Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/273

Cette page a été validée par deux contributeurs.

guistique ne se serait pas différencié sans la diversité des lieux, si minime soit-elle ; mais à lui seul, l’éloignement ne crée pas les différences. De même qu’on ne peut juger d’un volume par une surface, mais seulement à l’aide d’une troisième dimension, la profondeur, de même le schéma de la différence géographique n’est complet que projeté dans le temps.

On objectera que les diversités de milieu, de climat, de configuration du sol, les habitudes spéciales (autres par exemple chez un peuple montagnard et dans une population maritime), peuvent influer sur la langue et que dans ce cas les variations étudiées ici seraient conditionnées géographiquement. Ces influences sont contestables (voir p. 203) ; fussent-elles prouvées, encore faudrait-il faire ici une distinction. La direction du mouvement est attribuable au milieu ; elle est déterminée par des impondérables agissant dans chaque cas sans qu’on puisse les démontrer ni les décrire. Un u devient ü à un moment donné, dans un milieu donné ; pourquoi a-t-il changé à ce moment et dans ce lieu, et pourquoi est-il devenu ü et non pas o, par exemple ? Voilà ce qu’on ne saurait dire. Mais le changement même, abstraction faite de sa direction spéciale et de ses manifestations particulières, en un mot l’instabilité de la langue, relève du temps seul. La diversité géographique est donc un aspect secondaire du phénomène général. L’unité des idiomes apparentés ne se retrouve que dans le temps. C’est un principe dont le comparatiste doit se pénétrer s’il ne veut pas être victime de fâcheuses illusions.

§ 2.

Action du temps sur un territoire continu.

Soit maintenant un pays unilingue, c’est-à-dire où l’on parle uniformément la même langue et dont la population est fixe, par exemple la Gaule vers 450 après J.-C., où le latin était partout solidement établi. Que va-t-il se passer ?