle idée, toute chrétienne, et qui n’a pas l’inconvénient, comme le chœur que nous trouvons à la fin de ce second acte, de renverser le dogme le plus sublime, le plus consolant, le plus propre à exalter l’âme humaine, l’espérance d’une autre vie. Ce passage nous paraît digne d’être cité.

Tous les hommes n’ont plus qu’une même patrie,
Sitôt qu’ils ont franchi les bornes de la vie.
La mort également les marque de son sceau.
La haine et l’intérêt meurent dans le tombeau ;

Les folles passions n’en troublent point l’asile ;
Hector sans être ému voit les mânes d’Achille.
Loin de leur imputer nos aveugles transports,
Prenons les sentimens de ces illustres morts.
Achille ne veut point la mort de Polyxène,
Et, si vous le croyez susceptible de haine,
C’est à de vils mortels que vous le comparez ;
Et, pour en faire un dieu, vous le déshonorez.
(Chatbaubrun, Troyennes, acte iv, sc. 9.)

Page 143. Priam, dont Achille avait respecté la douleur suppliante. C’est le reproche que Priam lui-même adresse à Pyrrhus. (Voyez Énéide, liv. ii.)

Page 145. J’avoue que ton père était sans crainte. Cela veut dire qu’Achille n’avait rien à craindre loin des combats, et retiré sur ses vaisseaux.

Page 147. Est-ce ton île qui t’inspire cet orgueil ? Il est fâcheux vraiment que la fougue de Pyrrhus fasse perdre patience au sage Agamemnon, et l’amène enfin à des personnalités si futiles et si misérables, suivies de répliques non moins puériles de la part de Pyrrhus : c’est une querelle de rois, changée en une dispute de commères.

Page 151. Est-il vrai que les âmes des morts, etc. Si l’on suppose que le chœur des troyennes sait déjà que Polyxène doit être immolée sur le tombeau d’Achille, il ne faut voir ici qu’un blasphème impie, dicté par la douleur, contre la superstition qui commande un aussi barbare sacrifice. Malheureusement, cette mauvaise excuse est à peine possible ; le chœur parle comme ne sachant rien de l’exécution qui se prépare, et débite gratuitement la plus honteuse morale, celle des épicuriens, qui ne croyaient pas à une autre vie.

Un autre défaut de ce chœur, c’est qu’il met le poète en contradiction avec lui-même. Après avoir dit au premier acte (p. 129) que « Priam, heureux et libre sous les paisibles ombrages de l’Élysée, cherche parmi les âmes pieuses l’ombre de son Hector », il assure maintenant que rien ne subsiste après la mort, et que tout finit avec celle vie.

Une des raisons qui avaient fait attribuer cette pièce et quelques autres, à Marcus Sénèque, le rhéteur, père du philosophe, c’est que ce dernier passe généralement pour avoir suivi la doctrine des stoïciens, qui croyaient à l’immortalité de l’âme. Mais cette raison n’en est pas une, car Sénèque le Philosophe a mêlé Platon et Épicure dans ses autres ouvrages, et s’est contredit en prose comme en vers, ainsi qu’on le voit dans sa Consolation à Marcia, où, après avoir dit que nos maux finissent avec la vie : Ultra mortem mala nostra finiuntur, il fait parler Cordus comme vivant de la vie des morts : Nos quoque felices animae et aeterna sortite. Ses Lettres fournissent encore d’autres exemples de cette contradiction.

Page 153. Veux-tu savoir où tu seras après la mort ? Voici l’imitation, ou, si l’on veut, la parodie de cette pensée, par Cyrano de Bergerac :

Une heure après ma mort mon âme évanouïe
Sera ce qu’elle était une heure avant ma vie.

Les enfers, le royaume des Ombres, etc. Le président Claude Nicole, qui n’a jamais passé pour un athée, mais séduit sans doute par la célébrité de ce chœur, extrêmement remarquable par la beauté du style, en a publié une paraphrase qui n’est pas la plus mauvaise pièce de son recueil imprimé en 1656 : en voici la dernière strophe :

Tout ce qu’on nous dit de la Parque,
De Cerbère et de l’Achéron ;
Tout ce qu’on prône de la barque
Où passe tous les morts le vieux nocher Caron,
Ce sont de froides railleries,
Des songes creux, des rêveries ;
Et, quiconque a du jugement,
Connait facilement qu’one telle pensée
Vient du faible raisonnement
Qu’imprime la frayeur dans une âme blessée.

Page 159. Tout à coup mon Hector s’est dressé devant moi. Ce songe est plutôt copié qu’imité de celui d’Énée, au second livre de l’Énéide, avec lequel il peut soutenir la comparaison, grâce à la sagesse de notre auteur, qui s’est contenté de suivre fidèlement son modèle. Racine, qui a aussi imité Virgile, dans le songe d’Athalie, a introduit, dans le lieu commun des apparitions, une circonstance toute nouvelle, et qu’on n’a pas assez expliquée du point de vue de l’art et de la vérité. Dans Virgile, Hector parait triste et changé ; dans Racine, au contraire, Jésabel se montre, comme au jour de sa mort, pompeusement parée : que faut-il penser de cette différence, et lequel a raison du poète français ou du poète romain ?

Page 159. Voilà bien le visage de mon Hector. Tout ce discours d’Andromaque est un modèle de grâce touchante, et de sensibilité maternelle. Si Sénèque écrivait toujours ainsi, sa gloire serait grande parmi les poètes tragiques de tous les pays. Malheureuse- ment nous le verrons bientôt gâter ce beau rôle de mère, qui, jusqu’ici, n’a fait que s’embellir entre ses mains, et dont Racine a pris ces traits si touchans :

C’est Hector, disait-elle, en l’embrassant toujours ;
Voilà ses yeux, sa bouche, et déjà son audace ;
C’est lui-même, oui c’est toi, cher époux, que j’embrasse.
(Andromaque, acte ii, sc. 5.)

Voici le passage d’Euripide que notre auteur a imité, mais embelli :

« O mon fils, ô doux objet de ma tendresse, tu vas périr par une main ennemie, tu vas abandonner ta mère désolée. La vertu de ton père est ta mort, cette vertu qui fut le salut de tant d’autres. C’est donc un malheur pour toi d’être né d’un héros. Funeste hymen ! Sainte couche nuptiale ! Lorsque j’entrai dans le palais d’Hector, aurais-je pu penser qu’en lui donnant un fils, j’offrais aux Grecs une victime, et non pas un maître à l’opulente Asie ? Mon fils, je vois couler tes pleurs, tu sens les maux qu’on te prépare. Pourquoi tes mains m’embrassent-elles ? pourquoi t’attacher à ma robe, et te réfugier, comme un oiseau timide, sous l’aile de ta mère, etc. » (Eurip., Hécube, acte ii, sc. 2.)

Page 163. Viens, entre dans le tombeau de ton père. L’idée de cacher Astyanax dans le tombeau d’Hector, n’est point empruntée d’Euripide, dont la fable est beaucoup plus simple. Elle nous semble très-belle, et d’un grand effet dramatique. Châteaubrun doit à cette donnée les plus beaux vers de sa tragédie des Troyennes ; les voici :

Tu frémis ! Plonge-toi dans le sein de la mort :
Voici le seul asile où te réduit le sort.
O mon fils, tu naquis pour régner sur l’Asie,
Il te reste un tombeau pour y cacher ta vie.
Et toi, mon cher Hector, sois sensible à mes cris,
De tes mânes sacrés enveloppe ton fils.
Creuse jusques au Styx ta demeure profonde,
Et cache mon dépôt sous l’épaisseur du monde.
Tu me l’as confié, j’attends aussi de toi
Que ton ombre le couvre, et le rende à ma foi.
(Chateaubrun, Troyennes, acte iii, sc. 4.)

Page 169. J’ai su déjouer ces ruses de mère. Clytemnestre, mère d’Iphigénie ; et Thétis, mère d’Achille.

Où est Hector, où sont tous les Troyens ? Cette réponse d’Andromaque nous paraît très-belle, et prouve que Sénèque ne s’égare pas toujours en cherchant le sublime.

Page 171. Cet amour même, dans lequel vous vous retranchez. Cette réflexion d’Ulysse est pleine de sens, et Châteaubrun l’a reproduite :

Madame, vos refus ne nous ont point surpris ;
Mais déjà vos terreurs ont jugé votre fils :
Plus vous appréhendez ce fatal sacrifice,
Et mieux vous nous prouvez quelle en est la justice, etc.

Page 175. Vous savez bien qu’il est mort. Cette scène est déchirante, et la manière dont Ulysse épie chaque mouvement d’une femme que son cœur doit trahir, cette adresse à provoquer de sa part des manifestations qui seront pour son fils des arrêts de mort, le calcul froid de ce qu’il y a de moins raisonné dans les sentimens humains, tout cela sans doute doit émouvoir, mais aussi déchirer l’âme du spectateur. Nous croyons que Sénèque eût bien fait d’abréger cette lutte affreuse entre l’oiseau craintif qui couvre ses petits, et l’oiseau ravisseur qui tourne autour de lui, et le fascine de ses regards.

Page 177. Plût au ciel que je craignisse. Ce mensonge est éloPage:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/374 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/375 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/376 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/377 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/378 Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/379

Page 221. C’est une ressemblance de plus avec son père. Tout se ressemble dans ce malheureux cinquième acte. Cette réflexion de la mère à qui l’on vient de montrer la cervelle de son fils répandue, est du même goût que le reste.

Page 223. Mais elle se tourne vers Pyrrhus. Ce récit vaut mieux que l’autre de beaucoup ; il est imité d’Euripide, qui a le bon sens, d’insister davantage sur l’objet principal, et moins sur les accessoires :

Dans la main de Pyrrhus déjà le glaive brille ;
Ses regards m’ordonnaient de saisir votre fille.
Arrêtez, nous dit-elle, ô vainqueurs des Troyens !
Prêts à mêler mon sang avec le sang des miens,
Épargnez-moi du moins un inutile outrage.
Ma mort doit être libre, et j’aurai le courage
De présenter au glaive et ma tête et mon sein.
Sur la fille des rois ne portez point la main.
Polyxène, acceptant un trépas qu’elle brave,
Ne veut point aux enfers porter le nom d’esclave.
Elle dit : mille voix parlent en sa faveur.
Agamemnon lui-même, admirant son grand cœur,
Souscrit à sa demande, et veut qu’on se retire.
Polyxène l’entend : elle arrache et déchire
Les voiles, ornemens de sa virginité,
Et de son sein d’albâtre étalant la beauté,
Elle tombe à genoux : Pyrrhus, frappe ! dit-elle
Frappe, j’attends tes coups. — Il se trouble, il chancelle ;
La victime à ses pieds, l’aspect de tant d’appas,
La pitié quelque temps semble arrêter son bras.
Mais Achille l’emporte en cette âme hautaine,
Il enfonce le fer au cœur de Polyxène,
Le retire fumant : le sang jaillit au loin.
Elle tombe expirante, et par un dernier soin,
Elle rassemble encor la force qui lui reste,
Pour n’offrir aux regards qu’une chute modeste.
Elle meurt…

(EURIP, Hécube, acte V, traduct. de La Harpe.)