d’aller respirer l’air de l’étranger. À vingt ans Tourguéneff s’évade de la Russie et va passer trois ans à l’Université de Berlin. Le despotisme prussien après le despotisme moscovite c’était la délivrance !
Cette première absence de trois ans décida de sa vie ; au retour il trouva l’air natal irrespirable. À 29 ans, en 1847, il recommence sa vie de nomade et quitte définitivement son pays où il ne rentrera plus que quelques semaines chaque année pour régler ses affaires. Que si d’abord le désir de la patrie s’empare de l’exilé et le ramène pour un temps à Spasskoie, le gouvernement de Nicolas fait de son mieux pour lui faire passer ses regrets. En 1852, au lendemain de la publication des Récits d’un Chasseur, il reçoit en prison, comme toute âme bien née, le baptême de la liberté. Son crime est d’avoir fait un éloge discret de Gogol et des Âmes mortes, comme Lermontoff fut puni naguère pour avoir fait l’éloge de Pouchkine. C’était un avertissement. Désormais Tourguéneff est guéri de sa nostalgie. Il « s’occidentalise » de plus en plus ; pendant des années il vagabondera à travers l’Europe, à la poursuite de son idéal d’artiste et à la suite de Madame Viardot, la célèbre diva, sœur de la Malibran, à laquelle l’unissait depuis 1840 une amitié que la mort seule devait briser. Il réside alternativement en Allemagne et en France et se bâtit une villa à Baden-Baden. Lui, le Scythe et le Tartare, le grand écrivain de la terre russe, il deviendra le type du déraciné, du propriétaire absentéiste. Loin de la Russie, il ne la comprendra plus et il ne sera plus compris d’elle, il sera méconnu et désavoué par la jeune génération.