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ainsi la gêne et la contrainte du vers donnent à nos pensées un nouvel éclat. » La même chose que l’on écoute sans intérêt, qui effleure l’attention si on l’exprime en prose, dès que le rythme lui vient en aide, que la pensée, déjà heureuse, se plie aux entraves et à la précision du mètre, elle nous arrive comme le trait que darde un bras nerveux14. On parle en cent façons du mépris des richesses ; on nous enseigne par de fort longs discours à mettre nos biens en nous-mêmes, non dans nos patrimoines, que celui-là est opulent qui s’accommode à sa pauvreté et se fait riche de peu. Mais l’esprit est bien plus vivement frappé, quand on récite des vers comme ceux-ci :

Le moins pauvre est celui qui désire le moins ;

Tes vœux seront comblés s’ils suivent tes besoins[1].

Ces maximes et d’autres semblables nous arrachent l’aveu de leur évidence. Ceux mêmes à qui rien ne suffit s’extasient, se récrient, déclarent la guerre aux richesses. Quand tu leur verras cette disposition, insiste, presse et fortifie ton dire ; plus d’équivoques, de syllogismes, de chicanes de mots, de vains jeux de subtilité. Tonne contre l’avarice, tonne contre le luxe ; et si l’impression est visible, si les âmes s’ébranlent, redouble encore de véhémence. On ne saurait croire combien profitent de telles allocutions qui tendent à guérir les âmes et n’ont pour but que le bien des auditeurs. Il est bien facile de gagner de jeunes esprits à l’amour de l’honnête et du juste ; dociles encore, ils ne sont gâtés qu’à la surface ; que de prise a sur eux la vérité, si elle trouve un avocat digne d’elle[2] !

Pour moi, certes, lorsque j’entendais Attalus discourir sur les vices, les erreurs, les maux de la vie, j’ai souvent pris en pitié la race humaine ; et lui me paraissait sublime et supérieur aux plus élevés des mortels. « Je suis roi, » disait-il ; et à mes yeux il était bien plus : car il avait droit de censure sur les rois de la terre. Venait-il à faire l’éloge de la pauvreté, à démontrer combien au delà du nécessaire tout n’est plus qu’inutilité, gêne et fardeau, j’étais prêt mainte fois à ne sortir que pauvre de son école. S’il flétrissait nos voluptés, s’il vantait la continence, la sobriété, une âme pure de tout plaisir illicite ou même superflu, je brûlais de couper court à l’intempérance et à la sensualité. Quelque chose m’est resté de ces leçons : car j’avais abordé tout le système avec enthousiasme ; puis, ra-

  1. P. Syrus.
  2. Voir Lettre L.