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forme herza « cœur », venue des Alpes, remplace en Thuringe un plus archaïque herta, il ne faut pas parler de changement phonétique, mais d’emprunt de phonème.

§ 2.

Les deux forces ramenées à un principe unique.

Sur un point donné du territoire — nous entendons par là une surface minimale assimilable à un point (voir p. 276), un village par exemple, — il est très facile de distinguer ce qui relève de chacune des forces en présence, l’esprit de clocher et l’intercourse ; un fait ne peut dépendre que de l’une à l’exclusion de l’autre ; tout caractère commun avec un autre parler relève de l’intercourse ; tout caractère qui n’appartient qu’au parler du point envisagé est dû à la force de clocher.

Mais dès qu’il s’agit d’une surface, d’un canton par exemple, une difficulté nouvelle surgit : on ne peut plus dire auquel des deux facteurs se rapporte un phénomène donné ; tous deux, bien qu’opposés, sont impliqués dans chaque caractère de l’idiome. Ce qui est différenciateur pour un canton A est commun à toutes ses parties ; là, c’est la force particulariste qui agit, puisqu’elle interdit à ce canton d’imiter quelque chose du canton voisin B, et qu’inversement elle interdit à B d’imiter A. Mais la force unifiante, c’est-à-dire l’intercourse, est aussi en jeu, car elle se manifeste entre les différentes parties de A (A1, A2, A3, etc.). Ainsi, dans le cas d’une surface, les deux forces agissent simultanément, bien que dans des proportions diverses. Plus l’intercourse favorise une innovation, plus son aire s’étend ; quant à l’esprit de clocher, son action consiste à maintenir un fait linguistique dans les limites qu’il a acquises, en le défendant contre les concurrences du dehors. Il est impossible de prévoir ce qui résultera de l’action de ces deux forces. Nous avons vu p. {282 que dans le domaine du germanique, qui va des Alpes à la mer du Nord, le pas-